Rennes. Le Girls Rock Camp ou l’apprentissage du rock au féminin

La deuxième édition du Girls Rock Camp s’est tenue au Jardin Moderne du 13 au 18 février 2023. Pendant une semaine, un groupe d’adolescentes a été initié au rock, milieu majoritairement masculin, dans le but d’encourager la pratique autonome et rééquilibrer la balance entre filles et garçons. Inconnues en début de semaine, les Nipple Crunch et Rose Sauvage sont ensuite montées sur scène samedi 18 février. Un documentaire sonore réalisé par la musicienne et documentariste Émilie Rougier est né de ce stage en non-mixité…

Si les femmes sont plutôt bien représentées dans les pratiques encadrées (écoles de musique, chorales ou conservatoires), elles sont aussi les grandes invisibles des pratiques dites « autonomes », c’est-à-dire monter un groupe avec leurs amies. Certes, les filles écoutent et jouent de la musique, mais la pratique demeure androcentrée et le milieu un des domaines les moins égalitaires. L’exemple le plus évident serait peut-être les artistes programmés dans les festivals… Parmi les types musicaux, le rock ne fait pas exception. Face à ce constat, le Jardin Moderne souhaite depuis deux ans encourager la pratique dès l’adolescence, en proposant aux jeunes filles de 14 et 18 ans un camp original en non-mixité choisie : un Girls Rock Camp. La musicienne et documentariste Émilie Rougier a suivi cette aventure aventure concentrée et intense initiée par la journaliste rennaise Audrey Guiller. En résulte un documentaire sonore dans le but de dévoiler l’ambiance singulière, bienveillante et énergique, qui y régnait…

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Encore aujourd’hui, on peut entendre par-ci par-là des phrases telles que “c’est bien pour une fille”, “vous jouez comme un homme”, etc., mais que cela signifie-t-il exactement ? Dans son livre Musiciennes, enquête sur les femmes et la musique (2021), la sociologue et musicologue Hyacinthe Ravet retrace l’histoire des femmes dans le monde de la musique. Elle lève le voile sur les difficultés, les luttes et les victoires des femmes interprètes et, malgré des exceptions, dresse le constat que le milieu conforte les inégalités présent dans le reste de la société. Dans le rock, certains genres, les plus agressifs, sont particulièrement connotés masculins car ils convoquent une énergie associée automatiquement au genre masculin. Des stéréotypes de genre qui ont la vie bien dure car, de manière générale, les femmes musiciennes subissent un manque de visibilité.

À l’instar d’autres types musicaux, l’univers de la maxime “sex, drugs & rock’n roll”, qui nous vient du chanteur anglais Ian Dury en 1977, souffre encore d’une misogynie et d’un sexisme dont il est difficile de se détacher, même si les différences tendent à se réduire. Dans les studios de répétition, en coulisses ou sur scène, les chiffres parlent d’eux-mêmes, les femmes et minorités de genre représentent seulement 15 % des musicien·nes dans les musiques actuelles. Au Jardin Moderne, comme dans les autres lieux de répétition français, les femmes ne représentent que 15 % des personnes qui répètent dans les locaux.

girls rock camp rennes
© Karine Baudot

Conscient de cette inégalité au sein même de leur structure, l’association, en collaboration avec l’Antipode et les Transmusicales, a accueilli entre ses murs la deuxième édition du Girls Rock Camp. Le but : aider les filles à dépasser les stéréotypes, leur apprendre à avoir confiance en elles, leur donner des bases pour qu’elles puissent former des groupes et goûter à la joie du collectif et de la création dans un environnement non sexiste. « Il est nécessaire que les structures s’engagent sur ces sujets et que ce soit porté de manière collective si on veut vraiment transformer les pratiques professionnelles », affirme dans le documentaire la codirectrice Juliette Josselin.

Venu des États-Unis, le principe des Girls Rock Camp n’est pas novateur, ces stages originaux reprennent le flambeau allumé dans les années 90 par les Riot Grrrls, mouvement musical à la croisée du punk rock et du rock alternatif aux idées féministes. « Le premier a eu lieu en 2001 à l’université de Portland. C’étaient des nanas en études sur le genre qui avaient fait ça pour leur stage de fin d’études », explique Audrey Guiller dans le documentaire. « C’est vraiment l’esprit DIY, Do It Yourself, présent dans ces années-là. » Alliant rock et féminisme, acceptation de soi et des autres, tolérance et développement personnel, ces alternatives se sont multipliées partout dans le monde et s’inscrivent dorénavant sur le territoire rennais.

