Les Rencontres Paul Ricoeur se déroulent aux Champs Libres les 21 et 22 novembre 2024. En partenariat avec l’Université de Rennes, l’objectif est d’apporter un temps de réflexion et de discussion autour du thème de l’injustice, une thématique inspirée de l’œuvre du philosophe Paul Ricoeur. Unidivers a rencontré Philippe Boursier, professeur de sciences économiques et sociales, ancien porte-parole national des Verts et co-fondateur du mouvement Écologie sociale, qui animera la conférence « Injustices sociales injustices écologiques » jeudi 21 novembre.
En parallèle de son métier d’enseignant, Philippe Boursier a coordonné avec Clémence Guimont, maîtresse de conférences en science politique à l’université Paris Panthéon-Sorbonne, l’ouvrage Ecologies, Le vivant et le social, paru en janvier 2023 aux éditions La Découverte. Cet essai a été alimenté par le travail de recherche et la contribution de près de 70 philosophes, scientifiques, activistes et journalistes pour décortiquer les questions de crises écologiques et de dominations. Cette dimension représente un élément clé du travail et de l’engagement de Philippe : « Actuellement, je consacre mon temps et mon énergie à des travaux de recherche avec la visée de diffuser des savoirs scientifiques résistants, c’est-à-dire solides et rationnels, qui permettent à la fois de mieux comprendre et de mieux s’émanciper. »
Injustices sociales, injustices écologiques
Sa conférence Injustices sociales, injustices écologiques, qui aura lieu le 21 novembre à 16h30, reprendra les thématiques abordées dans l’ouvrage en faisant dialoguer les sciences du social et du vivant : « Je vais beaucoup insister sur le fait que les inégalités environnementales sont en fait totalement enchevêtrées avec les injustices socio-économiques », explique Philippe Boursier. « L’autre axe de la réflexion sera de dire que la perspective écologiste invite à élargir le champ de l’analyse des injustices en prenant en compte le vivant autre qu’humain. »
La question des inégalités écologiques est de plus en plus centrale dans les luttes sociales, « le syndicalisme est en train de s’inscrire de plus en plus dans une perspective socio-écologiste. C’est l’inégalité à tous les étages lorsqu’on s’intéresse aux questions écologiques. Pour la question climatique, ce sont les groupes sociaux les plus défavorisés, les plus dominés, qui sont les plus exposés aux catastrophes climatiques ». Ainsi, le sentiment d’injustice émerge de l’accumulation des inégalités, entraînant une réaction massive de la population.
Cette injustice se manifeste à plusieurs niveaux des inégalités socio-économiques, qu’il s’agisse de l’exposition aux pollutions, de l’accès aux aménités naturelles, de la responsabilité face à la destruction en cours, ou encore de l’influence limitée sur les politiques publiques : « Les groupes sociaux les plus dominés ont très peu accès à l’influence politique qui permet d’orienter des politiques environnementales qui prennent pleinement en compte leurs attentes. »
Les inégalités face au changement climatique
Ce phénomène d’inégalités mondiales face au changement climatique se traduit de diverses façons : Les populations les plus vulnérables sont les plus touchées alors qu’elles sont les moins responsables de la dérive climatique et possèdent le moins de ressources pour s’adapter aux événements extrêmes tels que les vagues de chaleur, les inondations, les sécheresses, la montée des eaux. Ces mêmes populations sont davantage touchées par les désastres sanitaires comme la famine, la malnutrition ou encore les épidémies.
