Le festival de la TIR se déroule à Rennes du 27 juin 2023 au 1er juillet, au café-théâtre Le Bacchus. En activité depuis 1998, la Troupe d’improvisation rennaise organise la seconde édition de son festival en conviant d’autres troupes du grand Ouest. C’est le signe du succès grandissant de cette pratique théâtrale qui fait son apparition en France dans les années 1980. Julia Mouazan et Zacharie Mary, comédienne et comédien de la TIR nous en disent plus.
« Improviser, ça ne s’improvise pas ». Courant dans le monde de l’impro, ce dicton révèle, derrière sa contradiction apparente, la complexité de cette pratique scénique qui se développe parallèlement et à l’ombre du théâtre classique. Julia Mouazan et Zacharie Mary, tous deux membres de la Troupe d’improvisation rennaise (TIR), ont d’ailleurs découvert cet univers alors qu’ils pratiquaient le théâtre. Un peu par hasard, en suivant un metteur en scène ou un professeur. « C’était un énorme coup de cœur de voir ces comédiens arriver sur scène avec trois mots et créer une histoire de A à Z », témoigne Julia. « Il y a le goût du risque, se jeter dans l’inconnu sans texte. Ça a un côté effrayant, mais aussi tellement excitant », ajoute Zacharie. Tout aussi séduit l’une que l’autre, ils décident de s’initier aux techniques de cet art. Car improviser, ça ne s’improvise pas.
Zacharie Mary a même fait de l’improvisation son sujet de recherche de mémoire d’études théâtrales. Le jeune chercheur en profite pour nous résumer l’histoire de l’improvisation. « On peut remonter très loin. L’impro est liée au théâtre depuis l’Antiquité. » Il cite ainsi les fables Atellanes dans la Rome Antique, « des saynètes de comédie avec des personnages récurrents aux caractères identifiés, mais un contenu improvisé ». Ce modèle inspire, à la Renaissance, la commedia dell’arte, qui s’appuie non seulement sur des personnages récurrents, mais aussi sur un canevas qui délimite l’action. Entre-temps, l’improvisation a aussi été au Moyen-Âge une discipline de l’art oratoire pratiqué par les professions lettrées.
L’improvisation moderne apparaît quant à elle au tournant du XXe siècle. Elle est une part de La Méthode, système conçu par le professeur d’art dramatique russe Constantin Stanislavski. « Pour interpréter au mieux les personnages, Stanislavski demandait aux comédiens de se mettre dans la peau de leurs personnages dans des situations de la vie quotidienne. Il utilisait l’impro pour qu’ils aillent chercher au fond d’eux-mêmes ce que leur personnage ressentait », explique Zacharie Mary. La Méthode connaît un vif succès et se répand en Europe et surtout aux États-Unis où, dans les années 1930-1940, elle est reprise et développée par des théoriciens et professeurs comme Viola Spolin ou Lee Strasberg. De premières représentations avec des suggestions du public voient le jour, pour « présenter la technique des comédiens dans une situation où ils ne sont pas prêts ». Encouragées par un contexte de remise en question de l’art dans les années 1950-1960, des compagnies d’improvisation se lancent. Elles aboutissent en 1967 à la création du long form (littéralement, la forme longue) avec le Harold, une structure permettant d’explorer un thème à travers à travers une série d’improvisations reliées entre elles.
Mais l’impro qu’on connaît principalement en France, et encore majoritaire aujourd’hui, nous vient du Canada. Plus précisément, du Québec, où dans les années 1970 l’impro devient un moyen de créer un théâtre québécois, débarrassé du répertoire français. En 1977, au sein du Théâtre expérimental de Montréal, Robert Gravel crée alors le match d’impro, sur le modèle du sport national canadien : le hockey. Avec tout le décorum qui va avec : deux équipes de six joueurs, en maillot, sur une patinoire, avec un palet, un arbitre. « Tout le monde était flippé, mais ça marche du tonnerre. Les quatre dates affichent complet. Et le phénomène commence. » L’année suivante, un championnat d’impro est lancé, toujours sur le modèle du hockey. En 1981, les Québécois désireux de transmettre leur nouvelle pratique entament une tournée en France, comprenant représentations et ateliers d’initiation. Malgré quelques inquiétudes et incompréhensions de la part du monde du théâtre français (et de l’équipe de hockey de Poitiers qui se pointe au spectacle en pensant y trouver un match de son sport favori…), la formule suscite la curiosité et obtient finalement un beau succès d’estime. La même année est créée la Ligue d’improvisation française qui commence alors à essaimer dans le reste du pays.
