RENNES. JEAN JOUZEL APPELLE À L’ACTION FACE AU CHANGEMENT CLIMATIQUE

Jean Jouzel initiait le cycle de conférences sur les enjeux de la transition écologique de l’Institut Agro Rennes-Angers (ex-Agrocampus Ouest) vendredi 4 mars 2022. Invité de marque, le paléoclimatologue, ancien vice-président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), a répondu pendant trois heures aux questions des étudiants sur l’adaptation de la société au changement climatique, le dialogue entre science et société ou encore les relations entre experts et décideurs. Avec un mot d’ordre : il est urgent d’agir. Jean Jouzel sera à l’espace des sciences des Champs libres mardi 22 mars 2022, pour une discussion avec les jeunes du territoire dans le cadre du temps fort Nos Futurs.

Lorsque l’on évoque le changement climatique, comment ne pas penser à Jean Jouzel ? Ce Breton de naissance (il naît à Janzé le 5 mars 1947) a été de tous les grands combats de ces dernières décennies visant à mettre le réchauffement climatique au centre de l’attention. Paléoclimatologue et glaciologue, docteur en sciences physiques à 27 ans, il signale dès 1987, dans un article publié dans la revue Nature, le lien entre l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre et l’augmentation de la température moyenne à la surface de la Terre, à partir de l’analyse des calottes glaciaires antarctiques. C’est le désormais bien connu “effet de serre”. Distingué par plusieurs prix pour ses travaux, il intègre en 1994 le GIEC, groupe d’experts chargé d’analyser l’évolution du climat, avant d’en devenir le vice-président entre 2002 et 2015.

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Jean Jouzel

Un invité prestigieux, donc, pour le coup d’envoi du cycle de conférences “TransFORMER : Intégrer les enjeux environnementaux pour agir et changer la société”, imaginé par l’Institut Agro Rennes-Angers. Ce programme vise à contribuer à « la formation d’un socle commun de connaissances sur l’écologie, mais aussi de valeurs » face aux doutes et aux incertitudes liées à la transition écologique « qui témoignent d’une difficulté à se mettre d’accord sur des notions et des concepts qui étaient autrefois plus consensuels », selon les mots introductifs de la directrice de l’Institut, Alessia Lefébure, citant en exemple le progrès, la richesse ou la justice.

L’importance de l’éducation 

Jean Jouzel l’affirme sans détour : les jeunes générations sont les plus concernées par les évolutions climatiques. « Si on réussit à maintenir le réchauffement climatique dans des limites raisonnables, à préserver la biodiversité, vous pourrez avoir des conditions agréables de développement », expose-t-il aux étudiants ; sinon, les effets du réchauffement, dont certains se font déjà ressentir (chaleurs extrêmes, fonte des glaciers, assèchement des rivières), auront des conséquences graves sur la vie humaine dans la seconde moitié du siècle. D’où l’importance, selon le scientifique, de sensibiliser les jeunes aux enjeux de la transition écologique, grâce à l’éducation. Il rappelle ainsi son engagement pour l’inclusion de la transition dans les programmes du secondaire et dans l’enseignement supérieur, lui qui fut l’auteur d’un rapport sur ce sujet, remis à la ministre de l’Enseignement supérieur Frédérique Vidal en février 2022. L’ambition : 100 % d’étudiants concernés, dans toutes les filières, car, souligne Jean Jouzel, « cette transition concerne tous les pans de notre société : elle est énergétique, climatique, mais aussi sociétale, économique et culturelle ». Même si, comme il le reconnaît, cela n’est pas une mince affaire, car, autonomie de l’enseignement supérieur oblige, tout repose en grande partie sur le bon vouloir des établissements. 

Constatant que « le climatoscepticisme existe toujours, mais se déplace vers l’écologie réparatrice : beaucoup de gens ne nient pas la réalité du problème, mais pensent que quand les conséquences seront vraiment là, on saura trouver des solutions, ce qui est faux », le climatologue souhaite également une prise de conscience à l’échelle de la société entière, regrettant la quasi-disparition des émissions scientifiques “grand public” à la télévision. Il plaide notamment en faveur d’un renforcement de la lutte contre la désinformation sur les réseaux sociaux, citant en exemple le partenariat mis en place entre le CNRS et le média indépendant Bonpote.com : des articles visant à « démystifier » les idées reçues « les plus tenaces » sur le changement climatique, rédigés par des chercheurs de l’institution, sont publiés sur le site du média.

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Tout comprendre (ou presque) sur le climat, ouvrage collectif fruit d’une collaboration entre le CNRS et le média Bon Pote paraissait le 3 mars 2022.

