Depuis plus de vingt ans, Jeremias Escudero dégaine son appareil photo entre deux continents. Originaire du Mexique, le photographe est installé depuis 2013 à Rennes où il mêle portraits et performances artistiques.
Jeremias Escudero est né en 1980 à Guadalajara au Mexique. A 17 ans il arrête le lycée pour se consacrer au football, puis laisse tomber son rêve à 22 ans pour en suivre un autre : celui de la photographie. En parallèle de ses études aux Beaux-Arts de Guadalajara, il est dans un premier temps photographe pour le journal Mural puis assistant photographe. En 2007, il part à Rouen poursuivre ses études dans le cadre d’un échange d’un an, puis y retourne et s’y installe finalement. Depuis 2013, il habite à Rennes avec sa compagne où il monte différents projets photographiques. Du football à la photographie, du Mexique à la France, d’étudiant à père de famille, le travail de Jeremias Escudero se nourrit de son évolution personnelle, questionnant la transformation de l’être et de son environnement.
C’est dans les immeubles de Plaine de Baud, à Rennes, que Jeremias et sa compagne Alice ont élu domicile et ont vu toute l’évolution de leur quartier : « Quand nous sommes arrivés ici, notre fenêtre donnait sur des champs ou des jardins potagers qui sont aujourd’hui remplacés par des immeubles. Toute cette transformation urbaine progressive a nourri mon travail photographique ». En 2019, dans le cadre d’une résidence artistique des Rencontres photographiques de ViaSilva, et portée par l’association Les Ailes de Caius, Jeremias Escudero présente son exposition De Agua. Dans le quartier en construction, il arpente et photographie les bâtiments qui sortent de terre, les ouvriers, et les habitants. Parmi les clichés des ouvriers de chantier qui témoignent d’un lieu aujourd’hui disparu, Jeremias Escudero signe une série d’autoportraits appelé le Cerf Bleu.
Entre photographie et performance, Jeremias Escudero se mue en une créature légendaire. Inspiré des traditions mexicaines, le personnage du Cerf Bleu semble étranger à l’image : peint en bleu, rouge ou noir, parfois masqué, c’est pourtant en utilisant ce qui l’entoure, de la végétation à des tuyaux de chantier, que ce personnage presque fantomatique repossède l’espace. Est-il perdu, cherche t-il les siens ou de quoi survivre dans cet environnement en perdition ? Cette série d’autoportraits questionne notre rapport à la nature, à la transformation et à ce qui nous est étranger. « Le Cerf Bleu emprunte les codes des Huichols, peuple indigène vivant dans la Sierra Madre et dont les terres sont aujourd’hui menacées d’exploitations minières » explique t-il. Ces indiens de la côte pacifique mexicaine sont connus pour leur artisanat minutieux qui retranscrit les visions que leur insuffle le peyotl, petit cactus hallucinogène. « Les Huichols donnent une grande importance à la mort, à la nature, aux esprits et à la transformation de manière générale ». En abordant ces thématiques, Jeremias Escudero invoque ces origines et cette entité bleutée fantasmagorique, dans un projet visant à documenter l’évolution de l’éco-quartier ViaSilva. Mais Le Cerf Bleu se promène aussi dans d’autres mondes, comme dans les paysages lunaires de la Côte de granit rose et les champs de panneaux solaires du Trégor, ou se perd dans l’effervescence de la ville.
Le processus de travail semble simple : « J’arrive sur les lieux avec mon vélo et mes valises puis je marche jusqu’à trouver l’endroit idéal pour ma photo. Sur place, je peux me servir de ce qui m’entoure pour constituer ma mise en scène, puis j’installe les éclairages, j’appuie sur le retardateur et je pose. Il faut se motiver avec la météo bretonne, mais je peux rester des heures à faire ça ! » raconte Jeremias. Mais en amont, c’est un long travail de recherche que le photographe explique : « Je fais constamment travailler mon imaginaire, je réfléchi à différents sujets, à mes costumes, mes plans et à la manière dont je vais pouvoir les concrétiser ». Une fois le projet dans la boîte, c’est encore un long chemin pour proposer ses photos à un appel à projet : « Après mon dépôt de candidature, je peux attendre des mois pour avoir un retour, et la réponse peut parfois être négative, surtout parce qu’il y a beaucoup de demandes ou parce qu’il y a déjà certains photographes reconnus sur la liste ».
