Les maisons d’édition à Rennes ? Nous n’avons ni le Cherche Midi, ni les éditions de Minuit. Nous n’avons ni Gallimard, ni Gallmeister. À peine sommes-nous au seuil d’un coup de poker éditorial. En même temps, soyons honnête : l’édition se passe presque essentiellement en région parisienne. C’est un fait, mais pas nécessairement une excuse. Rennes ne possède pas, par exemple, la vitalité intellectuelle de Bordeaux en la matière, laquelle peut se targuer d’abriter Cornélius, les Requins Marteaux, Finitude ou encore Toussaint Louverture. Du reste, nous dominons le grand Ouest en matière d’édition scientifique et régionale. Édilarge et les PUR prétendent à un rang national. En parallèle, de petites maisons œuvrent à la diversité et à l’indépendance du milieu. Pour débuter ce tour d’horizon, nous avons rencontré Jean-Marie Goater. Portrait d’un généraliste engagé.
Peut-être l’avez-vous vu distribuer ses commandes en vélocipède dans les rues, ou déballer des cartons de livre dans la salle de son bar. Jean-Marie Goater, libraire, éditeur, est également connu pour être délégué à la démocratie locale et 15e adjoint à la mairie de Rennes. Le Papier Timbré, lieu joyeusement foutraque, effeuillé comme peut l’être une librairie, éméché comme doit l’être un bar, accueille aussi dans son ombre chaleureuse et parfois interlope, les éditions Goater.
Son créateur connaît bien le monde du livre en Bretagne. Cet ancien des éditions Apogées, fondées par André Crenn, a longuement maturé son projet. Conscient de la difficulté économique du métier, il a pensé une alternative : le café-librairie. Les éditions Goater et le Papier Timbré constituent une seule entité administrative (SARL). En caricaturant, disons que les bières Duchesse Anne et autres Lancelots financent les bouquins. Des pressions pour moins de pression. On ne massicote pas non plus les livres avec le couteau à saucisson : Jean-Marie Goater demeure un professionnel du métier.
En 2009, il fonde ce cerbère un brin cérébral au coin des rues Échanges et Dinan, en face du Vieux Saint-Étienne. Goater se définit comme un « petit généraliste ». Petit peut-être, mais plein de grandes convictions. Comme le prouve d’ailleurs son premier livre, Journal d’un écolodidacte, de Norbert Maudet. À cette première collection appelée « Lignes de vie » en succède une deuxième, « Chien », codirigée avec L. L. De Mars. Ce qui commença lentement continua sûrement : en 2012, une collection de littérature blanche voit le jour sous le nom « La société des gens ». Nathalie Burel, lauréate du prix Jakez-Helias en 2014, y publiera en avril son prochain livre, Stella. L’auteure n’est pas nouvelle aux éditions Goater. En 2012, elle a participé à l’écriture et l’élaboration d’un livre-vinyle à propos d’un fait divers sur la violence conjugale. Comme un monstre a réuni 6 groupes bretons, notamment Moujik, Del Cielo ou French Cowboy. Cet objet hybride participe d’une approche éditoriale tout aussi engagée qu’originale.
Jean-Marie Goater n’hésite pas à collaborer avec d’autres maisons. Comme les éditions du Coin de la Rue, basées à Châteaubourg, pour Galette-saucisse, je t’aime ! Ou, de façon plus engagée encore, avec la publication de Détachez vos ceintures, un recueil de contributions sur Notre-Dame-des-Landes. Le collectif, appelé les éditions du Kyste pour l’occasion, a réuni de multiples acteurs parmi lesquels la Marwanny Corporation, Cornélius, Flblb, le Tigre, etc. Sur les 9000 exemplaires imprimés, 2600 ont été donnés directement à l’ACIPA : l’Association Citoyenne Intercommunale des Populations concernées par le projet d’Aéroport de Notre-Dame-des-Landes.
Si les éditions Goater restent généralistes, la ligne éditoriale est marquée par l’engagement. Parmi ces combats, on pourrait retenir notamment l’écologie, le féminisme ou la langue bretonne. Sans être un éditeur régionaliste, Goater est selon ses propres termes « un éditeur de région ». À noter, en exemple : la récente traduction en breton de Persépolis de Marjane Satrapi. D’ailleurs, les collections jeunesse, bilingue ou non, font la part belle à la langue bretonne, à l’image du très bel ouvrage Kenavo Sidoni.
Comme en atteste la traduction du chef-d’œuvre franco-iranien, Jean-Marie Goater cherche la perle rare. Plusieurs traductions ont fait l’objet de publication, parfois improbables : citons simplement ces Légendes Anasazi, traduites de l’américain natif. Celui qui se définit comme un « apprenti éditeur » a également exhumé la série policière Le Soviet de Colonel Durruti, publiée à Fleuve Noir et Série Noire dans les années 80 et 90. Du reste, la collection Goater Noir propose des auteurs de qualité, tel que Frédéric Paulin, Yves Tanguy ou Léonard Taokao.
Clairement, Goater touche à tout. Et même à la science-fiction et la bande dessinée. Avec des titres comme Vers une civilisation de la convivialité de Marc Humbert, ou Ouest-France et la question coloniale de Jacques Thouroude, l’essai (parfois polémique) est lui aussi représenté. Au total, ce sont près de 15 titres par an, probablement plus pour l’année 2016. Pour le festival Rue des Livres, trois nouveaux romans noirs seront présentés, dont un inédit du Soviet. Goater avance calmement, mais espère perdurer. Il a d’ailleurs entamé, avec Ubu dans la cuve à merdres et Bêtes à Lire, une encyclopédie pataphysique qui devrait (normalement) compter 50 exemplaires.
Ce que certains aimeraient au Papier Timbré, d’autres le jugeraient anachroniques. Jean-Marie Goater ne souhaite pas, ni maintenant ni dans l’avenir, passer au numérique. L’amour du papier, il le revendique : certains de ses ouvrages, du reste, demeurent non massicotés. Il insiste sur « la convivialité, le circuit court, le dialogue » et « une fidélité aux auteurs ». Bien qu’il reçoive des manuscrits envoyés spontanément, il fonde son catalogue principalement sur le long terme, avec des objectifs propres et des recherches ciblées en direction de la littérature étrangère. Seul à bord de son navire éditorial, il fait appel à diverses personnes pour ce qui touche à la correction, la relecture, la maquette, le graphisme, etc. Ses livres sont diffusés dans la francophonie par Coop Breizh et Hobo Diffusion, lequel « promeut l’édition indépendante, engagée, libertaire et contre-culturelle ». Parmi les nouveautés, mention spéciale à Bistrots, rades et comptoirs, de Sylvain Bertrand et Yann Lestréhan : des « récits d’un tour de Bretagne » par le zinc et le formica, préfacé par Jacques Josse. Qui de mieux qu’un éditeur, libraire et bistrotier pour le publier ?
Le Papier Timbré, à la fois café et maison d’éditions, est ouvert du lundi au vendredi de 16h30 à 01h00 et le samedi de 12h à 01h00.
Au programme, des projections de documentaire, des rendez-vous thématiques, des rencontres littéraires ou théâtrales, des concerts…
39, rue de Dinan
Editions Goater
Retrouvez notre chronique sur Maillot Noir publié aux Editions Goater.