L’orangerie du Thabor, à Rennes, accueille Réseaux du silence, la nouvelle exposition de Tr Kaos, Traudi Malo de son vrai nom. Aux côtés de ses œuvres, elle invite sept artistes à réfléchir à la thématique de la communication digitale. Dans la lignée de Jean Dubuffet, l’artiste fut la fondatrice de l’atelier d’art thérapie au centre hospitalier Guillaume Régnier et, depuis, elle rend visible le travail des patients, artistes de l’ombre aux talents méconnus. Ce sera le cas du 22 au 26 août 2023.
Pénétrer dans la demeure de Traudi Malo, c’est entrer dans une véritable maison d’artiste telle qu’on se l’imagine. Une fois le portail puis la porte d’entrée franchis, nous sommes accueillis à l’étage du matériel parsemé de ci et là, des créations qui reposent à droite et à gauche – certaines sont en cours de finissage dont un mannequin enchaîné à ses téléphones portables… Et bien sûr, Traudi Malo. C’est dans un salon au plafond où dansent des squelettes bleus sur fond rouge que se déroulera l’entretien. Parlons de cette artiste justement, d’une pratique diversifiée, tantôt figurative, tantôt abstraite, mais toujours intense et profonde. Mais parlons aussi d’une vie à éclairer les artistes de l’ombre, ceux qui sont parfois en marge de la société sur lesquels est jeté un voile pudique. Car Tr Kaos préfère parler d’eux plutôt que d’elle.
L’amour de Tr Kaos, Traudi Malo de son nom de naissance, pour la peinture remonte à bien longtemps et ne s’est jamais éteint. Il la consume, avec son consentement, depuis des années. « Pleins de choses curieuses me prouvent que je suis faite pour la peinture », explique énigmatiquement l’artiste. Adolescente, elle était chargée de la réalisation des tableaux pour le dimanche à l’école religieuse où elle allait. « Mon père peignait, mais disait toujours “l’art ne donne pas de pain”. Il ne voulait pas que j’aille à l’école des beaux-arts. C’est grâce à une religieuse de l’école qui a harcelé mes parents tout un été pour qu’ils me laissent aller à cette école », se souvient l’artiste d’origine autrichienne. « Je me demandais pourquoi elle était obsédée par ça et j’ai appris qu’elle était elle-même sculptrice. » Après avoir étudié un an à l’école des beaux-arts de Vienne, Traudi Malo s’envole pour Paris au milieu des années 60, capitale française qui faisait rêver rien qu’en prononçant son nom.
Six ans aux beaux-arts de à Paris et sept ans de psychologie à l’université Rennes 2 plus tard, la double diplômée trouve une place en tant que psychologue au Centre Hospitalier Guillaume Régnier. Passionnée autant par les deux disciplines, dont le point commun selon elle est l’observation de l’autre de différente manière, elle a pu les fusionner au cœur du CHGR en créant un atelier d’art thérapie au début des années 80, dans le service du Pr Badiche avec son soutien. La direction a rapidement insisté pour que tous les pavillons en bénéficient, consciente de la qualité apaisante de l’activité. « C’était génial », et ces mots reviendront un bon nombre de fois dans la discussion, preuve que son expérience a été forte autant humainement qu’artistique. « C’était enrichissant parce que chaque secteur était géré par des directeurs différents, avec des fonctionnements différents. » Même les responsables les plus fermés à cette démarche ont reconnu l’utilité de la thérapie par la création chez les personnes avec des troubles. « Les patients avaient un tout autre comportement dans l’atelier et les uns envers les autres, dimension thérapeutique. » Des patients reclus, résidant à Guillaume Régnier depuis des années, se sont ouverts et ont pu retrouver une vie à l’extérieur, comme ce fut le cas pour Martine.
