Rennes. Une politique culturelle écoresponsable avec l’Opéra de Rennes

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Dans le cadre de notre dossier autour de la politique culturelle écoresponsable à Rennes, la rédaction a rencontré Matthieu Rietzler, directeur de l’Opéra de Rennes, et Marion Étienne, responsable du pôle des publics et référente développement durable. Comme tout équipement culturel en régie, l’Opéra de Rennes dépend de la ville et applique les dispositifs mis en place par la municipalité. Mais de quelle manière cela se traduit-il concrètement ?


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Matthieu Rietzler, directeur de l’Opéra de Rennes, et Marion Étienne, responsable du pôle des publics et référente développement durable

Unidivers – Depuis 2018, chaque structure culturelle possède des référents et référentes développement durable. Pouvez-vous me parler précisément des missions qui vous incombent ? Y a-t-il eu un recrutement ou vos missions ont-elles évolué ?

Marion Étienne – Chaque équipement possède un référent, mais ce n’est pas un poste à part entière. Je suis responsable du pôle des publics, mais dans d’autres structures, le référent peut être un administrateur, un directeur technique, etc.

Matthieu Rietzler – À l’ensemble de l’opéra, il est important que ces questions soient une responsabilité partagée. Le référent fédère l’équipe, mais elles doivent être portées par tout le monde, sinon ça ne fonctionne pas. C’est un projet d’équipe de prendre cette problématique à bras le corps, à la fois dans le quotidien professionnel de chacun, mais aussi dans le projet général de la structure. Elle doit être totalement intégrée dans la politique de l’établissement.

Unidivers – Avant cette convergence de la ville et des acteurs culturels qui date de quelques années, l’Opéra de Rennes était-il déjà engagé ?

Matthieu Rietzler – Rennes est un territoire historiquement mobilisé sur ces sujets et les lieux comme l’opéra sont poreux avec leurs territoires.

Marion Étienne – La société et l’actualité jouent aussi beaucoup. On est collectivement très impactés depuis deux ans et on se rend compte qu’il est temps de changer certaines pratiques. Ces questions sont présentes depuis longtemps et de bonnes pratiques se sont mises en place, mais de manière plus ponctuelle. On sent aujourd’hui un réel mouvement pour changer les choses à tous les niveaux de cette transition.

Unidivers – La ville de Rennes invite les lieux à ouvrir leurs espaces de travail pour mutualiser et partager, et l’Opéra est particulièrement investi dans cette collaboration. Pourriez-vous me parler de ces mises en place ? 

Matthieu Rietzler – Quand nos espaces ne sont pas occupés par notre propre activité de production et de diffusion d’opéras, de concerts, de spectacles, etc., on pense le lieu comme un outil à partager, comme une fenêtre qui serait grande ouverte. Il arrive régulièrement qu’on accueille des compagnies et des artistes en résidence, que notre principale salle de répétition et autres petits studios soient mis à leur disposition et qu’on ait des événements à la Rotonde. Après tout, le lieu est en ordre de marche et chauffé.

Que les outils et les bâtiments soient les plus exploités et partagés est important, c’est de manière qu’on crée un lieu de vie qui permet la circulation des publics pour ne pas rester dans un cloisonnement des disciplines. Samedi 18 novembre, l’Opéra a par exemple accueilli des boîtes afghanes [appareils photos utilisés traditionnellement pour faire des portraits de rue, notamment pour des photos d’identité, ndlR] dans le cadre de l’inauguration du festival de photographie Glaz. On a également un lieu d’exposition qu’on met souvent à disposition.

Le tout s’inscrit dans ces enjeux environnementaux, mais aussi culturels et sociétaux. On facilite l’appropriation de l’opéra en tant que genre artistique et en tant que lieu.

opera rennes

Unidivers – Quels sont les dispositifs mis en place ? Comment la transition écologique se retranscrit-elle dans votre travail au quotidien ? 

Marion Étienne – Ça va des couturières qui récupèrent des serviettes éponges pour faire des lingettes aux techniciens plateau qui vont avoir des idées écogestes et penser à des fabrications qui aideront à réduire les déchets. L’Opéra a un partenariat avec la ressourcerie La Belle Déchette, ce qui permet de donner une seconde vie à des éléments de décors, des accessoires et des costumes. Ça passe aussi par des dons divers à des associations, des structures amateur et des particuliers, comme par exemple pour nos affiches et des toiles peintes qu’on ne peut plus utiliser. 

