En parallèle de la gestion du festival Mythos, de l’Aire libre et du MeM, l’association CPPC – pilotée principalement par le couple Maël Le Goff et Emilie Audrain qui a créé durant les vingt dernières années plusieurs sociétés, commerciales et immobilières, et participe à d’autres – a initié en 2019 deux filiales nommées Manger bon et Otarie. Ce montage de sociétés autour d’une association aidée par les villes de Rennes et Saint-Jacques-de-la-Lande, mais aussi le Conseil départemental, le Conseil régional, le ministère de la Culture et la Drac Bretagne a suscité de légitimes interrogations. Un montage public/privé qu’Unidivers avait questionné pour sa part dès mars 2015 (voir notre article). Depuis cette publication, le temps a passé sans que rien ne semble changer au grand dam de nombreux Rennais et autres acteurs associatifs. Il aura fallu que la Chambre régionale des comptes passe à son tour en 2020 sur le dossier pour que la Ville de Rennes soit conduite à clarifier sa position. Dans ce cadre, Unidivers publie la réponse des services de la Ville de Rennes à une série de questions que notre rédaction lui a posée (voir ici) et un entretien avec Benoit Careil, adjoint à la Culture, qui entend mettre fin aux errances de la gestion rennaise de la vie associative par le truchement d’une obligation de transparence et de résultats. Rennes Métropole est-elle sur le point d’entamer une nouvelle époque culturelle, artistique et sportive ?
Unidivers – Vous nous avez proposé cet entretien pour faire suite à la demande de clarification que notre rédaction a adressée à la Ville de Rennes au sujet de ce que le monde culturel appelle l’affaire Le Goff. Commençons donc par ce sujet si vous le voulez bien. Comment percevez-vous Maël Le Goff ?
Benoit Careil – Je vous dirai que Maël Le Goff a un parcours atypique. Il est passé en une vingtaine d’années d’un travail de mise en lumière de différentes paroles, de multiples registres langagiers tels que le conte, à la promotion d’artistes de variétés. Comme c’est un entrepreneur ambitieux, futé et bien entouré, il a compris en quelques années comment fonctionnait ce type de business non seulement à Rennes et en Bretagne mais aussi à l’échelon national.
C’est ainsi qu’il a su attirer des capitaux privés afin de développer ses projets. La création par le CPPC des deux filiales commerciales Manger bon et Otarie témoignent, au-delà de potentiels problèmes, d’une habilité certaine à trouver des partenaires financiers privés ancrés localement, loin de ces sponsors hors-sol comme les grandes enseignes nationales de type Orange ou autres. Et ne comptez pas sur moi pour vous dire que c’est mal. Au contraire.
Il est indispensable que les acteurs associatifs cherchent, trouvent et renforcent d’autres sources de financement que la manne publique. Et c’est d’autant plus vrai avec ce temps post-pandémique qui débute par une augmentation du prix du gaz et de l’électricité qui plombe les finances publiques. Je crois utile d’informer vos lecteurs que le renchérissement des matières premières se traduit pour Rennes Métropole par une facture de gaz multipliée par 3 et d’électricité par 2. C’est colossal, voire abyssal.
Donc, oui, les moyennes et grosses associations doivent en parallèle des subventions développer des modèles économiques qui renforcent les financements propres. Il ne peut plus en être autrement.
Unidivers – Certes, mais comme toujours, tout dépend de la manière, non ?
Benoit Careil – Le reproche principal fait à Maël Le Goff, et que vous avez été le premier à mettre en lumière dans votre article de 2015, consiste dans des pratiques d’échafaudage public (association) / privé (société) dont les limites sont poreuses et peu transparentes. Pour autant, il convient tout de suite de préciser que ce n’est pas tant l’existence d’un montage public/privé qui pose problème plutôt que le flou qui entoure les rapports que les structures entretiennent. En effet, cela fait longtemps qu’il existe des associations productrices de manifestations événementielles à Rennes, de musique ou de spectacles, dont tel ou tels dirigeant(s) ont accolé à leurs activités une entreprise privée de gestion commerciale. Maël Le Goff n’a rien inventé en la matière.
Unidivers – C’est juste, mais avec des interactions aussi fortes ?…
Benoit Careil – Mais bien sûr ! Et il y en a eu plus d’une durant les 30 dernières années à Rennes. Pour vous en convaincre, je peux prendre l’exemple – afin de rester dans le secteur des associations musicales fortement subventionnées – de l’association ATM qui organise les Trans Musicales. Ses dirigeants ont créé au début des années 1990 la société Pip pop concerts qui a pour objet social l’organisation de… concerts. Durant plusieurs années, les lieux et temps de travail de l’ATM et de cette société privée ont pu se mélanger. Il y a même eu une période où des délais d’exclusivité étaient imposés aux artistes afin de les décourager de se produire sur d’autres scènes locales.