Une nécessaire adaptation

Au-delà d’un éveil des consciences, Jean Jouzel le martèle : il y a urgence à agir. « On a déjà pris un degré et demi depuis ma jeunesse, et on en prendra certainement un de plus d’ici à 2050 », alerte-t-il. L’adaptation est donc le maître mot pour tenter d’éviter la catastrophe. L’agriculture est concernée au premier chef, elle qui représente un cinquième des émissions nationales de gaz à effet de serre selon l’Institut national de la recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE). Mais comment ce secteur, confronté à des difficultés croissantes et à un manque d’attractivité, peut-il s’adapter ? Jean Jouzel le reconnaît, « il y a beaucoup de choses à faire, sur la méthanisation, les engrais, les pratiques d’élevage », mais aussi le gaspillage alimentaire car, pour lui, agriculture et alimentaire ne font qu’un. Fin connaisseur du monde agricole dont il est issu, il préfère cependant les « petits pas » aux innovations de ruptures, et plaide pour une territorialisation de l’adaptation. En effet, « la réalité de la lutte contre le réchauffement climatique se passe localement : la région, par exemple, a un rôle à jouer dans les transports, l’économie, l’urbanisme. »

Sur le plan international, Jean Jouzel se réjouit de l’avancée représentée par l’accord de Paris de 2015 : celui-ci fixait pour la première fois un objectif chiffré de limitation du réchauffement climatique, « nettement en dessous » de 2 °C par rapport au niveau préindustriel, 1,5 °C étant l’objectif privilégié. Le scientifique souligne aussi le résultat de la COP26 organisée à Glasgow en novembre dernier, qui a vu de nombreux États, dont la France, inscrire dans la loi l’objectif de neutralité carbone. Il salue également le travail de la Convention citoyenne pour le climat, qu’il considère comme une manière d’impliquer les citoyens dans le processus de transition écologique. Mais, en témoin avisé, il rappelle que, des textes à la réalité, le chemin est semé d’embûches. Il regrette ainsi que la loi “Climat et Résilience” adoptée en août dernier n’ait retenu que 20 % des propositions de la Convention, abandonnant certaines préconisations qui, selon lui, « ne nuisaient pas à la qualité de vie », telles que la limitation de la vitesse à 110 km/h sur les autoroutes ou la taxe sur les véhicules lourds. Surtout, il dénonce le manque de solidarité des pays développés envers les pays en développement : « Les pays développés avaient promis 100 milliards d’euros chaque année à partir de 2020 pour aider les pays en développement à lutter contre le réchauffement climatique. Mais ils se sont révélés collectivement incapables de tenir ces promesses, alors que dans le même temps, ils ont déboursé 3000 milliards pour sauver leurs économies », déplore-t-il.

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© Red ! pour le média Reporterre. « Macron, grand gagnant de la Convention citoyenne pour le climat ? », article de Gaspard d’Allens.

Catastrophisme ou lucidité ?

Ironie du sort, la conférence se tenait quelques jours après la publication du second volet du sixième rapport du GIEC, qui alerte contre la menace sans équivoque que représente le changement climatique pour l’humanité et la nature, alors que le précédent volet, publié en août 2021, avait consacré le lien entre activités humaines et changement climatique. Fin connaisseur de cette instance dont il a été membre pendant près de vingt ans, Jean Jouzel croit en ses modélisations. « Dès les années 1980, la communauté scientifique était convaincue que si on doublait les quantités de gaz carbonique émises dans l’atmosphère, on allait vers un réchauffement compris entre 1,5 et 4,5 °C, explique-t-il. Quand on regarde les modélisations avec du recul, on constate que ce qui a été anticipé par les modélisateurs est ce qui se passe aujourd’hui. La communauté scientifique a correctement appréhendé l’évolution du climat, ce qui invite à prendre au sérieux ce qu’elle envisage en 2050 et au-delà ». Il reconnaît cependant que même les scientifiques ne peuvent pas tout prévoir : « Les projections sont faites en utilisant des scénarios d’émissions, mais entre les émissions et les concentrations, il y a des incertitudes : où le carbone va-t-il être stocké ? L’océan et la végétation vont-ils piéger la même quantité de CO2 demain qu’aujourd’hui ? »

Jean Jouzel balaie également le reproche fait aux scientifiques d’alimenter l’écoanxiété, en particulier chez les jeunes. Il se définit d’ailleurs lui-même comme un optimiste : « Je ne me résoudrai pas à nier qu’il y a un problème. J’admets qu’il y a des solutions, mais ces solutions, c’est tout de suite qu’il faut les mettre en œuvre ». Faute de quoi les dernières — infimes — lueurs d’optimisme pourraient bien vite se dissiper.

Retrouvez ici le programme du cycle de conférences TransFORMER

Dans le cadre de l’événement Nos Futures aux Champs libres, ne manquez pas la rencontre avec Jean Jouzel, mardi 22 mars 2022, auditorium de l’Espace des sciences, 20H30.

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