Elle est plasticienne, il est poète, elle est franco-argentine, il est breton. Helena Gath et Philémon Le Guyader ont assemblé leurs univers dans la confection de livres d’artiste où la poésie est sublimée par la gravure. Leur dernier ouvrage, Neige, vient de paraître aux éditions RAZ. Unidivers les a rencontrés au LA, l’atelier d’Helena, à l’occasion de la Fête de l’Estampe.
« Je n’ai pas l’habitude de signer autant… Je vais finir par me prendre pour Neymar ! » Philémon Le Guyader est d’humeur taquine. Installé à une petite table, il vient d’entamer la signature des exemplaires du livre Neige, le dernier-né de la collection qu’il a fondée avec Helena Gath. Celle-ci, quant à elle, présente son travail à des visiteurs avant de le rejoindre. Neige, ce sont trois poèmes écrits par lui (« Neige », « Kali » et « Cerf-volant ») et rassemblés dans un livre d’artiste confectionné par elle. Dans l’ambiance chaleureuse et intimiste de l’atelier LE LA (Lieu d’Effervescence et Lien Artistique), créé par Helena Gath en 2017, les deux artistes nous parlent d’eux et de leur dernier ouvrage.
Unidivers – Parlez-nous de vous, de votre parcours, votre travail…
Helena Gath – Mon parcours est assez atypique : je suis issue d’une famille d’artistes de la scène (comédiens, musiciens), mais je ne souhaitais pas emprunter cette voie. J’ai quand même eu la chance de fréquenter des artistes peintres et plasticiens argentins. Mon père est en effet argentin et nous recevions beaucoup d’artistes qui fuyaient la dictature. J’étais vue comme une petite enfant pas sage, qu’on aurait détectée hyperactive si cela avait été détectable à l’époque, sauf quand j’avais un crayon dans les mains (rires)… Je n’ai pas fait d’école d’art, j’ai appris sur le tas, dans les ateliers des artistes que côtoyait ma famille, qui étaient de l’âge de mon père.
Je ne me suis pas mise à l’art tout de suite, mais cela a fini par me rattraper… Je suis retournée en Argentine à 35 ans, j’ai fait une grosse exposition en 2007. C’est là qu’on m’a dit qu’il fallait vraiment que je suive la voie de l’art, j’ai compris que j’étais faite pour cela. Après cela, j’ai fait des petites et grosses expositions en Argentine, à Buenos Aires, puis à Vienne, en Autriche, avec des artistes argentins. De là se sont noués des contacts avec l’Italie et avec des artistes barcelonais. Je me suis recentrée petit à petit, avec une exposition à Paris, puis j’ai atterri à Rennes en 2011, dans des résidences artistiques, car je n’avais pas encore d’atelier. J’ai fait partie de l’association « Les Agités du Bocal » (association créée en 2005 regroupant des plasticiens et créateurs professionnels, NDLR) et, en 2017, j’ai fondé l’atelier LE LA.
Philémon Le Guyader – Je suis principalement poète et éditeur. J’ai fondé en 2015 les éditions RAZ, qui publient des auteurs français et étrangers dans différentes collections. La collection principale, RAZ, publie des recueils de poésie, mais il y d’autres collections : POV qui publie des textes courts accompagnés d’illustrations, GLG (pour Gath Le Guyader) qui est la collection d’Helena et moi. Nous avons également des collections binationales avec des auteurs français et étrangers, du Mexique, d’Argentine et de Belgique. J’écris moi-même beaucoup : plus de 5300 textes rien que sur une série, que je compile dans mon ordinateur. Mais je ne publie pas tout ce que j’écris…
Unidivers – Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Helena Gath – Je suis plutôt littéraire : ce sont les textes qui déclenchent chez moi l’inspiration, surtout la poésie, y compris des textes poétiques d’auteurs qui ne sont pas des poètes. Mes influences sont variées : René Char, Rainer Maria Rilke, etc. Ce n’est pas forcément le texte lui-même qui m’inspire, mais plutôt l’ambiance qu’il crée. J’ai fait récemment une étude de La Vie Nouvelle de Dante. Je m’inspire bien sûr des textes de Philémon dans le cadre de notre collaboration. Je suis également influencée par des plasticiens et des peintres, notamment argentins comme Leo Torres Aguero, Dora Castro ou Guillermo Mordillo qui est un dessinateur humoristique, mais également de grands artistes comme Klimt, Chagall ou Kokochka. J’ai aussi un intérêt pour les affichistes de l’URSS.
Philémon Le Guyader – Tout peut m’inspirer : des observations, la beauté en général, des femmes qui passent devant moi… Au niveau du style, je n’ai pas de modèle particulier : ma poésie est en vers libre, non rimé.
Unidivers – Comment vos routes se sont-elles croisées ?
Helena Gath – Sur Facebook. Philémon était lié avec un ami argentin, Roberto Cedron (graveur argentin installé à Douarnenez et décédé en 2018, NDLR), dont la famille est arrivée en France au temps de la dictature. À partir de là, on a croisé les informations, les posts sur Facebook, et c’est comme cela que l’on a commencé à échanger. C’est le hasard qui a bien fait les choses !
Philémon Le Guyader – Nous avons déjà réalisé un livre ensemble, Joue Maestro, en hommage au père d’Helena qui était musicien et qui a travaillé avec Paul Simon, du duo Simon et Garfunkel. On s’était dit : « j’écris les poèmes, elle fait le livre ». Notre objectif était de sortir un livre par an. Là, on a pris du retard, mais on a finalement fait aboutir un nouveau projet avec Neige.
