L’Hôtel Pasteur est au cœur de Rennes et de son histoire. Il est lié à l’histoire des sciences et à la vocation intellectuelle de la ville. Mais l’occupation et le patrimoine scientifiques ont migré année après année vers d’autres espaces. Pour le malheur des uns, et le bonheur des autres. Une éphémère « Université foraine » s’est installée dans l’édifice vacant en 2013 avant de se muer en « Hôtel à projets » en 2016. Histoire d’un lieu en devenir.
Le bâtiment de la place Pasteur est construit à partir de 1888 par le célèbre architecte de la ville de Rennes Jean-Baptiste Martenot (1828-1906) à qui l’on doit également le lycée Émile Zola, le Musée des Beaux-Arts, les Halles Centrales, entre autres monuments prestigieux. Il est destiné aux étudiants en sciences sous forme d’un lieu pour leurs études et leurs recherches; en effet, depuis 1840, ces derniers partagent les locaux de l’Hôtel de Ville et du « Palais universitaire » (actuel Musée des Beaux-Arts) avec les autres étudiants, toutes matières confondues. C’est donc sur les bords de la Vilaine, en plein cœur de Rennes, que la Faculté des Sciences s’érige et reçoit des professeurs prestigieux. Les étudiants (majoritairement masculins*) sont au nombre de 100 en 1895 et 225 en 1914; les laboratoires de recherche se multiplient.
La Fac Pasteur doit s’agrandir
En 1953, Yves-Lemoine, architecte adjoint de la ville, réalise des agrandissements à l’est du bâtiment initial. Si le bâtiment est « trop petit », c’est parce qu’outre les cours, dans toutes les disciplines scientifiques, et les laboratoires, il y héberge de multiples collections à caractère scientifique. L’établissement mesure 8000 m2. À partir de 1965, les départements de sciences déménagent petit à petit sur le nouveau campus de Beaulieu. Ne reste plus que la « fac dentaire » qui finit à son tour par déménager à Villejean en 2006 avec ses 450 étudiants. Il reste aujourd’hui uniquement le centre de soins dentaires du CHU au rez-de-chaussée qui devrait quant à lui déménager, en 2017, vers Pontchaillou. L’espace libre est donc vaste.
Un patrimoine scientifique et culturel
La faculté des sciences a fait venir dans ses murs de nombreux objets scientifiques qu’elle a longtemps conservés. Les collections se composent de plantes fossiles et d’herbiers (les plus anciens datent de la fin du XVIIIe siècle) recueillis par Félix Dujardin (1801-1860) qui a obtenu une chaire de botanique et de zoologie à Rennes en 1840 et qui sera Doyen de la Faculté en 1842. Ce dernier a aussi produit des centaines de dessins et de planches murales pour l’enseignement de la zoologie et de la botanique. On trouvait aussi à la faculté Pasteur des pièces de zoologie anciennes comme celles comprises dans le Cabinet des curiosités de Robien (1698-1756). De nombreux instruments scientifiques ont été acquis par la faculté des sciences : appareils d’acoustique, instruments d’optique, appareils d’électrostatique, électricité et électromagnétisme, appareils de Jacques, Pierre et Marie Curie pour mesurer la radioactivité ou encore une copie du gyroscope de Léon Foucault… Aujourd’hui, ces collections se trouvent réparties entre Beaulieu, dans la faculté de pharmacien, et au Musée des Beaux-Arts où elles sont pas toujours accessibles au grand public.
Des scientifiques prestigieux
Des enseignants et des chercheurs talentueux ont réalisé une partie de leur carrière dans la prestigieuse faculté Pasteur. Ils ont contribué au rayonnement intellectuel de Rennes : la liste de ses brillants scientifiques est longue et ne saurait être exhaustive. Commençons par une mathématicienne, Marie-Louise Dubreil-Jacotin (1905-1972). Première femme à être chargée de cours dans une université française en 1938, elle connait un parcours exceptionnel, reçue seconde au concours d’entrée de l’École Normale de Paris, elle devra céder sa place aux candidats masculins mais, tenace, ouvrira la voie à d’autres femmes dans leur combat pour étudier. Le mathématicien français Henri Lebesgue (1875-1941) rédige sa théorie de l’intégration lors de son séjour à Rennes de 1902 à 1906, maître de conférences de mathématiques à Rennes de 1902 à 1906, il devait par la suite devenir professeur à la Sorbonne (1910) et au Collège de France (1921). Il encouragera Louis Antoine (1888-1971), devenu aveugle pendant la 1re Guerre mondiale, à poursuivre son travail dans le domaine des mathématiques. Ce dernier deviendra maître de conférences à Rennes en 1922. Jean-Paul Benzécri (né en 1932) révolutionne l’analyse statistique des données. Grâce à lui, Rennes est une des premières universités à disposer d’un ordinateur. À la faveur de cette découverte, Michel Métivier (1931-1988) pourra fonder en 1975 l’Institut d’informatique (Irisa).
