C’est au Cabinet Photographique, métro Gros Chêne à Maurepas, que Pascal Lesage développe ses photos au sténopé. Rencontre avec un artiste qui, après un parcours difficile, est passé de l’ombre à la lumière.
À quelques pas de la station de métro Gros Chêne, des portraits teintés de bleu attirent le regard : ce sont les clichés au sténopé des habitants de Maurepas qui décorent le Cabinet Photographique. Depuis bientôt 10 ans, ce lieu participatif est mis à disposition des habitants pour créer du lien social. Initiative du photographe Jacques Domeau en 2015, le laboratoire anciennement situé place du Gast continue de vivre grâce aux bénévoles. Parmi eux, Pascal Lesage, photographe sténopiste infatigable.
C’est autour d’un café que Pascal reçoit les visiteurs, comme à la maison. Acteur social fier de son travail, il raconte comment il s’est battu avec son passé pour en arriver là. « Le cabinet photographique, c’est mon plus beau travail, tant dans la formation photo que dans le social », explique t-il.
Car Pascal Lesage revient de loin : originaire de banlieue parisienne, les problèmes d’alcool le conduisent à être incarcéré pour homicide involontaire pendant 17 ans. C’est en 2010 qu’il sort de prison avec un psychologue qui lui propose de travailler avec lui. « Il m’a dit, soit tu acceptes de venir travailler avec moi à Rennes, soit tu restes dans ta merde du 93. C’était une main tendue, mes bagages étaient déjà faits. » Mais la réinsertion est compliquée. « Après la prison on doit toujours quelque chose, surtout à sa famille, c’est en sortant qu’on paye notre dette. » C’est en entendant autour de lui la détresse et la souffrance des autres qu’il réalise ses erreurs. « Je faisais des témoignages, mais il me manquait quelque chose, c’était d’entendre les victimes, ça a été une claque. »
Grâce au centre social de Maurepas et une forte volonté intérieure, Pascal va se reconstruire et renouer des liens avec sa famille. Pour son psychologue, il est un “miraculé”, pour lui ce sont les rencontres qui l’ont aidé. « C’est avec les gens que j’ai pu travailler parce qu’ils m’ont laissé m’exprimer. »
À 49 ans, il décide d’apprendre à lire et à écrire. « On me demandait d’écrire mon nom, c’était une croix. » Synesthète, il apprendra à lire et écrire en associant les sons et les couleurs. Cette sensibilité visuelle y est sans doute pour quelque chose dans son travail.
C’est à la rencontre de Jacques Domeau en 2015 que tout va s’accélérer. « Il m’a offert une place sur son bureau, et un jour la clef du cabinet photo. Il m’a tout de suite fait confiance. » Ensemble, ils travaillent et créent un petit village dans le quartier, organisent des rencontres, des parties de Molkky, et des grands repas les week-ends. « Les habitants de Maurepas sont isolés. Ici, ils peuvent créer du lien, se dire bonjour. »
En parallèle, il découvre le sténopé, cet appareil photo très simple : « Le sténopé, c’est un petit trou dans une boîte à gâteau, une canette de coca ou une boîte en cartons ». La lumière entre par ce trou et crée une image à l’intérieur. Pas besoin de lentille, juste un film ou du papier pour capturer la photo. Après plusieurs essais, Pascal se perfectionne. Les températures, les temps de pauses, de séchages, et les produits utilisés ne sont plus un secret pour lui. « La photo sténopé, qui ressort bleue, peut se développer sur toutes les matières : bois, brique, tissu, ardoise, filtre à café, métal, ou un emballage de carton de banane, et ça tient dans le temps. » C’est pourquoi l’atelier déborde de pièces différentes, uniques car imprévisibles, parfois avec des flous plus marqués ou des ombres plus intenses. « Certains photographes travaillent sur le regard ou la posture du modèle, moi j’aime bien jouer avec les reflets de l’eau ou les miroirs. »
Jacques Domeau décède des suites d’un cancer en 2016, mais Pascal Lesage continue bénévolement de faire vivre l’atelier, pour Maurepas, et en hommage à celui qu’il appelle son “pilier”. Le principe du lieu n’a pas changé : le 1 euro symbolique pour les habitants du quartier, et un abonnement de 15 euros à l’année pour les associations. Le reste provient de subventions de la ville, de dons ou de matériaux de récupération. Le 22 septembre prochain, le cabinet organise même des ramassages d’algues sur la côte pour en fabriquer de la gélatine maison, idéal pour le papier photo.
Ses clichés, le cabinet ne les vend pas. Chacun peut venir se prendre en photo et repartir avec. Bien plus qu’un studio photo, c’est un lieu où se former, comme les étudiants qui sont sortis diplômés des Beaux Arts après leur stage de sténopé. Pour les jeunes en difficulté, c’est un moyen de s’évader, ou pour les personnes isolées un lieu de rencontre. Photographe et acteur social important de Maurepas, Pascal Lesage n’envisage pas d’être ailleurs : « c’est ce quartier qui m’a sauvé. »
Le cabinet Photographique, 5 Bis Boulevard Emmanuel Mounier, quartier Maurepas, à Rennes.
Ouverture : Lundi, mardi, mercredi et vendredi de 9h30 à 12h et de 14h à 17h30.