Il est aussi question de revoir nos pratiques, ne plus avoir de verres en plastique et privilégier la gourde. Travailler sur les formats et les quantités de programme de saison a été un changement important aussi. Ils ne sont envoyés qu’aux personnes qui le demandent et le nombre de pages a été drastiquement réduit.

La question des économies d’énergie est aussi d’actualité. L’opéra a été associé l’an dernier au Championnat de France des Économies d’énergie et auquel la ville de Rennes a participé. Nous avons réalisé un diagnostic de nos consommations et l’idée a été de travailler pendant un an à les réduire. Parmi les exemples, on a coupé les systèmes de ventilation durant la nuit et le weekend en site inoccupé, ce qui a entraîné une économie de près de 20 %. On a aussi baissé la température de 1°C et on coupe les chauffages dans les loges quand elles ne sont pas utilisées. Ça passe par de la pédagogie aussi : éteindre les lumières de son bureau, le photocopieur et son ordinateur le soir. L’Opéra passe aussi progressivement en LED pour tous ces éclairages. Et on a fait l’acquisition d’un vélo cargo qui nous permet de faire les trajets entre l’opéra et nos ateliers de la plaine de Baud pour transporter du petit matériel et des décors.

L’équipe est très investie, beaucoup d’agents sont déjà engagés à titre personnel. Sur 36, on en a 32 qui bénéficient du plan de déplacement des agents.

Matthieu Rietzler – Dans les contrats avec les artistes invités, on demande une attention particulière sur les transports pour qu’ils privilégient le train sauf pour ceux qui viendront d’une zone trop éloignée géographiquement.

ailes du désir opéra
Les Ailes du désir, un opéra de La Co[opéra]tive © Christophe Raynaud de Lage

Unidivers – Et cela fonctionne-t-il ? Les artistes y sont-ils sensibles ? 

Marion Etienne – Concernant le 1°C en moins, les artistes ont accepté de répéter en se mettant une couverture sur les épaules. Il y a deux ou trois ans, ils auraient sans doute râlé pour que le chauffage soit augmenté (rires).

Matthieu Rietzler – Il y a une vraie prise de conscience des solistes lyriques. Ça paraît logique et légitime à tout le monde qu’on le fasse. L’Opéra a obtenu, avec le soutien de Destination Rennes, le label “Destination innovante durable”. Nos engagements sociétaux sont clairement à l’endroit de l’égalité entre les femmes et les hommes, la prévention des violences sexistes et sexuelles, la manière dont on vit ensemble dans une équipe et la question environnementale. Notre rôle en tant que réseau d’opéra est de créer les meilleures conditions de rencontres entre des œuvres, des artistes et des personnes. C’est ce qu’on aime faire, ce qui nous anime. On a encore énormément de travail, nous ne sommes pas parfaits, mais l’opéra possède une dynamique indéniable.

Unidivers – La ville de Rennes vous a notamment demandé de ralentir en termes de productions. Au-delà du quotidien, comment les enjeux écologiques se retranscrivent-ils dans la programmation ? 

Matthieu Rietzler – On a une orientation politique claire, mais la ville nous fait confiance pour bien la transcrire. Cette orientation, l’Opéra y répond de plusieurs manières. Nous savons que la première source de consommation de ressources, c’est le déplacement des spectateurs. On travaille donc pour que les spectacles qu’on produit puissent se déplacer, être présentés à Rennes mais aussi dans d’autres lieux, le plus proche possible des spectateurs. C’est pourquoi on collabore avec Angers-Nantes Opéra. La production La Chauve-souris, présentée en février prochain, ne sera pas jouée seulement à Rennes sans se préoccuper de ce qu’il se passe chez nos collègues de Nantes, à 100 km d’ici. On travaille intelligemment ensemble et on déplace le spectacle de sorte que le public extérieur ne soit pas tenté de venir jusqu’à Rennes. 

Il en va de même avec La Co[opéra]tive, projet qui regroupe trois structures de productions lyriques – Compiègne, Tourcoing et Rennes – et trois scènes du réseau pluridisciplinaire, des scènes nationales – Besançon, Quimper et Dunkerque -. On produit un spectacle ensemble  tous les ans qui est pensé pour être un spectacle d’opéra qui peut aller sur les routes et donc au plus près des spectateurs. On investit les ressources financières et environnementales nécessaires à la production pour que le spectacle soit vu plus d’une dizaine de fois et pas seulement trois fois. Ainsi, le ralentissement ne se traduit pas par le nombre de lever de rideau, on fait moins de productions qui sont beaucoup plus jouées.

