Rennes. Dji-dji ou le regard d’un enfant sur la décennie noire en Algérie exposé à l’Hôtel Pasteur

dji dji ines collet djallil boumard

Dji-dji, c’est le nom du futur album jeunesse de l’illustratrice Inès Collet et de l’auteur Djallil Boumar. Du haut de ses sept ans, un enfant raconte son quotidien au cœur de la décennie noire en Algérie. En résidence depuis deux mois à l’Hôtel Pasteur de Rennes, la dessinatrice présente, jusqu’au samedi 7 décembre 2024, le travail en cours dans une exposition au premier étage. Le duo invite à un pot de fin de résidence samedi à 17h.

Dji-dji, c’est le surnom de l’auteur Djallil Boumar enfant. Naturellement, c’est aussi devenu le titre de l’album jeunesse qui raconte une partie de son enfance en Algérie. Avec Inès Collet à l’illustration, le duo travaille depuis plus deux ans sur l’histoire de ce petit garçon qui a grandi dans la wilaya (région) de Tipaza, dans les années 90. Avec ses yeux innocents, il explore le monde qui l’entoure et retranscrit ses souvenirs à travers de petites histoires teintées de remarques poétiques et du paysage ambiant auquel il fait face…

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Inès Collet, illustratrice de l’album jeunesse Dji-dji

Avant le roman graphique, il y a eu l’envie de Djallil Boumar, formé aux arts du spectacle, de partager ses souvenirs dans un seul en scène, avec distance et humour. Son projet prend une autre tournure artistique quand il rencontre l’illustratrice autodidacte Inès Collet, également sa compagne à la ville. « Le dessin donnait une couleur différente, en plus. Ce n’est plus un adulte qui parle de son enfance au passé, mais un enfant qui raconte son histoire au présent », explique-t-elle. « Il a permis de poser un regard plus enfantin, plus léger. » Dji-dji a alors pris forme dans la rondeur des traits d’Inès, volontairement simples, et les mots de Djallil. « C’était plus facile à écrire du point de vue de la distance, mais plus difficile à traduire », souligne l’auteur. « En tant qu’adulte, je pense autant en français qu’en arabe, mais Dji-dji pense et parle qu’en arabe. J’ai dû traduire mentalement le texte de l’arabe au français. »

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Né en 1991, le jeune homme a passé les premières années de sa vie au rythme de la décennie noire, nom qu’a pris la guerre civile algérienne des années 90. Le conflit a commencé en 1992, après le coup d’État militaire du gouvernement en place, le Front de Libération nationale (FLN). Alors que ce parti, au pouvoir depuis l’indépendance de l’Algérie en 1962, avait ouvert des élections et permis au Front Islamique du salut (FIS) de participer, il a annulé le processus électoral de peur que le FIS, arrivé deuxième au premier tour, remporte les élections et qu’une république islamique soit mise en place. Une grande partie des intellectuels, menacée, a fui le pays alors que d’autres ont été tués. « C’est un sujet complexe, il est difficile de résumer en quelques mots, mais je parlerais d’un trou générationnel fort pour les Algériens qui a des répercussions encore aujourd’hui, de bouleversement de notre regard sur le pays et sur notre imaginaire collectif à vivre dans le pays et une capacité à trouver le moyen de vivre quand même malgré tout », exprime-t-il. « Ce qui est important pour l’histoire, c’est de voir comment le regard qu’un enfant a porté sur cette période, avec sa naïveté. » Les armes et les explosions sont un quotidien, mais âgé de 7 ans, l’enfant continue en effet à vivre.

Dans cette autofiction qui prendra la forme d’un album jeunesse, le duo invite les lecteurs de 6 à 12 ans, mais pas seulement, à l’accompagner dans huit chapitres. Chacun contiendra une anecdote autour d’un objet ou d’un lieu, que Dji-dji partage avec simplicité. « Dans l’idéal, c’est une histoire qui pourra être lue par tout le monde, un peu comme quand tu lis une BD Calvin & Hobbes », précise l’illustratrice. « Quand tu es enfant, tu t’amuses de Calvin qui fait des bêtises et quand tu es plus âgé, il y a une autre lecture, plus philosophique. C’est un peu notre idéal. » Inès termine cette semaine sa résidence de deux mois à l’Hôtel Pasteur de Rennes. Un prologue et les trois premiers chapitres ont été réalisés et sont actuellement présentés au premier étage. Sur des tables, les planches se succèdent et donnent l’impression de découvrir le story-board d’un travail en cours.

On y découvre des personnages aux visages ronds afin de leur donner une légèreté enfantine. « Je trouve que ça transmet plus les émotions, on s’identifie plus facilement. » Les enfants possèdent de petits nez triangulaires et les adultes des plus imposants, pour leur donner du caractère. Les décors et l’ambiance sont plantés dans les premières pages des chapitres, puis place est faite aux personnages. « L’esthétique des décors a été plus difficile à trouver. J’avais peur que l’on oublie où l’on se trouve et que le décor soit trop réaliste par rapport aux autres dessins. » C’est finalement dans le travail de la texture, autant dans les matériaux du décor et des objets que dans les vêtements et la peau des personnages, qu’elle arrive à donner corps à l’univers recherché. Le public plonge au cœur du processus créatif et, une fois la dernière planche sous les yeux, l’envie de lire la suite ne peut que titiller les lecteurs et lectrices.

Ce travail va permettre à Inès et Djallil de démarcher les maisons d’édition, tout en se renseignant sur l’auto-édition afin que, quoiqu’il arrive, l’album existe. « La question que l’on se pose aussi, c’est de savoir si l’histoire est en arabe ou en français », ajoute-il. « Le rêve, c’est qu’il existe dans les deux versions ». L’auteur se rend en Algérie en décembre et compte commencer à se renseigner auprès des maisons d’édition. « Ce serait vraiment fort qu’il sorte en Algérie. Ce n’est pas une période qui est forcément dans le débat public, il y a une sorte de déni autour de cette histoire. »

L’exposition Dji-di est à découvrir jusqu’au samedi 7 décembre aux horaires d’ouverture de l’Hotel Pasteur, de 9h30 à 18h30 et le samedi de 14h à 18h30. Djallil Boumar et Inès Collet invite également le public à un pote de fin de résidence, samedi 7 à 17h.

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