A Rennes, au cœur du quartier Fransisco Ferrer, à côté du Blosne et de la Poterie, se trouve un havre de lecture, une bibliothèque de rue. C’est l’œuvre de l’association Bel Air dont s’inspire aujourd’hui une autre structure, Les livres des Rues, afin d’essaimer de nouvelles initiatives. Mais qu’est-ce qu’une bibliothèque de rue ?
Une constatation faite par les associations du quartier est à l’origine de cette aventure : des personnes en situation de décrochage au plan de la lecture, voire menacées par l’illettrisme, aimeraient avoir l’occasion de lire. Mais pour elles, pas question de franchir la barrière de la bibliothèque municipale. Philippe Guichoux, l’un membre de l’association à l’origine de l’initiative, décrit une situation, mise en avant par des sociologues, de violence symbolique, même s’il n’use pas du terme. « Certains considèrent la bibliothèque municipale comme un temple et se disent que ce n’est pas fait pour eux. »Les statistiques sont révélatrices : seuls 20% des habitants se rendent dans ces lieux de culture. Qu’en est-il des 80% restants ?…
Pour parer à cette situation, les membres de l’association Bel Air ont mis en place ,en 2010, ce qu’ils ont nommé une bibliothèque de rue. Le principe est simple : il s’agit de trois rayonnages adossés au pôle associatif du quartier. Les étagères peuvent accueillir jusqu’à 600 livres. Le tout est en extérieur, dans un lieu de passage. « Ce point est très important, il faut qu’il y ait du passage, que ce ne soit pas un lieu réservé » –insiste Philippe Guichoux. Ainsi les habitants s’approprient le lieu. Lors de l’installation, l’association avait également fait participer des graffeurs au projet. Toutes ces dimensions ont permis que la bibliothèque de rue soit un espace ouvert à tous. Les gens viennent, prennent un livre, en déposent un autre – ou pas. Le principe est de pouvoir échanger, lire, sans être sous le regard des autres. Il n’y a ni inscription, ni prix, ni aucune d’obligation.
Les fonds qui ont été mis en place sont les livres dits « désherbés » des rayonnages des bibliothèques municipales. Ceux qui ont été retirés des collections. La municipalité en a fait don à l’association qui a apposé un tampon pour rendre le livre invendable. Les livres sont disposés dans les rayonnages, afin que chacun puisse en emprunter et en remettre. La bibliothèque de rue n’est pas conçue comme un substitutif aux structures municipales, mais comme un complément. Tous les six mois, l’ensemble des livres sont vidés et remplacés par d’autres. Mais cela fonctionne-t-il dans les faits ?
Les indices qui permettent de mesurer la fréquentation sont minces, mais existent néanmoins. Un premier élément, plutôt intuitif, est révélateur : « Si c’est le bazar quand on arrive, alors on sait qu’il y a des gens qui sont passés » – analyse Philippe Guichoux. De fait, le jour de ce reportage par Unidivers, certains livres étaient dérangés, posés à côté du rayonnage. Le deuxième indice est peut-être plus parlant : comme les livres mis à disposition au départ sont issus des bibliothèques municipales, ils ont encore leur côte sur la tranche. L’apparition de livres sans cette côte et la disparition des ouvrages issus des stocks de la mairie témoigne d’un trafic. « On a essayé de faire une évaluation de la fréquentation, ce n’est pas facile, et très imprécis, mais on est arrivé à la conclusion qu’il devait y avoir environ 200 livres à changer de main tous les 15 jours. »
Depuis trois ans, cette bibliothèque de rue n’a pas rencontré de problème notoire : aucune dégradation, sauf une vitre cassée une fois, pas d’ouvrages licencieux mis en rayon. Et même s’il est difficile de mesurer son impact réel, elle a au moins le mérite d’attirer la sympathie des habitants du quartier. C’est pourquoi l’association Les Livres des Rues vient d’être créée. Elle vise à accompagner d’autres projets similaires dans des quartiers ou des communes intéressés. Aude Dick-Simon, secrétaire de la nouvelle association explique : « Nous avons des projets qui se profilent : à Vern, à Acigné, à Betton et dans le quartier Alfonse Guérin. ». L’objectif est toujours le même : que se soit les livres qui viennent au public et non pas le public qui viennent aux livres. On trouve de tout dans les rayonnages de la bibliothèque de rue, y compris des éditions Arlequin : « L’important c’est que se soit ce que les gens lisent, puisque tout le monde ne lit pas du Victor Hugo » – conclut Philippe Guichoux.