« Archives en poche » est une application qui permet de découvrir Rennes à travers de courts films d’archives. Le concept est simple : grâce à son smartphone et à la géolocalisation, chaque passant peut visionner des vidéos inédites des lieux inscrits sur la carte. Images datant de 30, 40, voire 50 ans, les Rennais et Rennaises pourront comparer l’avant-après des endroits qu’ils ont sous leurs yeux. Zoom sur l’histoire d’une application citoyenne.
« Véritable application citoyenne », telle que la décrit le co-concepteur Yann Legay, l’application Archives en poche est née d’un constat du créateur alors qu’il venait de créer son premier studio en Touraine. Fraîchement arrivé, il pensait trouver des propositions pour lui faire découvrir la ville, mais les visites guidées de l’Office de Tourisme manquaient de souplesse et ne coïncidaient pas avec son emploi du temps. « Je me suis demandé pourquoi ne pas réaliser des visites guidées sur Ipod afin d’être plus libres dans les visites », déclare Yann Legay. Débute alors la création d’un petit programme composé de vingt lieux, ce qu’il appelle des points d’intérêts. Ce qui constituait les prémices d’Archives en poche a par la suite été intégré à l’Office de Tourisme de Tours. Le programme était alors loué par les visiteurs, équipés d’un Ipod.
Le projet prend une nouvelle tournure lors de sa visite du Pont Wilson, un des points d’intérêts dudit programme. S’effondrant en 1978 sans faire de victime, le monument a particulièrement intéressé Yann qui, par le plus grand des hasards, avait participé à la restauration d’un film en super 8 sur son effondrement quelques semaines auparavant. L’idée d’intégrer une vidéo d’archive de l’effondrement à l’audioguide lui traverse alors l’esprit, avant de tester lui-même cette innovation. Il en ressort convaincu. « Cette expérience m’a ému. En me baladant sur ce pont, je me suis replongé dans les années 70 avec enthousiasme. Ce que j’étais en train de vivre était exactement l’inverse de la réalité augmentée. Pour moi, il y avait quelque chose à creuser », raconte-t-il.
Autre élément déclencheur, une projection de films d’archives sur la construction des tours de Maurepas et l’inauguration de son parc, à Rennes. « Toutes les personnes âgées présentes à la projection, et qui avaient assisté à l’évènement à l’époque, ont commencé à discuter entre elles et à commenter les films. Il y avait de réels aspects communautaires et citoyens très intéressants. Je les voyais partager leurs souvenirs, c’était très émouvant… », se rappelle-t-il. « Je me suis alors souvenu du Pont Wilson et je me suis dit que c’était le moment ! Lorsque j’ai montré les premières archives à mon père, il m’en a parlé pendant des heures. Il se souvenait très bien de la parade du cirque avec les éléphants, quand il était gamin. »
Il fait alors part de ce projet au chargé de mission de la Cinémathèque de Bretagne Jean-François Delsaut. Emballé, ce dernier propose à Yann de devenir partenaire et de faire partie de la construction du projet.
Le financement initial de l’application s’élevait à plus de 50 000 €, mais le peu de subventions reçues et le contexte sanitaire lié au Covid-19 ont drastiquement diminué le budget. Autant dire qu’ils ont réalisé un tour de force puisqu’ils concrétisent finalement le projet avec moins de 25 000 €. « D’autant plus que le lendemain de la sortie du projet, fin octobre 2020, le reconfinement a été annoncé. Nous n’avons pas eu beaucoup de chance sur la sortie. Cependant Rennes Métropole a tout de suite accepté de participer au financement du projet », dit-il le sourire aux lèvres.
Un travail de recherches minutieux et intuitif
Récoltées en collaboration avec Jean-François Delsaut, les archives viennent de la Cinémathèque de Bretagne, dont il loue l’expérience et le savoir-faire. « À Rennes, il y a plus de deux cent archives. On a fait un gros tri avec Jean-François puis on a choisi celles qui nous intéressaient. » Mais comment sélectionner les points d’intérêt ?
Tout part des archives qu’ils visionnent et de son intuition. « Il était important de ne pas se fixer une ligne éditoriale précise, inscrite dans le récit de l’histoire du patrimoine architectural rennais. » Yann recherchait avant tout à raconter des anecdotes inédites, des petits moments de vie de la ville qui ne se reproduiront peut-être jamais… Il cite l’exemple de la rue de Brest, dans les années 60. « C’était un quartier insalubre. Il n’y avait que des petites maisons, on voyait des gamins pieds nus dehors, aller chercher de l’eau au puits, les bottes de paille, les poules… C’est quand même assez étonnant ! Quand on regarde cette archive, on ne reconnaît pas les lieux, et c’est ce qui est émouvant. Contrairement aux archives place de la mairie, facilement reconnaissable. Les bâtiments ont été en partie détruits, mais ils restent les mêmes. C’est incroyable parce que le temps a passé, l’environnement n’est plus le même, mais le contexte, lui, est resté très similaire. »
« Chaque archive nous fait ressentir une émotion différente selon ce qu’elle raconte », Yann Legay.
Vient ensuite un gros travail de défrichage sur des archives durant parfois 45 minutes, réduites à 1 minute, tout en gardant l’essence de l’archive, son histoire. Ce travail conséquent n’a pour autant pas découragé Yann qui affirme son choix du format vidéo. « C’était vraiment l’humain qui m’intéressait. Lorsque l’on visionne les archives des années 50, 60, 70, c’est passionnant de regarder la façon dont les gens s’habillent, se déplacent, les véhicules, etc., et de constater les changements urbains. Les photos d’immeubles ou de monuments peuvent être intéressantes, mais il ne s’en dégage aucune vie. » Soutenus par la SACEM, ils ont également pu intégrer la composition originale de l’artiste breton Etienne Chouzier à l’application.
Une redécouverte citoyenne du patrimoine urbain
Plus qu’une application touristique, Archives en poche s’adresse surtout aux résidents afin de faire redécouvrir simplement le patrimoine rennais : au détour de balades, de courses ou d’un chemin pour amener les enfants à l’école. Pour lui, « c’est une application de redécouverte citoyenne de son patrimoine urbain ».
Il évoque également l’intérêt du développement de l’application dans d’autres villes de Bretagne et communes, avec un modèle économique approprié. Gratuite pour les particuliers, ce sont les communes qui souscrivent à un abonnement. Ce dernier sera calculé en fonction du nombre d’habitants permettant ainsi à de petites villes au budget limité de bénéficier également de l’application.
Mais avant, il aimerait trouver de bons moyens de communication pour que les citoyens s’approprient l’application, chose primordiale pour le créateur, afin de développer d’autres points d’intérêts. La dimension humaine du projet se retrouve également dans la création d’une communauté autour de l’application. Dans la tête de Yann, elle prendrait la forme d’un site internet à travers lequel les citoyens partageraient, par exemple, des indications ou des anecdotes sur les membres de leur famille ayant vécu un évènement raconté par l’archive.
Pour le moment, l’utilisateur doit avoir le réflexe d’ouvrir l’application et de chercher lui-même les points d’intérêt, mais Yann prévoit déjà d’intégrer l’envoi de notifications ou alertes en fonction des endroits où l’on se trouve.
En ce début d’année scolaire, le coconcepteur pense que l’école serait un relai majeur pour faire connaître Archives en poche. Les collégiens disposant quasi tous d’un smartphone aujourd’hui, cela serait l’occasion, lors d’une sortie encadrée par leur professeur d’histoire-géographie par exemple, de leur faire découvrir leur ville de façon ludique.