“On n’est pas à l’abri de représailles, parce qu’on a trop parlé. Il faut que ça s’arrête. Nous sommes en prison chez nous !” Deux habitantes du quartier Maurepas à Rennes ont ainsi interpellé le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau lors de sa visite de la capitale bretonne, vendredi 1er novembre.
Qui ne les comprendrait pas ? Depuis une décennie, elles ont vu leur quartier, comme tant d’autres poches urbaines en France, être progressivement abandonnés à des gangs narco-criminels, inspirés par des séries consacrées aux narcotrafiquants, lesquels, munis de machettes et d’armes à feu, pratiquent une violence qui n’a désormais plus de limite jusqu’à perdre toute conscience de la valeur d’une vie humaine.
Que faire ? Il est urgent de repenser complètement le problème des circuits de la drogue et de sa consommation, notamment après les opérations places nettes XXL qui, au-delà de la débauche médiatique, n’auront été que cautères sur jambes de bois et auront fini de démontrer l’impuissance des solutions actuelles conçues par l’Etat à l’encontre d’un phénomène d’une ampleur vaste, complexe et diffuse.
A quand un Grenelle de l’alcool et des stupéfiants, drogues douces et drogues dures ? L’occasion de réfléchir à une nouvelle gestion de cette réalité sociale par l’Etat, aux raisons et motivations qui poussent des personnes à consommer ces produits aussi bien qu’aux moyens de renforcer les saisies de drogues dures dans les ports. Autrement dit, repenser la consommation et la gestion des produits stupéfiants pour mieux lutter contre leur usage.
Au demeurant, dès le lendemain de la visite du ministère de l’Intérieur, à nouveau, un jeune homme a succombé à la suite de ses blessures provoquées par les coups de couteau d’un malfrat.
Pour rappel,
Parmi les substances illicites, selon l’enquête de l’OFDT publiée le 26 juin 2024 “Les niveaux d’usage des drogues illicites en France en 2023” de l’OFDT, le cannabis reste de loin la substance la plus consommée parmi les 18-64 ans :
- un adulte sur deux (50,4%) l’a déjà expérimenté ;
- depuis 1992, l’usage dans l’année a globalement doublé ;
- 3,4% sont des consommateurs réguliers ;
- l’usage quotidien concerne 2,3% des 18-64 ans, avec un maximum de 3,5% chez les 18-24 ans, mais encore 2,9 % chez les 35-44 ans, reflet du vieillissement des générations qui l’ont expérimenté dans leur jeunesse.
14,6% des 18-64 ans ont expérimenté des drogues autres que le cannabis ; ce taux s’élevait à 9,8% en 2017. La cocaïne est le deuxième produit illicite le plus consommé parmi les 18-64 ans, avec 9,4% d’expérimentateurs en 2023. Elle est suivie par l’ecstasy (MDMA), avec 8,2% d’expérimentateurs. En 2017, les niveaux de consommation de ces deux stimulants étaient plus proches (5,6% pour la cocaïne contre 5% pour l’ecstasy), signe d’une disponibilité accrue de la cocaïne ; pour les deux produits, la progression de la consommation a été nette dans l’intervalle.
D’après les chiffres clés 2022 de l’OFDT, l’alcool et le tabac, substances licites, demeurent les produits les plus consommés. Le tabac est moins consommé que l’alcool mais son usage est plus quotidien. En 2020, 25,5% des adultes (18-75 ans) fument tous les jours (12 millions d’individus de 11 à 75 ans) et 10% boivent quotidiennement de l’alcool (5 millions de personnes). La France reste à un niveau très élevé de prévalence du tabagisme en Europe : elle se situe au cinquième rang européen en 2019 pour le nombre de fumeurs quotidiens âgés de 15 à 75 ans.
Les addictions peuvent avoir des objets divers, dont la liste s’étend sans cesse, au fil des éditions du DSM (manuel diagnostique en psychiatrie). Aux dépendances classiques et reconnues (drogues, alcool, tabac, jeux d’argent et de hasard, psychotropes) s’ajoutent les dépendances à internet, aux achats, au sport, au sexe, au travail… On estime que ces addictions, encore peu quantifiées, touchent près de 6% de la population. En 2019, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a reconnu comme maladie de l’addiction le trouble du jeu vidéo (gaming disorder).
Qui sont les usagers ?
Les consommateurs de substances illicites n’appartiennent pas à un groupe clairement identifié : ils peuvent être des usagers socialement insérés tout comme des usagers précarisés, marginalisés. Leurs modes de consommation sont variés et l’éventail des drogues consommées est large. Substances licites ou illicites, les hommes sont plus consommateurs que les femmes. Tout comme pour les adultes, les trois produits les plus consommés par les adolescents sont l’alcool, le tabac et le cannabis. En 2021, sur dix élèves de troisième, six ont déjà bu de l’alcool, trois ont fumé du tabac, un jeune a expérimenté le cannabis et trois la cigarette électronique.
Des effets délétères
Les conduites addictives ont de multiples conséquences sanitaires et sociales (maladies, handicaps, suicides, violences, notamment conjugales, isolement, précarité…). Le tabac est responsable de plus de 75 000 décès par an, d’après Santé publique France. La mortalité attribuable à l’alcool est estimée à 49 000 décès par an. Le contentieux lié à l’alcool au volant représente 53% des condamnations pour délits routiers. 69 903 condamnations ont été prononcées en 2021 pour conduite en état alcoolique, et 57 206 pour conduite sous l’emprise de stupéfiants, selon la Contribution du ministère de la justice au Bilan annuel 2021 de la sécurité routière.