Le camp a réuni huit participantes musiciennes et cinq participantes « apprenties journalistes » présentes sur les trois derniers jours et accompagnées par des professionnelles des Trans. « Elles étaient toutes très ouvertes à se lancer et avaient hâte de découvrir les instruments », se rappelle lors de l’entretien Amalia Romero, chargée des relations aux publics du Jardin Moderne. Encadrées par des intervenantes, musiciennes, techniciennes et animatrices culturelles, les jeunes filles ont pu découvrir le milieu du rock, en apprenant les bases d’un instrument qu’elles n’ont jamais touché, mais aussi elles-mêmes. « Les missions étaient à la fois très pratiques, comme quoi manger le midi ou ne rater le bus, mais en même c’est une aventure très émotionnelle. On n’est pas là qu’en tant adulte, mais aussi en tant que personnes en minorité de genre qui n’ont aucune expérience en lien. On a essayé d’être un maximum à l’écoute de ce qu’elles étaient entrain de vivre. » 

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© Karine Baudot

Sur fond de moments captés à la volée, extraits de musique et chants, Émilie Rougier a glané des témoignages et révèle les émotions – peurs, doutes, excitations et joies – qui ont traversé les adolescentes pendant ces quelques jours en immersion. On suit la découverte des instruments avant que les filles se répartissent en deux groupes (2 batteuses, 2 bassistes, 2 guitaristes, 2 chanteuses) : Nipple Crunch et Rose Sauvage. Elles ont ensuite appris la composition d’un morceau, son mixage, la répétition avant de monter sur scène. Un temps a également été consacré à la prise de parole en public, à la création de leurs affiches de concert, à une séance de yoga pour gérer leur stress ainsi qu’une visite complète de l’Antipode.

Pendant 37 minutes, des voix multiples se lèvent. Elles permettent de découvrir le camp de l’intérieur, d’imaginer l’effervescence créatrice et bienveillante de ce temps en non-mixité. Ce terme désigne le fait de créer des espaces réservés à une catégorie de personnes se considérant comme opprimées ou discriminées, notamment pour partager des expériences communes et définir leur stratégie de libération (source). « Être avec des femmes s’installe déjà une relation de confiance, on peut parler de sujets différents », relève Alicia à la guitare dans Rose Sauvage. S’immerger pendant une semaine en non-mixité est ainsi le moyen temporaire trouvé le temps de rétablir l’égalité des chances… Le cocon musical qu’a été le Girls Rock Camp s’est révélé le moyen de développer la confiance en soi des participantes, mais aussi en le collectif.

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Au fil du documentaire, le lien sororal déjà existant se renforce et, en l’absence de leur homologue masculin, les idées s’affirment. « Certaines auraient fait le camp dans tous les cas même s’il y avait mixité je pense, mais il y avait un double enjeu sur la non-mixité de ce projet. », expose Amalia avant d’approfondir : « Il était surtout question de contrebalancer tout ce qu’on voit généralement : un mec à la guitare, un à la batterie, un à la basse. » Le choix était ainsi libre quant aux instruments, parfois connotés masculins ou féminins selon les époques. « C’est aussi un outil super important pour avoir un cadre bienveillant où on peut parler de problématiques particulières. » Certaines avouent d’ailleurs pouvoir s’ouvrir davantage et laisser parler leurs envies sans craindre le mâle alpha qui s’impose et les remarques désobligeantes, souvent récurrentes à l’adolescence.

En réitérant l’expérience du Girls Rock Camp, les actrices du projet souhaitent réduire l’écart de genre dans le milieu et inciter le féminin à croire en ses capacités. « Il y a vraiment cette notion de se lancer et de donner des clés à des personnes qui n’attendaient que ça mais qui, toutes seules, n’auraient pas forcément fait le pas en avant. » Après tout, si le rock’n roll est considéré comme « viril », on oublie trop souvent que l’artiste qui a joué un rôle majeur dans sa création est une femme : Sister Rosetta Tharpe, surnommée « la marraine du rock’n roll ». Après tout, l’auteure et compositrice afro-américaine née en 1915 est la première à mêler la guitare électrique et des rythmes rock au gospel.

« L’idée à long terme, ce serait bien sûr sur le territoire d’autres camps se développent »

Amalia Romero, chargée des relations aux publics au Jardin Moderne.
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