Les deux grands peintres rennais Mariano Otero et Jean-Pierre Le Bozec renouvellent l’art de l’autoportrait à deux. Je te peins – tu me peins. Sous la caméra complice d’Antoine Tracou. Une démarche originale à savourer (bientôt) à l’écran. Explication par le trio voyageur.
Mon premier, Jean-Pierre Le Bozec est né en 1942 à Rennes d’une mère modiste et d’un père cheminot. Il remercie ses parents qui ont su le guider dans son attrait pour l’art. Son père a eu la bonne idée de l’inscrire au cours de dessin de la SNCF, quand il avait douze ans. Il voit encore « son prof arriver sur sa motobécane, en duffle-coat. Un certain Jacques Durand-Henriot ! » (NDLR : Futur directeur de l’école des beaux-arts de Rennes). Sur ses conseils, il commence à fréquenter les vernissages dès 14 ans. C’est ainsi qu’il rencontre les Jobbé-Duval qui seront les premiers à l’exposer : « une expérience encourageante et très louangée par Henri Terrière, critique d’art à Ouest-France ; ça m’a stimulé ! »
Mon second, Mariano Otero naît à Madrid la même année. Il est le fils d’Antonio Otero Seco, écrivain, poète et journaliste que le franquisme contraint à l’exil en 1947. Sa mère, sa sœur et lui-même ne pourront le rejoindre en France qu’en 1956. Direction Rennes où le père enseigne l’espagnol à l’Université. C’est là que Mariano suit les cours de l’école des beaux-arts (sous la direction de Lemonnier) de 57 à 62. À la sortie, il forme « l’Atelier des 3 » avec son frère Antonio et sa belle-sœur Clotilde Vautier. Les expos se suivent, mais Mariano avoue que c’est grâce à son épouse et muse Marie-Alice que la marmite bouillait. Il vit de son art depuis une vingtaine d’années. Les deux peintres se connaissent depuis 1958. Leur complicité se traduit d’abord par la création du Prix de peinture de Saint-Grégoire, d’envergure nationale, que Mariano Otero préside encore (« pour peu de temps »)
Mon troisième, Antoine Tracou est arrivé à Rennes en novembre 1963, « le jour de l’assassinat de Kennedy ». Après des études en histoire de l’art, il part à Paris où il travaille comme assistant-réalisateur, notamment pour ARTE. En 2004, retour à Rennes, il rencontre Lena et l’épouse. Mariano Otero est invité aux noces. Il aime la « gueule » du jeune marié et lui propose de poser pour lui, car il entame une nouvelle série de portraits. Antoine se prête au jeu. Il trouve « cette relation et les conversations qu’elle génère, très intéressantes sur le plan cinématographique ». Désireux d’habiter sur l’eau, le documentariste achète une péniche et fait la connaissance de Jean-Pierre Le Bozec, son voisin de quai. Il apprend ainsi que Le Bozec et Otero sont de vieux potes.
Mon tout décide de lancer un projet inédit : un film qui interroge l’altérité, l’intime et la connaissance de l’autre. À travers la réalisation de portraits mutuels. Sans production (c’est-à-dire sans argent engagé), les deux peintres se retrouvent pendant un mois. Le matin dans l’atelier de Mariano et l’après-midi dans la péniche de Jean-Pierre – pour des raisons de lumière. Ils se « croquent » sous la caméra d’Émilien Bernard. De son côté, Antoine Tracou peaufine l’écriture du film pour trouver les financements. Il présente ce scénario à la Région Bretagne (« qui soutient bien le cinéma »), au CNC et à des télés. Le projet remporte l’adhésion et le financement souhaité – « la plus grosse partie du budget correspondant à un voyage à cinq à Madrid ». Porque Madrid ? Pas pour tourner dans les lieux d’enfance de Mariano, mais dans le Musée du Prado.
Plus précisément devant les Ménines, « le portrait le plus emblématique de l’histoire de l’art » répondent en chœur les peintres. Et d’ajouter « vous avez remarqué que ce tableau contient un autoportrait de Vélasquez ? Un regard camera avant l’heure. En 1756 ! » Le quatuor, augmenté de l’ingénieure son Emmanuelle Sabouraud, vit donc ce moment unique et merveilleux d’être enfermés dans le Prado, en tête-à-tête avec Velasquez. Mariano a étendu ce privilège à une rencontre avec Picasso et Sorolla, un grand peintre espagnol du début du XXe siècle qu’il vénère.
Antoine Tracou aime « le contact physique » dans toutes formes d’œuvres d’art. Il ne va donc pas se cantonner à de simples passages télés. Il souhaite que son film ait une version plus longue et qu’il soit conservé dans un joli coffret, avec un ex-libris. La vente aux enchères de tableaux de Le Bozec et Otero, menée par Carole Jézéquel, l’épatante commissaire-priseur rennaise, au printemps dernier –lors d’une expo à la Parcheminerie – ne couvre pas la totalité des frais. Alors, une souscription a été lancée. Les bénéfices seront complétés par une campagne de financement participatif sur Ulule. Le principe est toujours attractif : plus vous mettez de sous, plus belle sera la contrepartie. En tous cas, vous ne prenez pas de risque : le film est en cours de montage. Aux bons soins de Ruben Korenfeld, immense pro du cinéma.
L’Art de l’Autre un film de Antoine Tracou avec Mariano Otero et Jean-Pierre Le Bozec
La page Ulule : ici