Au mois d’octobre lors du festival L’image Publique, Jeremias Escudero présentait au cinéma Le Foyer à Acigné son exposition Los Antorchistas, une série photographique sur les processions de la région du Yucatan au Mexique. Chaque année en l’honneur de la vierge de Guadalupe, ce sont des millions de personnes qui effectue le deuxième plus important pèlerinage au monde. « Cette exposition met en avant les catholiques indigènes, qui ont pour particularités de porter sur leur dos de grandes statues ou tableaux de la Vierge sur des kilomètres, à pied ou à vélo ». Toute l’importance du catholicisme dans les cultures indigènes, hérité de l’Empire colonial Espagnol, est représentée dans cette série de photos. La population du Yucatan, fidèle à ses croyances, est prête à traverser des kilomètres pour commémorer l’apparition de la Vierge en 1531 à Juan Diego, un indigène converti au catholicisme.
Ce n’est pas les seules photos que Jeremias escudero a produit au Mexique. Il a en effet pour habitude de se promener dans la rue avec son appareil, pour dégainer à tout moment son objectif. « Je tire le portrait de personnes que j’interpelle dans la rue. Je peux boire un café ou marcher avec elles pendant des heures jusqu’à trouver l’endroit idéal pour ma photo. Ce qui m’intéresse, c’est les gens ». Muni de son appareil, Jeremias Escudero va à la rencontre de ces personnes, parfois invisibles, de notre société : sans-abris, sans-empois ou étrangers. Cet été, le photographe mettait en avant les ouvriers agricoles de la région de Lannion, dans les côtes d’Armor. « Dans le Trégor, mon beau-père accueille des Soudanais qui récoltent des cocos Paimpolais. Je les ai suivi dans les champs et j’ai photographier l’équipe de saisonniers appelés les plumeurs. J’ai alors fait la rencontre des jeunes comme des retraités, Roumains ou Bulgares, cette petite société multiethnique et éphémère ».
« C’est dur d’être un étranger, ici comme ailleurs. Dans dix ans, j’aurai vécu autant de temps au Mexique qu’en France et même si l’on prend ses habitudes, on ne se défait jamais de ses racines. A Rennes, il y a une communauté de latinos venus du Pérou, Equateur, Colombie ou Argentine. Certains sont des amis avec qui nous pouvons partageons nos difficultés. Rien que le fait d’écrire un mail demande un effort énorme, surtout avec toutes les formulations que la langue française demande d’employer ! ». Avec un ami mexicain, Jeremias Escudero avait déjà monter son atelier Sinestesia à deux pas de l’Église Saint-Hélier à Rennes : « Ce n’est pas si facile de gérer une association en tant qu’étranger, surtout que, en bon latino qui se respecte, nous avons l’habitude de travailler à l’arrache ! » s’amuse t-il.
Et le prochain voyage au Mexique ? « J’y pense, mais pas pour maintenant. J’ai mes trois enfants ici, et un tel voyage demande une organisation importante, du temps et de l’argent. Je me focalise en premier lieu sur mon travail photographique et j’expose d’ailleurs aux Confidences des Vignobles, une cave à vin Plaine de Baud, le samedi 21 décembre lors du marché de Noel. En mars, nous souhaitons organiser un festival à l’Hotel Pasteur sur le thème de l’Amérique Latine, avec des artistes latinos et locaux, regroupant des concerts, des ateliers et des expositions ».
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