Qui connaît encore l’épicerie du Carthage à Rennes, haut-lieu de la résistance bretonne pendant la Seconde Guerre mondiale ? Et Françoise Elie, courageuse jeune veuve et mère de famille qui prendra les rênes de ce commerce pour y oeuvrer de diverses manières contre l’occupation allemande ? Portrait d’une résistante bretonne.
« Écrire sur la vie de Françoise Elie, “le Prophète”, c’est raconter l’engagement et le combat dans Rennes occupée, c’est rappeler les déportations, la place des femmes dans la Résistance, c’est s’inscrire dans l’Histoire de la Seconde Guerre Mondiale et de la Libération. Dans la France occupée, tout naturellement, Françoise Elie, mère de deux enfants qu’elle élève seule depuis la mort de son mari, s’engage non seulement pour se libérer de l’occupant et du régime nazi mais aussi pour un monde meilleur » – Nathalie Appéré, maire de Rennes dans l’édito de l’ouvrage Françoise Elie (1905-1968), portrait d’une résistante rennaise de Joël David.
L’épicerie du Carthage, jadis sise dans le centre-ville de Rennes, à l’angle de la place du Calvaire et de la rue de Montfort, face au cinéma Le Royal, servit, durant l’occupation, de boîte aux lettres ainsi que de lieu de rendez-vous pour le réseau de résistance Bordeaux-Loupiac, un réseau d’évasion et d’exfiltration de parachutistes et d’aviateurs anglais et américains.
Françoise, Jeanne, Marie Quinton est née le 24 septembre 1905, à Fougères. À 16 ans, après avoir suivi toute sa scolarité à Fougères, elle devient comptable dans une usine de chaussures.
En 1927, la jeune et brillante Françoise épouse François Elie. Ils ouvrent ensemble une épicerie à Saint-Malo avant de racheter, deux ans plus tard, l’épicerie du Carthage à Rennes. François et Françoise emménagent à deux pas de l’épicerie, sur le quai Duguay-Trouin, très facilement accessible en empruntant l’escalier au bout de la rue du Carthage, juste en face de leur commerce.
Frappé par la tuberculose, François décède en 1939, laissant derrière lui sa dulcinée, seule responsable de l’épicerie et qui plus est, mère de deux enfants. Mais du haut de ses 33 ans, Françoise est bien résolue à agir contre l’occupation. Durant la Seconde Guerre mondiale, la Fougeraise agit activement dans la résistance en rejoignant, dans un premier temps, le réseau Défense de la France. Le journal éponyme de ce réseau est le plus gros tirage de la presse clandestine de l’époque et deviendra France-Soir par la suite. L’épicerie du Carthage sert alors de boîte aux lettres à ce mouvement et Françoise Elie n’hésite pas à cacher chez elle des tracts, des journaux clandestins, et même des armes.
Par la suite, la jeune mère intègre aussi le réseau Bordeaux-Loupiac et met, une fois de plus, son épicerie au service de ce réseau d’évasion allié. Le commerce sert de lieu de rendez-vous aux nouveaux adhérents et tous les jours, des centaines de journaux, des cartes d’identité falsifiées, des plans, des ordres de mission, etc., parviennent en ce haut-lieu de la résistance rennaise. En ces temps troublés, se montrer aussi dévouée à l’égard des résistants n’est pas coutume, Françoise se voit appelée « le Prophète ».
Le 3 mai 1944 le réseau est infiltré et malgré de fines stratégies préalablement mises au point, Françoise Elie est finalement arrêtée. Elle passe quatre mois à la prison Jacques-Cartier où elle subit des interrogatoires musclés qui ne lui font pas perdre espoir pour autant, car elle sait que les Alliés prévoient un débarquement qui a en effet lieu le 6 juin 1944. Malheureusement, cet épisode historique ne suffira pas à sauver la résistante des griffes allemandes. Le 4 août 1944, alors que la ville de Rennes est libérée, la jeune Fougeraise ne fait que frôler du bout des doigts la liberté. Le veille, elle est déportée en train vers l’Allemagne, en direction du camp de concentration de Ravensbrück. Après un convoi qui dure plus d’un mois et l’horreur du camp de concentration, elle est finalement reconduite à la frontière suisse puis rapatriée à Rennes en avril 1945.
À son retour, elle ne pèse alors plus que 38 kg. Malgré le bonheur que lui procure les retrouvailles avec ses enfants et son épicerie, son organisme reste très affaibli ; elle meurt à 62 ans le 14 juillet 1968.
Après une délibération du conseil municipal de la ville de Rennes le 9 mars 2015, le nom de Françoise Elie a été attribuée à une rue de Rennes. Celle-ci se situe entre la rue Jules Andrade et l’avenue Gaston Monnerville, au nord du cimetière de l’Est.
Le réseau Bordeaux-Loupiac a été fondé par Jean-Claude Camors. D’abord stagiaire à la Banque de France puis aspirant élève du 18e Régiment d’Infanterie de Bordeaux, il est fait prisonnier par les forces ennemies en 1939. Il parvient à s’évader dès 1940 et jure dès lors de ne jamais reprendre ses fonctions à la Banque de France « tant qu’il restera une botte ennemie pour fouler le sol de la Patrie ». En 1942 à Glasgow, il signe son engagement dans les Forces françaises libres, avant de se voir chargé de monter un réseau d’évasion d’aviateurs alliés au début de 1943. Il développe alors son réseau sur tout le territoire et fixe régulièrement des rendez-vous en divers points de Bretagne à des aviateurs cachés. Il agissait pour lors en qualité de Raoul Caulaincourt.