De même, du côté manger et boire, la société Trans’Actions qui s’occupe de restauration rapide est domicilié à la fois à l’UBU rue Saint-Hélier et à l’ATM rue Jean Guy. Donc, vous vouyez que ce type de montages à Rennes est loin d’être un cas isolé. Ce n’est pas Maël Le Goff qui les a inventés ; et j’ai même cru comprendre que, lors de son arrivée à Saint-Jacques-de-la-Lande, certains l’y ont même encouragé… Bref.
Là où ce montage pose problème, c’est évidemment quand lesdites activités s’emmêlent et où l’observateur extérieur, notamment la collectivité, ne comprend plus où se trouvent les frontières publiques/privées, autrement dit si l’argent commun est susceptible de profiter directement ou indirectement à un ou plusieurs des dirigeants qui ont un pied à la fois dans l’association et dans la ou les sociétés connexes.
Unidivers – Justement, comment comptez-vous encadrer ces pratiques ?
Benoit Careil – Nous avons décidé de mettre un point final à la faible vigilance qui fut la norme à Rennes durant les dernières décennies. Aussi allons-nous exiger désormais la plus complète transparence autour des liens et autres formes d’interactions qu’entretiennent les associations avec des sociétés privées. C’est le cas, bien sûr, des activités du CPPC, dirigé par Maël Le Goff, Emilie Audren et Emmanuel Grange, autrement dit les interactions entre le festival Mythos, l’Aire libre, le MeM, Manger bon et Otarie, notamment.
Unidivers – Maël Le Goff semble-t-il disposé à répondre positivement à cet appel à la transparence ?
Benoit Careil – Oui. Il reste ouvert à la discussion quand bien même il est d’un tempérament sanguin qui ne simplifie pas toujours les échanges…
Unidivers – Pour autant, si la perspective de cette utile vigilance est réjouissante, quel en sera pratiquement le modus operandi et sera-t-elle peu ou prou contraignante ?
Benoit Careil – Nous avons lancé depuis quelques semaines une grande réflexion qui a pour objectif de définir une CHARTE des bonnes pratiques et de la gestion transparente des partenariats et des flux financiers publics/privés des associations de Rennes avec les entreprises, y compris à travers le mécénat et le sponsoring. Mais loin de n’être qu’un instrument de clarification, ce vadémécum aspire à devenir un instrument de régulation.
Unidivers – Mais encore ?
Benoit Careil – Le postulat de départ est que l’argent public doit servir l’intérêt général. Il est impératif d’éviter la confusion des intérêts publics et privés afin d’écrire une nouvelle page des politiques publiques dans un moment sociétal où une vie événementielle foisonnante n’a jamais été autant espérée que les finances publiques malmenées.
Pour ce faire, des points seront attribués en fonction du respect de différents critères formulés par la collectivité. Chaque année, les associations qui perçoivent des subventions seront réévaluées en fonction d’objectifs à remplir qui concernent l’égalité femme / homme, l’écoresponsabilité, l’accessibilité du public, le tarif des prestations, le soutien à l’économie locale sociale et solidaire, l’impact sur l’emploi, la juste rémunération des intervenants comme des artistes, l’encadrement bienveillant et gratifiant des bénévoles, etc.
Le respect ou non de ces objectifs par telle ou telle association culturelle, artistique mais aussi sportive (car la municipalité entend mettre en place une nouvelle forme de dialogue transparent avec les fédérations sportives) conditionnera d’une manière contraignante le montant des subventions versées.
Unidivers — Autrement dit, si un acteur associatif, comme le couple Maël le Goff et Emilie Audren, ne respecte pas les engagements que vous aurez définis avec lui, y compris la transparence de la gestion de l’argent public/privé, Rennes interrompra son aide, est-ce bien cela ?
Benoit Careil – En effet. Mais je suis confiant dans le fait d’arriver à un accord commun. Dans tous les cas où des dirigeants d’assos détiennent des parts sociales ou administrent des sociétés privées avec qui ils travaillent, des solutions au cas par cas devront être trouvées.
