L’association d’archéologie Alter Ego de l’université Rennes 2, gérée par des étudiants, professionnels et passionnés, invite à RenCONTRER le sexisme en archéologie du 26 septembre au 18 octobre 2022. Deux expositions et des événements ponctuels questionneront le sexisme et le harcèlement en archéologie et dans les sciences sociales.
L’archéologie, comme tout autre discipline, ne déroge pas à la règle du sexisme. Dans le prolongement du mouvement #MeeToo et des gender studies (études du genre) nées dans les universités anglo-saxonnes, étudiants et étudiantes, chercheurs et chercheuses francophones donnent depuis quelques années un coup de pied dans la fourmilière du patriarcat qui a construit nos visions d’hier et d’aujourd’hui.
Inspirée par les prises de parole dénonçant les violences sexistes et sexuelles ces dix dernières années, et pour lutter contre l’invisibilisation des femmes dans le monde archéologique, l’association Alter Ego Rennes propose de RenCONTRER le sexisme en archéologie à l’Université Rennes 2, du 26 septembre au 18 octobre 2022.
L’association Alter Ego Rennes est née en 2003 de la volonté d’aider les étudiant.e.s en archéologie à trouver des financements afin d’effectuer leur stage obligatoire. « Il y avait un enjeu citoyen, celui d’aider les étudiants qui ne pouvaient pas se permettre d’aller en chantier-école », souligne la doctorante Chloé Damay. Gérée par des étudiant.e.s, professionnel.le.s et passionné.e.s, l’association a depuis diversifié son champs d’action et s’est orientée dans la médiation et dans la vulgarisation : médiations dans les établissements scolaires (collèges et lycées), interventions aux journées du patrimoine, création d’expositions ou encore accueil d’autres initiatives. « Un des buts principaux de l’asso est de mettre en lien des personnes de générations et de champs disciplinaires différents, et de faire en sorte de créer un réseau », ajoute-t-elle.
Mais dans ce métier passionnant qui a fait rêver plus d’un enfant, les maux de la société sont aussi présents que dans les autres disciplines, si ce n’est plus. « Un pan très important en archéologie est le travail de terrain, un milieu généralement très masculin. Pendant plusieurs semaines, on évolue en permanence en collectivité, dans un temps resserré, dans la fatigue et dans le labeur », explique la doctorante Lisa Marchand. Chloé rajoute : « Ne serait-ce que pour la répartition des tâches de vie, c’est sexiste au possible. »
Hélas, force est de constater que les études du genre dans le monde archéologique francophone restent encore peu nombreuses. Autant sur les conditions de travail que sur la méthodologie, ce dernier demeure hermétique à la réflexion féministe.
Nourrie par les prises de parole d’étudiant.e.s et professionnel.le.s, la volonté citoyenne de l’association s’est muée en une prise de position rendue aujourd’hui visible avec le cycle d’événements, RenCONTRER le sexisme en archéologie. Pierre angulaire de cette initiative étudiante, l’exposition itinérante Archéo-Sexisme est une initiative du collectif Paye Ta Truelle, créé par Laura Mary, et de l’association Archéo-éthique. « Le but premier en faisant venir l’exposition est de sensibiliser le public universitaire et le corps enseignant, qu’ils reconnaissent concrètement qu’il est indispensable de relever et dénoncer », indique Chloé avant de poursuivre : « On aimerait aussi sensibiliser à la manière d’agir une fois les faits reconnus ».
