Jeudi 21 mars 2019, la chorégraphe Mélanie Perrier — compagnie 2 minimum — invite le public à se questionner sur la relation à l’autre avec le spectacle Care (2016). Dans un univers où la musique, la lumière et la danse ne font qu’un, une ode à la sollicitude et à la vulnérabilité sera dansée au Triangle. Entretien avec la chorégraphe.
Unidivers : Votre recherche tourne autour de la mise en relation de deux personnes, du duo en particulier. Comment en êtes-vous venue à vous orienter dans cette direction ?
Marine Perrier : Je travaille sur la question de la relation à l’autre depuis 25 ans, dès lors que j’ai entamé un travail dans le milieu de la danse. Selon le point de vue, c’est à la fois fichu ou bien parti pour continuer dans cette voie (rires). En termes d’écriture, je m’intéresse à la manière de modeler une relation. La relation à l’autre et le duo est un sujet extrêmement vague : quel est le type de relation ? Comment peut-on construire une relation entre deux partenaires ? Et quel type de danse se crée à partir du moment où on porte l’attention sur la relation au partenaire, et pas sur le mouvement que l’on fait ?
Unidivers : Sur le site de la compagnie 2 minimum, vous parlez de la relation entre la danse et la lumière, la lumière et la musique et la musique et la danse. En définitive, il est question de plusieurs duos qui se complètent et forment une boucle…
Marine Perrier : Exactement, plusieurs niveaux de relation peuvent se lire. Nous avons d’abord le noyau dur, ce qui réside à l’intérieur de deux personnes — ici les danseurs et danseuses.
La création d’un objet spectaculaire interroge le type de relation qui va se construire à partir de la danse et de tous les autres acteurs, la lumière et la musique. Chaque création représente une nouvelle relation à inventer sans a priori de départ, comme on peut parfois le penser, en particulier avec la danse et la musique. Je m’intéresse à la rencontre de ces deux disciplines : comment les faire se rencontrer et cohabiter sur un pied d’égalité ?
La lumière tient également une place importante dans mon travail depuis longtemps. Je pars du principe que la lumière ne fait pas qu’éclairer la danse. Un tissage entre les deux existe sans conteste, elle participe à la manière dont la danse va se construire et devient un vrai partenaire de danse. Ce mélange s’est peut-être joué de façon plus évidente sur Care ou Lâche, la précédente création. Selon les spectacles, je demande au créateur lumière de faire disparaître les interprètes afin de voir comment le public arrive à les visualiser après.
J’aime voir comment se crée un réseau de relations et fabriquer une œuvre où elles cohabiteront toutes.
Unidivers : Pour chaque spectacle, créez-vous en simultané la musique, la lumière et la danse ?
Marine Perrier : Les trois domaines sont effectivement travaillés quasiment en même temps. Cette façon de faire spécifique est étrangement trop rare à l’heure actuelle. Le créateur lumière reste les deux tiers du temps de la création, il participe à matérialiser l’environnement dans lequel évolue les danseurs et danseuses. La musique se crée avec la danse, donc il s’agit de créations originales live. Ce qui est le cas avec Care, la musique étant composée par Meryll Ampe.
Unidivers : Le spectacle Care sera présenté au Triangle le jeudi 21 mars 2019. Vous y questionnez cette relation à l’autre à travers une figure emblématique en danse classique : le porté. Elle est présente pendant toute la durée du spectacle, mais jamais à son apogée. Plus que la figure en elle-même, de multiples significations du mot sont ici représentées…
Marine Perrier : Le travail chorégraphique de Care se place au-delà du formel. L’idée était de travailler la figure du porté sans reprendre complètement l’héritage classique. Sans vouloir réinventer de nouvelles formes à ce porté, Care interroge sa signification d’un point de vue émotionnel et relationnel plutôt que formel ou physique. Que signifie accepter d’être porté et de porter ? Au final, pourquoi se porte-t-on, qu’est-ce que cet acte signifie, et à partir de quand ça commence ? Ce n’était pas les interrogations de la danse classique, mais elles nous ont traversés tout au long du processus créatif de Care.
On peut tout à fait se sentir porté dès le moment où on s’appuie légèrement sur l’épaule de quelqu’un. On n’est pas obligé de se porter entièrement pour porter quelqu’un.
Unidivers : L’éthique du Care est une théorie de la sollicitude, née dans les pays anglo-saxons. Comment se traduit cette théorie à travers un spectacle de danse ?
Marine Perrier : L’idée n’était pas d’assembler une litanie de significations, mais plutôt de voir comment il était possible de traverser cette figure (le porté) à partir d’une lecture de l’éthique du Care. La figure du porté est extrêmement genrée en danse classique, l’homme porte la femme et dans l’imaginaire collectif général c’est ainsi. Care renverse la situation et essaie de contrecarrer cette idée de force et du sempiternel « je suis tellement fort que je te porte ». Il tente de valoriser la notion de vulnérabilité. Du soutien à la sollicitude en passant par le fait de retenir, contenir et contraindre également, la vulnérabilité ne concerne pas forcément la personne qui se laisser porter, mais également celle qui porte.