Jean-Claude Camors est déclaré « Mort Pour la France » le 11 octobre 1943. Alors qu’il accompagnait des aviateurs à Rennes, il fût découvert par un traître de la résistance au service des Allemands. À titre posthume, il reçut entre autres le titre de Compagnon de la Libération et à Rennes, une rue porte son nom depuis le 13 avril 1953 (légèrement au nord des actuelles Prairies Saint-Martin).
Grâce à l’œuvre de Jean-Claude Camors et à l’aide des membres de « Bordeaux-Loupiac », près d’une soixantaine d’aviateurs et de parachutistes alliés tombés sur sol français ont été évacués de la Bretagne vers l’Angleterre entre le 23 octobre 1943 et le 22 janvier 1944.
A Rennes, André Heurtier, un pharmacien, faisait figure de chef régional du réseau. C’est donc sous sa supervision que l’épicerie du Carthage de Françoise Elie est devenue un lieu incontournable de l’organisation et de la mise en place de ces exfiltrations alliées.
Outre la petite plaque commémorative et l’étroite rue à l’effigie de Françoise Elie, les honneurs rendus à cette grande femme paraissent assez maigres, compte tenu des risques qu’elle a encourus pour libérer Rennes de l’occupation. Ne pensez-vous pas que de telles figures devraient aujourd’hui briller dans le paysage rennais ? Pourquoi ne pas reconstituer, grandeur nature, la façade de l’épicerie du Carthage à l’endroit où elle existait naguère ?Afin d’exposer à la vue de tous les Rennais l’histoire de leurs pairs qui ont activement agit pour un monde meilleur, au péril de leur propre vie…
Carthage ou Cartage ?
L’actuelle rue rennaise porte le nom de Cartage et non Carthage, comme l’affichait fièrement l’épicerie d’antan. Bizarre, bizarre… D’où vient ce petit “h” ?
Au XVe siècle, cette ruelle en impasse desservait une maison dans laquelle les marchands de bestiaux devaient aller verser une part de la somme qu’ils avaient perçue pour la vente de leurs bêtes. Cette somme de cette « taxe », jadis dénommée le « carretage« , correspondait à un quart, ce qui signifie qu’à cette époque la TVA correspondait à 25%.
Cette maison, qui à l’époque devait avoir un bon volume de stockage, va, en 1484, à la demande du duc de Bretagne François II, père de la future Duchesse Anne, abriter un petit marché, qui est alors désigné sous le nom de Marché du Cartage. On peut alors y trouver du sel, du beurre, du suif, des graisses, du gruau (graines de céréales
dégermées), mais aussi des cuirs ou des laines.
En 1589, ce lieu devient principalement un magasin de blés et de farines. Dans une partie de ce marché, on y installe également un autre espace de péage, le « poids public » appelé également “Poids au duc”. C’est un lieu où se trouve une bascule qui peut fixer avec certitude le poids du bien qui sera vendu afin de pouvoir définir la taxe qui devra être versée. Mais on y trouve aussi un lieu où l’on fait fondre des pièces d’artillerie qui sont sous la responsabilité d’un contrôleur. Si bien qu’on y entrepose des barils de poudre qui vont, en 1612, faire sauter le bâtiment.
Un nouveau marché qui est reconstruit en 1631, va être à nouveau dévasté par un incendie, en 1740, et laisser place à des Hôtels particuliers. Le nom de Cartage est donné à cette ruelle vers le XVIIe siècle et officialisé par une dénomination du 24 juillet 1923.
Ainsi, au XVe siècle comme de nos jours, le “h” ne semble pas faire partie des invités. Pourtant, au XXe siècle l’épicerie de Françoise Elie, portait bel et bien le nom de Carthage, comme le prouve les images d’archives.
Selon Victor Lucien Decombe, employé de la mairie de Rennes, archéologue et écrivain du XIXe, notamment auteur de Notices sur les rues de Rennes 1883, : « Les administrateurs ne sont point obligés, paraît-il, de connaître l’histoire de leur ville. En voici la preuve : d’après l’orthographe administrative et officielle, le nom de cette rue est écrit Carthage, ce qui semblerait rappeler (et l’on se demande avec juste raison pourquoi) le souvenir de la célèbre cité africaine qui fut la rivale de Rome». Une simple erreur d’orthographe donc ?…
Si vous voulez en savoir davantage sur la vie de la courageuse résistante Rennaise qu’est Françoise Elie, cliquez ici et lisez en ligne l’ouvrage écrit par Joël David, un passionné d’odonymie (l’étude des noms des rues, places, chemin, lieu-dit, mais aussi écoles et équipement sportifs).
Depuis quelques années, Joël David travaille comme chargé d’odonymie à la ville de Rennes. Jour après jour, il analyse les plus de 1 830 noms de rues rennaises en essayant à chaque fois de retracer leur origine. Mais parfois, la tâche n’est pas si évidente ! Selon ses dires, il arrive souvent que des erreurs se glissent dans les noms des rues au fil du temps…