Recueil de témoignages et d’illustrations, l’exposition dénonce la sous-représentation des femmes dans la recherche, le sexisme ordinaire, le harcèlement moral, les agressions sexuelles et autres actes répréhensibles dans les institutions, sur le terrain ou les bancs des universités. Ce n’est pas par hasard qu’elle prendra place dans le hall du bâtiment B du campus Villejean, passage obligé des étudiant.e.s en sciences sociales, particulièrement en patrimoine, histoire, archéologie et histoire de l’art. Siège de nombre de manifestations, c’est un bâtiment connu pour sa forte histoire politique. Les trois commissaires d’exposition, Ségolène Vandevelde, Laura Mary et Béline Pasquini, tiendront également une visio-conférence autour des discriminations sexistes en archéologie, du terrain à la recherche : histoire, enjeux et perspectives (5 octobre, 18 h, amphi B1). « Cette libération de la parole va de pair avec une évolution de la recherche sur la place de la femme. »
Dans le prolongement d’Archéo-sexisme, l’exposition Portraits de femmes archéologues militantes, réalisée par Alter Ego Rennes, rendra hommage à quinze femmes chercheuses dans la mezzanine du Tambour. Elle donnera à voir en peintures, collages et autres matériaux, le combat de ces femmes qui se sont battues, dans leurs travaux académiques comme dans leurs vies, pour faire bouger ces rapports de force et faire évoluer la science et ses enseignements. L’histoire et l’archéologie ayant été écrites par des hommes, à une époque où il existait très peu de femmes chercheuses, l’exposition porte sur la nécessité d’avoir des modèles de représentation et de montrer des femmes qui réussissent et militent, même si celles-ci sont oubliées, mises de côté. « L’invisibilisation des femmes dans la recherche vient du système patriarcal, qui influence la discipline scientifique », éclaire Lisa. « Certaines sociétés n’ont pas de traditions écrites très développées sur lesquelles s’appuyer pour interpréter les découvertes, comme les sociétés protohistoriques. » Citons par exemple les armes retrouvées dans les sépultures et attribuées, parfois à tort, à des hommes…
« La vision portée sur les sociétés passées est androcentrée, biaisée par le prisme patriarcal »
Lisa Marchand
Le reste de la programmation appuiera le discours des deux expositions en questionnant les écrits avec lesquels nous avons grandi et pris pour acquis. Seront ainsi mis en avant le développement de l’archéologie du genre et la répartition des rôles dans les civilisations passées. La conservatrice du patrimoine Hélène Djema se demandera où sont les femmes (spoil : dans les remerciements et les notes de bas de page) ou comment des découvertes scientifiques ont pu être attribuées à des collègues masculins, ce qui constitue “l’effet Matilda” (3 octobre, 18 h, amphi 3)…
Le sujet sera élargi au milieu universitaire en général avec la projection d’un documentaire poignant, Briser le silence des amphis (10 octobre, 18 h, Tambour). Le long-métrage donne la paroles aux étudiantes, doctorantes ou membres du personnel victimes de violences sexistes et sexuelles qu’elles ont subies au sein de l’université. « Une des personnes qui témoigne dans le documentaire sera à la table ronde [18 octobre, 18 h, B6, ndlr] pour parler particulièrement du statut de doctorant », informe Lisa. « En plus d’avoir tous les aléas propres à une vie de doctorante qui peuvent décourager, s’ajoute le sexisme. Le taux d’abandon de la part des femmes est hallucinant. » Selon l’article “Le féminisme et la question du genre en archéologie : de la théorie à la pratique”, 76% des titulaires d’un master sont des femmes, pour seulement 40 % de thésardes. « À compétence égale, pas de chance égale », ironise Lisa.
Suivra une table-ronde avec la réalisatrice Lysa Heurtier, le responsable égalité à Rennes 2 Jérôme Eneau et Camille Zimmermann. « Elle a abandonné sa thèse et publié un article sur le sujet. On est super contentes qu’elle soit présente parce qu’elle a eu le courage de l’ouvrir, elle est toujours en procès contre son agresseur. » Également présente, la vice-présidente étudiante Typhaine Grignard viendra parler de la charte de l’égalité sur laquelle l’université travaille ainsi que de la nouvelle plateforme de signalement de harcèlement mise en place d’ici quelques semaines. La plateforme se veut la plus anonyme et la plus rapide possible. « Rennes 2, surtout via la Mission égalité, essaie de faire son max sur ces sujets-là, mais certains problèmes demeurent et nous devons les combattre », confie Chloé. « Qui plus est, la recherche à Rennes 2 n’a pas de tradition d’étude sur les gender studies, qui commencent à peine à trouver leur place dans le monde francophone. » Une première qui laissera, on l’espère, porte ouverte à d’autres initiatives.
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