Les conséquences du changement climatique entraînent d’importantes migrations climatiques, des populations sont contraintes de fuir leur pays d’origine, incapables de s’adapter à des conditions de vie devenues intolérables : « La croissance quasi exponentielle des migrations climatiques est un indicateur très parlant. Ce sont les populations pauvres des pays du sud, les populations paysannes par exemple, qui sont à la fois les gens les plus pauvres, donc les plus âgés, les moins instruits et les moins connectés. »
La convergence des luttes pour une justice sociale et écologique
Plusieurs études en sciences sociales ont démontré que les inégalités socio-environnementales se situent au croisement des rapports de domination : « Je pense notamment au travail de William Acker qui a cartographié les mal nommées aires d’accueil destinées aux voyageurs, aux gens du voyage si on veut. Il démontre que celles-ci sont assez systématiquement situées à proximité de sites polluants. Le mouvement pour la justice environnementale a ainsi fait émerger des concepts tels que celui de racisme environnemental », illustre Philippe.
Pour atteindre une justice à la fois sociale et environnementale, il devient donc nécessaire que les mouvements écologistes prennent en compte la multiplicité et les rapports de domination : « Il y a un fort développement de l’écoféminisme, de l’écologie décoloniale, de mouvements qui prennent en compte la dimension de classe et d’autres qui sont conscients du rapport entre les sociétés humaines et les écosystèmes », détaille l’enseignant-chercheur. Il est également indispensable de prendre en compte chaque classe sociale : « Dans l’histoire du mouvement écologiste, en tout cas en France, on a un mouvement qui manque d’un ancrage populaire, c’est un monde social qui leur est parfois un peu étranger et lointain. »
Un croisement entre les sciences
La compréhension des enjeux scientifiques est un élément fondamental dans cette lutte : « Ça peut être un point d’appui important pour les mouvements sociaux, pour chaque citoyen, chaque citoyenne, mais aussi pour les politiques publiques qui soient ainsi mieux documentées. » Philippe poursuit : « Il faut que ces mouvements sociaux, ces coalitions soient suffisamment puissantes pour se confronter à tous ces lobbys, tous ces intérêts dominants qui, eux, sont évidemment très mobilisés. »
La diffusion de données scientifiques pour sensibiliser et éduquer les populations, une grosse partie du travail, se fait dans l’enseignement, c’est d’ailleurs l’une des problématiques que Philippe questionne : « Est-ce qu’il faut intégrer l’enseignement de l’écologie dans différentes disciplines ou est-ce qu’il faut une sorte de discipline transversale à part entière qui permette ce dialogue entre différents types d’approches scientifiques ? »
Les normes et réglementations telles que le pollueur-payeur ne sont que partiellement efficaces : « C’est un principe de réparation. On est sur des logiques qui sont plutôt incitatives, mais qui ne transforment pas radicalement les modes de production, de consommation ou de transport responsables des destructions en cours. » Cependant, Philippe précise que nous sommes actuellement confrontés à une accélération de ces phénomènes qui ont une croissance quasi exponentielle.
Lutter contre le déni climatique
Le chercheur insiste sur la nécessité de ne pas tomber dans un pessimisme qui immobilise. En effet, de vrais élans de solidarité naissent au cœur de ces catastrophes : « On l’a vu récemment avec les inondations en Espagne, par exemple, où c’est la population qui s’autoorganise pour faire face aussi aux catastrophes. » La lutte face au déni écologique est aujourd’hui un travail de grande ampleur : « Il est entretenu par à la fois la mobilisation d’intérêts dominants, de groupes sociaux et économiques qui ne veulent pas remettre en cause leurs privilèges, mais également le manque de support d’information qui soit suffisamment indépendant », explique-t-il encore.
De récentes évolutions juridiques reconsidèrent la valeur des animaux, soulignant ainsi l’importance de prendre en compte leur souffrance dans les débats contemporains : « Il y a de plus en plus de lois à travers le monde qui essayent d’aller dans le sens d’une plus grande protection des animaux à travers des travaux scientifiques, un progrès dans les connaissances scientifiques en biologie ou en éthologie pour reconsidérer la souffrance et l’anxiété animale ».
Infos pratiques :
Jeudi 21 novembre 2024 à 16h30 à l’auditorium des Champs Libres (entrée gratuite).
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