De même, c’est lors de son passage à Rennes que le spécialiste de l’électromagnétisme Pierre Weiss (1865-1940) construit un électro-aimant qui sera mondialement diffusé. Alors que les chimistes rennais créent en 1919 un institut de chimie (aujourd’hui l’école nationale supérieure de chimie de Rennes), le chimiste Paul Hagenmuller (né en 1921) et ses travaux offrent à Rennes une réputation internationale dans la chimie des matériaux. D’autres garantissent également à Rennes une grande renommée : le botaniste Lucien Daniel (1856-1940) et ses études sur les phénomènes de la greffe (ces dernières ont permis le salut du vignoble français au début du XXe siècle), le géologue Yves Milon (1897-1987), maire de Rennes après-guerre, qui initiera la création d’un Institut de géologie rue du Thabor, François Massieu (1832-1896), professeur de minéralogie et de géologie, le chimiste Henri Le Moal (1912-2001) initiateur de la création de Rennes 1 de Rennes 2 ou encore le premier président fondateur de Rennes Atalante : le chimiste René Dabard (né en 1931). Tous ces scientifiques, et bien d’autres encore, ont contribué au développement scientifique et culturel de Rennes.
Un patrimoine en question
Aujourd’hui, le bâtiment de la Faculté des sciences est en attente de rénovation. En 2013, les interrogations ont été actualisées. Quel doit être son usage ? La mairie de Rennes a décidé d’opérer une reconversion du lieu. Après de nombreux reculs et hésitations, le bâtiment doit finalement accueillir au rez-de-chaussée une école maternelle à la rentrée 2019 (l’école du Faux-Pont actuellement rue Saint-Hélier). Le reste du bâtiment (soit les 2/3) accueille depuis 3 ans un espace libre d’expérimentations alternatives, administré par l’énergique Sophie Ricard ; différentes pratiques, disciplines et acteurs y participent à une aventure humaine originale et créatrice (voir notre article). Cet « hôtel à projets » est en soi une manière nouvelle de découvrir cet édifice architectural. Il offre également une incarnation à l’imaginaire collectif des Rennais où créer de nouveaux liens sociaux. Dès septembre 2016, différents collèges, ouverts aux particuliers et aux associations, vont venir questionner et structurer la gouvernance de l’Hôtel à projets.
Cela étant, les réactions sont diverses par rapport à cette redéfinition du lieu. L’association Les amis du patrimoine rennais a décidé de ne pas prendre parti sur l’affectation des lieux patrimoniaux. Ils n’interviennent que dans le cadre d’une dégradation ou d’une atteinte à l’intégrité du bâtiment. À l’inverse, une partie de la communauté scientifique s’est insurgée il y a 3 ans contre le projet de « l’hôtel à projets ». Une association s’est alors créé « Rennes en Sciences ». Objectif : créer un « espace muséal » qui regrouperait toutes les collections scientifiques de la ville de Rennes. Un lieu où seraient valorisées et exposées au public des années de recherches scientifiques. Cette proposition n’a pas été retenue par la municipalité. Peut-être aurait-elle eu plus de chance d’aboutir si elle avait été formulée quelques années plus tôt.
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Petit rappel historique
Si certains se demandent pourquoi les inventeurs, scientifiques et grands chercheurs du début du XXe siècle sont majoritairement masculins, il faut se rappeler que les femmes ont dû lutter pour accéder aux études supérieures, voire aux études tout court.
La loi du 21 décembre 1880, dite Loi Camille Sée sur l’enseignement secondaire des jeunes filles (senat.fr). Un très timide pas en avant vers une instruction féminine :
Beaucoup de jeunes filles seraient capables, sans doute, de suivre jusqu’au bout et avec succès tout le programme des lycées ; mais il ne s’agit pas de leur donner toutes les connaissances qu’elles sont aptes à acquérir ; il faut choisir ce qui peut leur être le plus utile, insister sur ce qui convient le mieux à la nature de leur esprit et à leur future condition de mère de famille, et les dispenser de certaines études pour faire place aux travaux et aux occupations de leur sexe. Les langues mortes sont exclues ; le cours de philosophie est réduit au cours de morale ; et l’enseignement scientifique est rendu plus élémentaire ; on peut ainsi donner de l’extension à l’étude de la langue française, des langues vivantes, de la littérature et de l’histoire, tout en restreignant le nombre des années de la scolarité.
La société d’alors ne conçoit pas que la jeune fille n’ait d’autre finalité que le modèle « traditionnel » de la femme, celui hérité depuis toujours. Les collèges et lycées de jeunes filles n’ont donc pour vocation que d’en faire de bonnes épouses et de bonnes mères sachant instruire leurs enfants et gérer correctement leur quotidien à la maison. Les femmes n’ont pas pour vocation de « remplacer » les hommes dans leurs fonctions, elles ne sont pas invitées à développer leurs capacités intellectuelles, s’instruire ou faire des recherches. Tout au long du XXe siècle, l’accès des femmes aux grandes écoles reste très limité et l’Église catholique veille farouchement à ce que les femmes restent à la place qui leur est assignée.
1861 : Julie Victoire Daubié, première femme française à avoir le droit de se présenter au baccalauréat (et à l’obtenir), l’enseignement obligatoire du latin et du grec lui aura été dispensé par son frère. Les cours à la Sorbonne étant interdits aux femmes, elle préparera son diplôme d’études supérieures et l’obtiendra malgré tout en 1872.
1907 : on compte en France une femme pharmacienne et 2 à Montpellier. 83 femmes docteures en médecine (dont 70 à Paris)
1924 : Loi Bérard, le programme scolaire des garçons et des filles devient le même, rendant possible l’accès des filles au baccalauréat (dans le public).
1938 : fin de l’incapacité civile des femmes. Elles obtiennent le droit de s’inscrire à l’université sans l’autorisation de leur mari.
1975 : obligation de la mixité scolaire.
Sources :
Documentation à propos du patrimoine historique et scientifique de la faculté Pasteur :
Site de l’hôtel Pasteur, « hôtel à projets »
Photos : Caroline Morice