Rennes. « Comment parles-tu, je te dirais d’où tu viens » ou la question de l’inégalité face au langage

Initialement prévue en février 2023, la conférence « Classer nos manières de parler, classer les gens » aura lieu dans l’auditorium du Tambour de l’université de Rennes 2 mardi 24 octobre 2023. Malo Morvan, sociolinguiste et maître de conférences à l’université de Tour, animera cette réflexion dans le cadre des Mardis de l’égalité en abordant la question du rapport au langage et les injonctions qui y sont associées. 

Mis en place depuis 2016 par l’université Rennes 2, les Mardis de l’égalité organisent des conférences aux sujets variés dont le point commun est celui d’aborder des thématiques liées aux inégalités : inégalités économiques, raciales, des sexes, des genres, des chances, etc. Le 7 février 2023, Malo Morvan s’intéressera aux inégalités face au langage. La conférence aura lieu au Tambour sur le campus universitaire et se concentrera sur une question : « Comment est-ce que les manières de parler, et les discours sur ces manières de parler, viennent renforcer les mécanismes de hiérarchisation des populations et de sentiment d’appartenance identitaire ? » Intéressant n’est-ce pas ? L’idée de la conférence n’est pas de répertorier toute les manières de parler existantes, mais plutôt, de « proposer une grille d’analyse pour montrer l’existence de phénomènes de catégorisation. Ces derniers sont omniprésents dans notre quotidien à différents degrés », précise Malo Morvan. Pour illustrer son propos, le maître de conférences utilisera un fond d’archives mis à disposition part l’Institut National d’Audiovisuel (INA).

Classer nos manières de parler
Malo Morvan, maître de conférences en sociologie

En mai 2022, Malo Morvan publie Classer nos manières de parler, classer les gens, un ouvrage d’introduction à la sociolinguistique, discipline qu’il enseigne à Rennes 2. « C’est un livre de diffusion de connaissance. En plus des idées classiques de la matière, je fais une présentation des réflexions sur les usages sociologiques du langage ainsi que des effets de catégorisation des gens qui y sont associés », explique le sociologue. Malo Morvan s’intéresse à la sociolinguistique au cours de ses études supérieures. Étudiant, il baigne dans le milieu du militantisme pour le breton et dédie sa thèse à rendre compte des débats existant sur le bon usage de la langue bretonne. Il est alors surpris de constater que même dans ce milieu, promouvant pourtant la diversité des manières de parler, une sorte de guerre interne subsiste.

Classer nos manières de parler

Au-delà de la langue bretonne, l’opposition entre les bonnes manières de parler et les manières moins légitimes se pose à plus grande échelle. La langue de Molière se compose de différents répertoires de langage. Ces derniers posent un enjeu de distinction sociale. En effet, de la même façon que l’on peut identifier le milieu social d’une personne selon les vêtements qu’elle porte, l’endroit où elle vit, les activités qu’elle pratique ou encore la voiture qu’elle conduit, la manière de parler fait aussi partie des signes ostentatoires qui indiquent d’une origine sociale. Comme un détective, on va spontanément identifier ces indices, les associer à une appartenance sociale et ainsi catégoriser, consciemment ou non, la personne en face de nous.

Cette catégorisation nous pousse à moduler nos comportements. On ne s’adresse pas de la même manière à son patron qu’à son meilleur ami ou ses parents. Cependant, comme le fait remarquer Malo Morvan, il existe une « valorisation de la part du discours commun d’une certaine manière de parler ». Qui dit valorisation d’un langage dit nécessairement dépréciation d’un autre. Ainsi, ces mécanismes de classification peuvent pousser à dénigrer une personne et à venir « justifier un discours qui pose une hiérarchie entre les populations et interroge la question des enjeux d’identité ». C’est à cet endroit que le nœud se crée et c’est pour cette raison que l’on peut parler d’inégalité face au langage. Donner de la légitimité à un langage qu’emprunte une certaine catégorie de la population et dénigrer les autres revient à maintenir et à reproduire un ordre social pyramidal. Les mécanismes de domination se glissent jusque dans nos manières de parler.

Pour en parler concrètement, Malo Morvan prend l’exemple du phénomène d’identification par le langage dans le milieu de l’éducation. L’institution scolaire attend que les élèves arrivent avec un bagage culturel spécifique. Dans ce bagage on y retrouve, parmi d’autres outils, une forme langagière spécifique. « Il y a concrètement des discours de jugement dans la mesure où nous avons intériorisé l’idée qu’on se fait de la norme. Et cette idée là de la norme pousse à tenir des propos dévalorisants qui ont des conséquences néfastes sur la confiance des élèves et le regard qu’ils portent sur eux-mêmes. Ils cultivent, par la suite, un sentiment d’insécurité linguistique qui détermine leur motivation et leurs capacités de réussite ». Le sociolinguiste conclut qu’ « on pourrait renforcer, dans la formation des enseignant⋅e⋅s, la prise en compte de la diversité des manières de s’exprimer, les enjeux sociaux que cette diversité recouvre, et aider ainsi à prendre du recul par rapport à cette norme d’un bien-parler unique, qui est souvent érigée comme un absolu ». Bien qu’un travail de fond reste à faire, tous les enseignants ne sont pas insensibles à ces problématiques et opèrent d’eux-mêmes des démarches afin de palier ces inégalités. Mais ce traitement inégal a bien des conséquences réelles sur la réussite scolaire des élèves et leur avenir de manière générale.

Classer nos manières de parler

L’usage de l’écriture inclusive, du pronom « iel », des anglicismes, etc., sont autant de polémiques qui révèlent avant tout des débats symptomatiques de questionnements plus larges. « Les débats sur la langue sont des prétextes à des débats plus larges, à savoir les questions sociales. Conserver une hiérarchie sociale ou au contraire s’émanciper de celle-ci et reconnaître comme légitime un certain type de population ». Finalement, les mots ne sont que le reflet de nos idées et de nos convictions.

Conférence, « Classer nos manières de parler, classer les gens », donnée par Malo Morvan, 24 octobre 2023 au Tambour (campus de rennes 2, Villejean), Durée 1h30.

En collaboration avec l’INA

Pour plus d’info

Article précédentLes trois meilleurs chocolatiers de Rennes !
Article suivantFinistère. La Route du Cidre en Cornouaille initie à la fabrication du cidre en octobre

--> Rennais, pour recevoir chaque semaine par courriel nos derniers articles, cliquez ici

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici