L’exposition Kintsugi, âmes d’enfants de Laetitia Lesaffre, organisée par la Cour d’Appel de Rennes, est à découvrir jusqu’au 13 décembre 2024 dans la salle des pas perdus au Parlement de Bretagne de Rennes. Comme la feuille d’or répare une céramique cassée grâce à cette technique ancestrale japonaise, l’artiste raconte, avec douceur et sensibilité, la réparation des victimes de violences intrafamiliales.
Réparer. Reconstruire. Réinventer. « Lorsqu’on aborde les violences faites aux femmes, une question sous-jacente, mais essentielle émerge, celle de la place des enfants », déclare Franck Ollive, délégué interrégional de la délégation interrégionale Grand Ouest du secrétariat général (ministère de la justice). C’est ce sujet, lourd mais primordial, que la série, pour la première fois exposée, Kintsugi, âmes d’enfants de l’artiste plasticienne, peintre laqueur et photographe Laetitia Lesaffre rend visible dans la salle des pas perdus, au premier étage du Parlement de Bretagne.
L’œuvre de la Parisienne Laetitia Lesaffre s’est développée dans la pratique de la laque traditionnelle asiatique. Elle explore les thèmes de la mémoire et de la réparation, le reflet comme démarche artistique principale. Elle photographie en effet ses sujets en reflet dans ses tableaux laqués. Cette technique voile le portrait d’un flou émouvant qui semble chercher à lire l’âme de la personne photographiée. « Ça permet de délaisser le trait et d’être plus dans l’émotion que dans la réalité », souligne l’artiste. Son travail a pris au fil du temps une dimension sociologique et une portée plus engagée, nourries par ses sensibilités personnelles. Elle-même féministe, elle a souhaité se saisir artistiquement du sujet des violences faites aux femmes après avoir été bénévole pour l’ONG Médecins du monde, où elle travaillait particulièrement avec les enfants migrants qui arrivaient en France. « Je trouvais que le flou dans mon travail correspondait bien à leurs incertitudes quant à leur avenir. »
La série Kintsugi, âmes d’enfants reflète un travail débuté en 2018, avec la série Kintsugi, reflets de femmes, mais prolonge des réflexions plus anciennes. « Je ne voulais pas l’aborder du côté victimisation, mais plus avec une image de force. » C’est en découvrant la technique du Kintsugi qu’elle trouve le symbole parfait de résilience qu’elle recherchait afin de rendre visible ce thème qui lui est cher. Cette technique consiste à réparer une céramique est ensuite née dans les rencontres qu’elle a faites dans des associations comme Nous Toutes et dans l’émotion des témoignages qu’on lui a offerts. « À cette période, il y avait Hélène Devynk et l’affaire PPDA [Patrick Poivre d’Arvor, NDLR], Charlotte Arnould et l’affaire Depardieu, il y a eu un effet boule de neige. »
Pour le second volet, Kintsugi, âmes d’enfants, elle a remonté la route des violences intrafamiliales et s’est penché naturellement sur la place des enfants, nécessairement victimes. « J’ai proposé à des survivants de violences faites dans l’enfance de réparer leur enfant intérieur à partir de leur photographie d’enfant », explique-t-elle. « Je trouvais intéressant de montrer comment ils avaient utilisé leur vécu et le chemin de réparation qu’ils avaient pris, pour réussir à être porte-parole de la protection de l’enfance en écrivant un livre, en parlant, etc. » L’artiste imprime la photographie sur papier japonais ou céramique, la casse ou la déchire avant de la réparer au Kintsugi, avec de l’or 24 carats. Des textes accompagnent les images silencieuses et donnent la parole aux sujets principaux. Chaque personne volontaire a été libre d’écrire un témoignage, sous la forme qu’elle le désirait (poésie, une phrase, etc.), ou de refuser. « La plupart avaient envie de montrer qui ils sont maintenant, cela donne plus de sens qu’une image seule d’un enfant. »
« La réparation au niveau artistique, pour les personnes que j’ai accompagnées, commençait à l’atelier. Il y avait d’abord ce regard différent que je portais sur eux, cette réparation à l’or et, finalement, l’exposition dans des lieux emblématiques comme ici [Parlement de Bretagne, NDLR ], car certaines personnes n’ont pas eu de réparation en justice. »
Les œuvres habitent silencieusement la salle des pas perdus au premier étage du Parlement de Bretagne, les lignes fines d’or faisant écho à celles qui habillent cette pièce majestueuse que l’on découvre en même temps que l’exposition. « J’ai cette responsabilité-là aussi, par rapport aux victimes, de les exposer dans des lieux emblématiques. » En lien avec le Ministère de la Justice, Laetitia Lesaffre choisit des lieux dans lesquels les équipes luttent activement contre les violences intrafamiliales, et pas dans la mise en avant d’un discours féministe pour améliorer son image sans changer réellement ses pratiques en interne (women-washing). « La Cour d’appel de Rennes est particulièrement active dans la lutte contre les violences intrafamiliales, aussi bien pour la justice civile que la justice pénale », déclare Chantal Caillibotte, présidente de chambre, lors de sa prise de parole. « Il y a le processus d’accompagnement et le procès pénal, mais je n’ai jamais eu la prétention que la peine prononcée puisse intégralement réparer, il y a l’après. » La réparation n’est pas seulement juridique, mais également intérieure, et peut durer jusqu’à l’âge adulte. Corinne Masiero, membre du groupe Les Vaginites et le personnage de Capitaine Marleau dans la série télévisée, a envoyé une vieille photo d’elle provenant d’une carte SNCF. « Je lui ai envoyé une photo de l’oeuvre finie et elle m’a répondu « je l’ai mis en fond d’écran et je lui parle tous les jours à cette gamine”. » C’est un bel exemple de ce que l’art peut apporter quand il est au service de la réparation.
Exposition Kintsugi, âmes d’enfants de Laetitia Lesaffre, Parlement de Bretagne, 1er étage, salle des pas perdus
Place du Parlement de Bretagne, 35 000 Rennes
Entrée gratuite
Ouvert lundi à vendredi de 9h à 12h et de 14h à 17h