Dans le cas de la guinguette le MeM, le bar-resto de la société Manger bon, Otarie, le CPPC et le terrain loué à la ville de Rennes, il est évident que la collectivité a manqué de vigilance. C’est un fait particulièrement regrettable et qui a pu légitiment nourrir de nombreuses suspicions. Dans les faits, au début du projet il y a environ 4 ans, quand les élus qui étaient aux manettes ont appris le montant de l’investissement privé (environ 2 millions d’euros) nécessaire à l’installation et l’aménagement du terrain et du Magic Mirror, ils ont cru bien faire en réduisant le montant du loyer du terrain municipal. Oui, une plus grande vigilance aurait dû être de rigueur. Et cet épisode nous aura servi de leçon.
Depuis, la Chambre régionale des comptes a révélé que la société Manger bon avait engrangé d’importants bénéfices peu en phase avec le montant du loyer. C’est pourquoi nous avons décidé que : soit le CPPC gère à l’avenir lui-même la restauration soit il fait appel à un prestataire extérieur sous réserve que ce dernier reverse un montant pour la location du terrain et des avantages mis à sa disposition en plus d’une refacturation des charges et d’un reversement d’un pourcentage de son chiffre d’affaires.
Unidivers – On passerait donc dans le cas présent de 5500 euros à… combien ?
Benoit Careil – Ce n’est pas encore fixé, mais le montant devrait s’élever à plusieurs dizaines de milliers d’euros. Il doit encore être affiné en fonction des dépenses liées à l’aménagement du nouveau terrain mis à disposition du MeM, le parc de stationnement situé à une centaine de mètres de l’actuel emplacement. C’est là que le nouveau Magic Miror insonorisé devrait s’installer prochainement.
Unidivers – Vous nous avez expliqué l’aspect clarificateur et régulateur de votre future Charte, mais au-delà des bons et utiles engagements sociétaux et environnementaux, quel impact sur la vitalité associative en attendez-vous ?
Benoit Careil – C’est tout l’objectif corolaire. Aujourd’hui, aucune association, jeune ou moins jeune, ne peut plus tirer son épingle du jeu toute seule. Le type de soutien politique et économique d’hier n’est plus envisageable. Il est indispensable désormais que les associations se fédèrent entre elles afin de pouvoir coconstruire les moyens d’exister dans l’espace public et de peser auprès des collectivités. Le foisonnement des initiatives à Rennes est tel qu’il est essentiel de jouer collectif afin de réaliser un projet conjoint en partenariat étroit et transparent avec la collectivité.
C’est le cas par exemple avec la future Maison de l’image qui doit prendre place dans l’ancien cinéma Arvor une fois que les importants travaux de rénovation et de mise aux normes auront été réalisés. Cela doit aussi être le cas avec l’ancienne prison Jacques Cartier : l’espace est tout aussi vaste que le montant des travaux… Une gestion multifonctionnelle est la seule voie possible. Dans l’esprit d’hospitalité qu’a développé l’université Pasteur. Les occupations pourraient aller du lieu d’exposition à la fabrique ESS en passant par des espaces dédiés à des projets de quelques mois au profit de différents collectifs culturels et artistiques.
Unidivers — Donc, si je comprends bien, loin d’un saupoudrage de multiples associations que certains craignaient de votre part au début de votre premier mandat, vous entendez lutter contre les tentations monopolistiques en promouvant une voie médiane de mutualisation et de coconstruction ?
Benoit Careil – Je cherche simplement les moyens d’encourager et de répondre au foisonnement créatif dans un esprit de diversité, d’égalité et de transparence. Dans cet esprit, la municipalité à travers cette nouvelle Charte restera vigilante afin qu’aucun acteur ne puisse écraser un autre qu’il juge concurrent alors qu’ils sont en réalité tous ensemble complémentaires aux yeux de la collectivité et du public. Il est impératif de laisser de la place aux autres dans l’espace commun, c’est là notre vision politique. C’est pourquoi les élus et les services s’assureront que la programmation notamment du MeM n’empêche pas le nouvel Antipode de développer tout son potentiel musical et une bonne économie.
Et puis, regardez, si les Trans musicales organisées par l’ATM ont réussi à consolider un festival international qui donne à entendre au public, notamment professionnel, des talents confirmés dans différents pays, le Festival les embellies organisées par Patchrock conserve un esprit défricheur en promouvant des artistes jeunes ou confirmés qui produisent un langage musical original. Si le MeM fait tourner des artistes notamment de l’écurie de son ami Olivier Poubelle, les Bars en Trans prolongent à leur manière l’esprit de découverte de talents émergents français grand public. Ces acteurs sont complémentaires. Et il y en a bien d’autres qui déjà répondent ou sont appelés à répondre à un besoin à Rennes. Et tous ceux qui souhaitent grandir en mutualisant et en respectant cette Charte qui verra le jour en 2022 auront toujours le soutien de la Ville.
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