L’Avare, pièce culte jouée plus de deux mille fois par la Comédie française, était programmée au Théâtre National de Bretagne du 9 au 14 décembre 2016 dans une mise en scène de Ludovic Lagarde, directeur de la Comédie de Reims. Harpagon et sa cassette, on connait. Que diable ! Si l’on a envie d’apprécier L’Avare, on achète le film de Jean Girault et Louis de Funès, un point c’est tout ! Est-il vraiment nécessaire de monter l’Avare en 2016 ? La réponse est oui.
Les hommes seront toujours imparfaits. Aussi les pièces de Molière resteront saisissantes, jouissivement mordantes et bien sûr, d’actualité. On n’en aura donc jamais fini de monter Molière ! Si L’Avare rassemble aussi bien les spectateurs avertis que les néophytes, mettre en scène une pièce illustre est toujours risqué. On peut dire sans hésitation que Ludovic Lagarde a su relever ce défi difficile, sans ni tomber dans le cliché ni céder à la tentation d’une actualisation politique grotesque. Avec un regard neuf, bien acéré, Lagarde offre une mise en scène des plus épatantes, parfois étonnante mais toujours juste. Cette comédie culte est réinvestie finement ; mieux encore, elle laisse entrevoir au spectateur une tonalité inédite parce que plus grave.
La demeure familiale devient un dépôt d’entreprise où s’entasse des piles de marchandises. Cette arrière-boutique, excessivement ordonnée et froide, laisse deviner au public un Harpagon autoritaire exerçant avec tyrannie le petit pouvoir que lui confère son statut de chef d’entreprise. D’emblée, on voit des employés dociles, bien que sous-payés, qui déplacent machinalement les palettes de marchandises dans une chorégraphie mécanique et déceptive, teintée d’un jeu de lumière glauque. Toujours sur le qui-vive et muni d’une carabine, cet avare inquiétant et drolatique (Laurent Poitrenaux), ne cesse de monter dans l’escalade de la violence à mesure qu’il est certain qu’on cherche à le voler.
Élise et Cléante, habillés en dandys modernes, apparaissent comme des adolescents révoltés. Ils ne cessent de comploter contre leur père pour tenter respectivement de vivre leur histoire d’amour. Valère, maladroit et dégingandé, essaie, tant bien que mal, d’endosser le rôle de l’employé modèle pour obtenir la bénédiction de son irascible patron. D’autre part, l’insolent La Flèche, après avoir subi une fouille au corps (très poussée) dignes de douaniers, tente de se venger de cette humiliation et aide Cléante à obtenir la main de la belle Marianne, déjà convoitée par son père… L’intrigue téléphonée et les quiproquos font rire bien sûr, mais il faut saluer le jeu exceptionnel des comédiens, notamment celui de Christèle Tual qui donne un relief inédit au rôle secondaire de Frosine. Celle-ci devient alors, grâce à une interprétation remarquable, une maquerelle quinquagénaire hilarante, à mi-chemin entre la cougar dipsomane et la femme d’affaires désargentée.
Ludovic Lagarde et son équipe (scénographie d’Antoine Vasseur, lumières de Sébastien Michaud, costumes de Marie La Rocca) offrent une nouvelle lecture enthousiaste et noire de ce chef-d’œuvre comique. En témoigne la fin de la pièce, qui n’expose pas une fin heureuse, mais suggère la déchéance d’Harpagon : à force de thésauriser fiévreusement, il verse dans la folie et s’enferme dans sa gigantesque et funèbre cassette.
L’Avare de Molière mis en scène par Ludovic Lagarde a été représenté du 3 au 14 décembre 2016 au TNB à Rennes
Dossier pédagogique ici
Avec Marion Barché, Myrtille Bordier, Louise Dupuis, Alexandre Pallu, Laurent Poitrenaux, Tom Politano, Julien Storini, Christèle Tual et Julien Allouf, Jean-Luc Briand, Élie Chapus, Sophie Engel, Zacharie Jourdain, Élodie Leau, Benoît Muzard
scénographie Antoine Vasseur
Lumières Sébastien Michaud
Costumes Marie La Rocca assistée de Gwendoline Bouget
Maquillage et coiffure Cécile Kretschmar
Musique Pierre-Alexandre « Yuksek » Busson
Dramaturgie Marion Stoufflet
Assistanat mise en scène et vidéo Céline Gaudier
Son et vidéo David Bichindaritz
Ensemblier Éric Delpla
Mouvement Stéfany Ganachaud
Maquillage Mityl Brimeur
Régie générale Jean-Luc Briand
Accessoires Benoît Muzard
Production La Comédie de Reims – CDN
Avec le soutien du Fonds d’Insertion pour Jeunes Artistes Dramatiques, DRAC et Région Provence-Alpes-Côte d’Azur
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