Unidivers – Justement, votre deuxième ouvrage issu de votre collaboration vient de paraître aux éditions RAZ dans la collection GLG. Comment est née l’idée de Neige ?
Helena Gath – C’est une anecdote qui en est à l’origine. La première fois que Philémon est venu à l’atelier, on a pris un café dans le jardin. Comme Philémon aime beaucoup les chats, je lui ai dit qu’on en voyait beaucoup ici. Justement, il y avait un chat couché sous la haie, tout blanc comme la neige. J’ai dit à Philémon : « En voilà d’ailleurs un qui dort », mais il connaît mieux les chats que moi, et il a eu un doute. Alors nous sommes allés voir, et nous nous sommes aperçus que le chat était mort ! Cela nous a un peu bouleversé, car nous n’avions jamais vu un chat mort ! Nous avons téléphoné au voisin, il nous a dit que le chat n’était pas à lui, mais qu’il connaissait la propriétaire. Quand nous le lui avons rendu, nous lui avons demandé comment il s’appelait, et elle nous a répondu : « Neige ».
Le jour même ou le lendemain, Philémon a écrit un poème. C’était début 2018, mais le projet est resté en stand-by car je ne voyais pas trop ce que je pouvais faire de ce poème. Tout a été relancé l’hiver dernier, car Philémon a également perdu son chat, Kali, et cela lui a inspiré un nouveau poème, donc on a pu raccrocher les deux textes. Enfin, le dernier texte, « Cerf-volant », exprime l’amour, la liberté, l’envol. Avec ces trois textes, j’avais de la matière pour travailler.
Unidivers – Quelles techniques avez-vous employées pour réaliser cet ouvrage ?
Helena Gath – La couverture a été réalisée par gaufrage. Je crée un pochoir que je pose sur une source lumineuse, je pose le papier sur le pochoir et je travaille le derrière pour obtenir une partie en relief. Pour les illustrations intérieures, j’ai utilisé la technique de la gravure sur plâtre, qui consiste en une gravure en relief (il y a un creux autour du dessin) faite sur du plâtre de bâtiment et tirée au rouleau, et de l’eau forte, qui consiste à travailler le zinc selon un procédé complexe : il faut vernir la plaque, mordre à l’acide et tirer sous presse taille-douce. En ce qui concerne les textes, je les ai tapés à la machine à écrire.
Unidivers – Qu’est-ce qui motive le choix de telle ou telle technique ?
Helena Gath – L’eau forte est la technique que j’emploie le plus souvent, car elle donne une infinité de possibilités. Le gaufrage répond à un principe de la collection GLG, qui veut que pour chaque ouvrage soient réalisés un gaufrage en couverture et une gravure. Enfin, la gravure sur plâtre me paraissait évidente pour symboliser la neige, et c’est une technique qui demande un peu moins de précision que les dessins à l’eau forte, plus élaborés. Les textes ont été tapés à la machine à écrire, car c’est celle de mon père, et le résultat est tout à fait différent de celui qu’on obtiendrait avec une impression à plat : cela frappe le papier et donne un petit côté martelé. En revanche, il n’y a pas le droit à l’erreur, sinon il faut tout recommencer ! En fait, ce sont les besoins du dessin qui déterminent la technique utilisée. Je dessine d’abord, puis je mets la technique en œuvre.
Unidivers – Les poèmes sont en français et en espagnol. C’est un clin d’œil à vos origines ?
Helena Gath – Cela avait déjà été fait pour notre premier ouvrage en collaboration, Joue Maestro, en hommage à mon père. De plus, Neige sera sans doute lu en Argentine.
Philémon Le Guyader – Le principe premier de la collection GLG n’est pas d’être une collection bilingue, mais de proposer des ouvrages autour d’un sujet précis, même s’il est vrai que c’est un hommage aux origines d’Helena.
Unidivers – Avez-vous eu des retours de personnes ayant lu/vu votre travail ?
Helena Gath – L’ouvrage venant juste d’être publié, nous avons eu peu de retours. En revanche, nous avons eu plein de retours enthousiasmants de personnes qui ont vu les photos que nous avons publiées sur Instagram.
Philémon Le Guyader – C’est vrai que Neige n’a pas été trop montré pour le moment. Il n’a pas vocation à être vendu en librairie, mais plus à être présenté lors de salons, d’expositions. Il a été envoyé à la Bibliothèque nationale de France pour dépôt, qui nous avait fait un beau commentaire sur notre premier ouvrage.
Helena Gath – C’est vraiment un livre d’artiste, réalisé de toutes pièces par l’artiste. Il n’a été tiré qu’à vingt exemplaires : chacun représente environ cent heures de travail ! Cependant, en faire moins, cela aurait été trop peu pour éditer.
Unidivers – Des projets pour l’avenir ?
Helena Gath – Nous avons quelques projets pour un troisième livre, mais pas pour tout de suite. J’ai déjà quelques idées, sur Maradona par exemple… Nous avons fait notre premier livre ensemble en 2019, nous sortons le deuxième cette année, donc un livre tous les deux ans, c’est un bon rythme (rires) ! C’est ça qui est bien : on ne se met pas de pression, on fait ce qu’on veut. De toute façon, cela reste une passion : si l’on se met la pression, cela ne marche pas.