 Chauve Souris opéra
La Chauve Souris, un événement Opéra de Rennes et Angers Nantes Opéra

Unidivers – Au niveau des artistes invités, comment cela se passe-t-il ? Vos choix privilégient-ils désormais les artistes locaux ? 

Matthieu Rietzler – Oui et non. L’Opéra est un art intrinsèquement européen et un marché européen, voire mondial. On ne peut pas penser un opéra enfermé dans son territoire, par contre on souhaite penser la production d’un opéra de manière plus vertueuse. Quand les artistes viennent pour la production d’un opéra, 5 à 6 semaines en général, on propose qu’ils aillent jouer un récital dans une autre ville à proximité. On cherche comment leur présence peut être mise à profit pour optimiser leur venue.

Par ailleurs, nous luttons contre les clauses d’exclusivité. Personnellement, ça ne me dérange pas qu’un spectacle ait lieu ici, à Brest, à Quimper, à Nantes et à Caen. Travailler ensemble permet de faire des tournées rationalisées et d’éviter qu’un spectacle vienne à Rennes, reparte puis revienne à Lorient dans un an. Et c’est d’autant plus vrai et important dans le cadre d’une programmation comme Voix du monde. C’est indispensable d’avoir une ouverture aux traditions vocales des autres pays, mais une compagnie pour cette programmation ne vient jamais de l’étranger pour un seul spectacle.

L’opéra, l’art et la culture n’ont pas vocation à être un secteur fermé, nous sommes par définition un lieu de partage et d’émotions. Les artistes continuent parfois de voyager en avion quand c’est nécessaire, mais nous le faisons en étant soucieux des préoccupations environnementales. Mais ça ne marche que si la prise de conscience est collective. Ted Huffman, le metteur en scène du Couronnement de Poppée est Américain et est venu pour monter le spectacle, mais il avait d’autres projets en Europe. Il y est resté 4 à 5 mois avant de rentrer chez lui. Nous essayons de penser notre programmation de cette manière, mais nous sommes parfois rattrapés par la réalité.

Unidivers – Pour la suite, auriez-vous des ambitions ou de nouveaux objectifs qui vont prolonger votre engagement ? 

Matthieu Rietzler – L’écoconception des décors est un de nos prochains chantiers importants.

De manière globale, nous sommes relativement en avance sur ces enjeux environnementaux et je pense sincèrement que c’est en avançant de cette manière résolue que les progrès seront significatifs. Les projets avec la Co[opéra]tive et Angers-Nantes Opéra sont un peu innovants dans la production de l’opéra, mais actuellement c’est tout le secteur lyrique qui se mobilise vraiment. C’est super, car on ne peut pas avancer dans notre coin, on est beaucoup trop interdépendant les uns avec les autres. 

Marion Étienne – L’autre gros domaine sur lequel on ne peut pas avancer tout seul, c’est le bâti. Dans des bâtiments historiques avec de faibles performances énergétiques, il est nécessaire d’envisager des travaux d’isolation thermique… Par exemple, la rotonde est entièrement vitrée avec du simple vitrage, mais c’est aussi le cas d’autres bâtiments patrimoniaux de la ville.

Matthieu Rietzler – La question de la restauration se posera à un moment, mais ça ne nous appartient pas. On a la chance de bénéficier d’un lieu sublime, patrimonial. L’image d’Épinal de la ville de Rennes, c’est son opéra, son entretien est forcément un enjeu majeur.

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Concernant les perspectives pour l’avenir, l’Opéra de Rennes effectuera une grande enquête sur la mobilité de leurs spectateurs au mois de janvier 2024 à l’occasion des représentation de La Chauve-souris et souhaite mener une expérimentation de zones de rassemblements pour permettre aux spectateurs de rejoindre, en groupe, les parkings relais. Dans une réflexion partagée avec la Direction de la Culture de la Ville de Rennes, sera aussi menée une expérimentation d’une plateforme de covoiturage dédiée aux spectateurs.

L’opéra souhaite également lancer Une expérimentation d’une production totalement durable (de sa conception à sa diffusion) en s’appuyant notamment sur EDEOS, un outil d’évaluation et d’aide à la décision, développé par l’Opéra de Lyon, qui permet de comparer l’impact environnement d’un décor selon les scénarii de construction et les matériaux choisis.

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