L’éthique du Care nous l’apprend, la vulnérabilité est une force, pas une faiblesse. Care est une façon de célébrer cet état.
Unidivers : Pourquoi avoir choisi un duo d’hommes et un duo de femmes ? Pour marquer une différence ?
Marine Perrier : Au contraire, cette composition des duos permet justement de montrer l’indifférence. Alors même que les deux duos interprètent la même chorégraphie, les spectateurs sont confrontés à comment ils envisagent ou perçoivent les choses. Au-delà de la manière d’exécuter les mouvements, deux femmes et deux hommes qui se portent ne renvoient pas au même imaginaire. Les hommes ont de la force, c’est un fait, nous l’avons retrouvé et traversé dans le processus de travail. Cependant, une femme est aussi forte qu’un homme et de manière fascinante, le public n’a pas la même vision face aux deux duos.
Pendant le processus créatif, on s’est demandé comment opérer : réduire la force chez les hommes, en ajouter chez les femmes ou mettre plus ou moins de douceur chez les uns et les autres. C’est heureusement beaucoup plus fin et complexe en règle générale et j’ose espérer dans le spectacle. Care touche du doigt cette question et cherche à montrer que la différence n’est plus forcément valable. C’est clairement une construction sociale et pas une capacité physique réelle.
Unidivers : Avez-vous ressenti cette différence dans l’avis de spectateurs ?
Marine Perrier : Ils ne cherchent pas tant de différences dans les gestes, car ils sont contraints de constater que les deux duos dansent la même partition. Les interprètes ne font objectivement rien, mais des gestes sont parfois perçus comme doux, érotiques ou autres. Leur regard circule entre les deux duos, c’est intéressant à observer.
Care est un spectacle qui fait du bien. Beaucoup de spectateurs mettent du temps à sortir de l’univers de Care et donc de la salle. Des câlins avec leurs voisins sont parfois échangés. Je pense qu’ils se connaissent, mais ce n’est peut-être pas le cas. Le spectacle produit un bel effet. Il vient toucher, au-delà des questions de genre, la propre sollicitude de chacun. Peut-être parce que le spectateur reconnaît avoir été porté et porteur à un moment de sa vie. D’une façon ou d’une autre, Care célèbre tout ça de manière assez puissante parce qu’il touche des endroits très intimes et profonds.
Care de Mélanie Perrier – Compagnie 2 minimum. Le Triangle, cité de la danse.
Jeudi 21 mars 2019, à 20 h.
conception et chorégraphie Mélanie Perrier / danseuses Doria Bélanger & Marie Barbottin / danseurs Massimo Fusco & Ludovic Lezin / création musicale en live Méryll Ampe / création lumière Mélanie Perrier / régisseur lumière William Guez / assistante en analyse fonctionnelle du corps dans le mouvement dansé Nathalie Schulmann / consultant cirque Alexandre Fray / administration de production Hélène dechezleprêtre
Coproductions : Le Manège de Reims – Scène Nationale de Reims, CCN de Caen – Normandie (dispositif artiste associée), La Villette, Ballet de Lorraine – CCN de Nancy, Musée de la danse – CCN de Rennes, Théâtre de Bretigny, Scène conventionnée / Soutiens : CESARE – Centre National de création musicale / La Brèche, Pôle National des Arts du cirque – Cherbourg Octeville, La Briqueterie – CDC du Val de Marne, Maison des Arts de Malakoff – Centre d’art contemporain, Théâtre Louis Aragon – Scène conventionnée danse – Tremblay en France, Théâtre de l’Agora – Scène Nationale d’Evry / Avec le soutien de la DRAC Ile-de-France – Ministère de la Culture et de la Communication au titre de l’aide au projet / Avec l’aide d’Arcadi Ile-de-France.
CARE a bénéficié d’un accueil en résidence de création à Césare, Centre national de création musicale – Reims. La création musicale de Méryll Ampe a bénéficié du soutien de Césare.
Avec le soutien de l’Onda – Office national de diffusion artistique.
INFOS PRATIQUES
Le Triangle – Cité de la danse
Boulevard de Yougoslavie
35 000 Rennes
Téléphone : 02 99 22 27 27
TARIFS
18€ plein
13€ réduit
6€ -12 ans
4€ / 2€ SORTIR !
PASS Triangle :
13€ plein
10€ réduit
5€ -12 ans
++ sieste sonore
jeu 21 mars 19:00
un sas avant le spectacle, préparé par Méryll Ampe, créatrice sonore du spectacle.
gratuit réservation recommandée auprès de l’accueil.
AUTOUR DE
• MAR. 12 MARS
• Atelier
• Atelier “Se laisser porter”
• JEU. 21 MARS
• Care Sonore