Fondée en 1998, la TIR (troupe d’improvisation rennaise) est un enfant de ce mouvement. Ce n’est pas la première troupe créée à Rennes, mais c’est aujourd’hui la plus ancienne. Elle pratique les principales formes d’impro qui existent : le match, le cabaret, le catch et la forme longue. Le match reprend le modèle québécois. Deux équipes de six joueurs s’affrontent. Un arbitre tire un thème et les modalités de l’impro : le nombre de joueurs, la durée (entre 3 et 10 minutes en moyenne), parfois une catégorie. Les règles sont strictes et l’arbitre peut donner des pénalités, pour rudesse ou cabotinage par exemple.
Le catch est quant à lui beaucoup plus libre. C’est une création de la pratique française au début des années 2000. « Il naît de l’envie d’être plus libre, d’un format où on fait ce qu’on veut », explique Zacharie Mary. Cette forme fait s’affronter sur un ring plusieurs duos, qui reprennent les identités très marquées des duos de catcheurs. « Tu arrives dans ton personnage et tu le restes toute la soirée sauf sur le ring où tu vas jouer des impros en fonction du thème donné par l’arbitre. » Mais ici, pas de règles. L’objectif est avant tout d’amuser le public, peu importe le moyen.
Une autre forme est le cabaret. C’est certainement la forme la plus simple : quatre comédiens d’une même compagnie improvisent à partir d’un mot donné par le public. Ils sont aidés d’un musicien ou d’un DJ et leurs impros sont ponctuées par l’intervention d’un maître de cérémonie.
Enfin, la dernière est la forme longue. Venue du courant américain, elle arrive en France en 2007 lorsque la compagnie professionnelle Eux représente pour la première fois un Harold. « La pratique du long form, c’est la découverte des horizons de l’impro. On se rapproche vraiment du théâtre : le but est d’inventer un format, de concevoir un spectacle », affirme Zacharie. Là encore, une grande liberté est possible : intervention ou non du public, choix de s’inscrire dans un genre ou un style, etc. Par exemple, l’année dernière la TIR a souhaité travailler la comédie musicale. Comédiens et comédiennes se sont formés à danser, chanter et écrire à la façon d’une comédie musicale. Le jour de la représentation, les thèmes venaient du public. Cette année, les membres de la troupe ont glané des enregistrements sonores courts. Pendant le spectacle, le DJ de la troupe passera ceux de son choix pour fixer des thèmes aux comédiens.
Ce spectacle, On vous TIR les oreilles, sera représenté dans le cadre du festival de la TIR qui se tient au Bacchus du 27 juin au 1er juillet. Car pour la seconde édition de son festival, la troupe rennaise a décidé de mettre la forme longue à l’honneur. « L’an dernier, on avait fait un festival large qui présentait toutes les formes qui existent en impro. Cette année, on a voulu axer sur les formes longues, parce que le match est déjà connu des gens qui viennent nous voir et que la salle du Bacchus nous donne l’occasion de proposer de beaux spectacles qui changent », explique Julia Mouazan.
De plus, le festival est le moment d’inviter d’autres troupes d’impro rennaises ou du grand Ouest, dans une logique de rencontre. À la programmation cette année, on trouve la TURI de Rennes, Lait Chaud de Nantes, la Tique de Chartres-de-Bretagne ou encore Restons Calmes de Bordeaux. Chaque troupe présente un spectacle de longue forme, et quatre troupes se réunissent pour un spectacle surprise samedi 1er juillet.
Premier festival d’impro à Rennes, le festival de la TIR est le signe d’un engouement pour la pratique. Aujourd’hui, Rennes compte une quinzaine de troupes. Beaucoup se créent dans les communes de la métropole. Certains bars accueillent régulièrement des représentations : le Hangar, Les 400 Coups, La Bamboche du béret où se tient le premier dimanche de chaque mois une scène ouverte organisée par nombre de joueurs illimités. Ces événements sont relayés sur le groupe Facebook Impro à Rennes.
Et le public suit aussi. « Pendant un moment, l’impro était décriée. On était vus comme les cousins débiles du théâtre », rappelle Julia Mouazan. L’impro a beau être née dans les sphères expérimentales du théâtre, elle a, notamment dans sa version québécoise, hybridée du hockey, cultivé un rapport important avec le populaire. « Ce qui est raconté dans les articles de presse des débuts de l’impro, c’est que le public n’est pas du tout le même qu’au théâtre classique. Comme c’est l’univers du hockey, les gens se sentent plus libres. Ils mangent dans la salle, ils clopent, ils gueulent, comme au stade », raconte Zacharie Mary.
Même s’il existe désormais un public connaisseur des codes de l’impro, la pratique reste populaire. Par ses lieux de diffusion et son accessibilité financière, l’entrée se faisant souvent au chapeau. Par son interaction permanente avec le public. Par sa dimension souvent amateur qui permet à l’assemblée de s’identifier, voire, de lui donner à elle aussi l’envie de monter sur scène. Avis aux intéressés, la TIR ouvrira d’ailleurs des recrutements en septembre. En attendant, retrouvez l’équipe de la TIR du 27 juin 2023 au 1er juillet pour la seconde édition de leur festival.