Dans cet espace restreint, qui vit au rythme de règles légitimes, Traudi Malo invitait à un moment de création et de liberté, dans lequel s’y dégageait une chaleur singulière. Un instant suspendu pendant lequel la maladie n’était plus le sujet principal. « Ça a été ma période de vie la plus extraordinaire. » Sa double formation lui a permettait d’appréhender les besoins des patients et de savoir s’adapter. Dans le prolongement de la démarche de l’artiste français Jean Dubuffet, qui s’est intéressé à l’art “des fous” à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, la peintre a toujours profondément défendu l’art brut et les bienfaits thérapeutiques de la peinture. « C’est ce qu’on faisait. C’est laisser chacun s’exprimer avec ses possibilités », déclare-t-elle. Leurs créations se faisaient la projection d’un intérieur et d’expériences passées, matérialisés sur une feuille de papier. « Il y avait véritablement de grands artistes qui se sont découverts dans l’atelier. » Elle continue : « C’était super pour la socialisation. Des patients ne se parlaient jamais entre eux et dans l’atelier, il arrivait qu’un fasse le dessin à l’autre », se rappelle-t-elle en citant Marcel qui dessinait pour ceux qui avaient peur.
Après la première exposition en 1983, sur la thématique de la pomme dans la chapelle de la Duchesse Anne en 1983, la psychologue et peintre a ouvert son grand atelier en 1990. Elle n’a cessé, ensuite, de révéler ceux et celles qu’elle a surnommé les artistes de l’ombre car, comme lui a si fièrement dit Jean-Claude : « Maintenant, on est des artistes ». Elle raconte : « Jean-Claude était à l’hôpital depuis son adolescence, il se laissait aller, mais pour l’occasion, il s’est acheté un costume et un fume-cigarette. Lui qui ne sortait plus est venu à l’exposition à pied tous les jours », raconte-t-elle au sujet de l’homme à qui elle a dédié son livre Artistes de l’ombre, 25 années d’art et thérapie, sorti en 2018. Sans forcément interagir avec le public, il observait et prenait grand plaisir à découvrir ce que les visiteurs écrivaient dans le livre d’or. C’est une histoire parmi tant d’autres que Traudi Malo raconte avec plaisir.
Parallèlement, l’artiste donnait ponctuellement des cours de peinture et de dessin à l’extérieur de l’hôpital, dans des maisons de quartier par exemple. « Ça me donnait un échantillon des personnes sans pathologies, je pouvais comparer. À l’extérieur, j’étais très scolaire, mais à l’hôpital, je leur laissais une grande liberté parce qu’il y avait une dimension thérapeutique », explique Traudi Malo.
De 2003 à 2008, une exposition était organisée chaque année à l’orangerie du Thabor. Pour chaque exposition, Traudi Malo invitait les artistes de l’ombre à réfléchir autour d’une thématique spécifique : Personnes personnes, Le Cerveau, Le Pied, C’est quoi délirer, etc. En rendant visible ce travail artistique au grand public, elle a ainsi offert un autre regard sur le handicap et la maladie, et cassé les a priori et les clichés, comme Jean Dubuffet avant elle.
Une fois à la retraite, elle a conservé ce lien avec Guillaume Régnier et a continué dans sa lancée en réservant un mur aux artistes de l’ombre dans ses expositions. Ce sera le cas à l’orangerie du Thabor. Réseaux du silence était initialement prévu en 2020, mais la pandémie et les problèmes de santé de l’artiste ont décalé la proposition à 2023.
Souffrante d’une maladie neurologique dégénérative, Traudi Malo, aidée de sa fille Yuna B., a dû adapter sa pratique qu’elle appréhende initialement de manière très stricte, dans le but de terminer les œuvres inachevées. « Il fallait que j’en arrive à ce stade-là pour me laisser aller et faire des traits pas droits », confie-t-elle. Dans ces œuvres les plus récentes, les dessins minutieusement tracés au crayon sont accompagnés de circuits d’ordinateur ou autres, donnant du relief à des œuvres qui traitent de la communication digitale. « J’ai peint un circuit d’ordinateur en blanc et l’intérêt des personnes, qui pensaient que j’avais construit ce circuit, m’a donné envie de travailler sur ce sujet », dit-elle simplement.
Au total, huit artistes d’horizons différents exposeront, dont Traudi Malo. Des ex-patients, mais également des artistes proches de Tr Kaos : Claude Reboul, Yuna B., mais aussi Amparo qui a repris l’atelier d’art thérapie à Guillaume Régnier, Isil, JYLO, Miwal et Nielsgarden. Chacun exposera entre une et trois œuvres aux côtés de celles de Traudi Malo en respectant un code couleur imposé. « Plutôt du noir et blanc, du bronze, quelque chose lié aux matériaux, un peu brut », précise Yuna B..
L’exposition Réseaux du silence est annoncée comme étant la dernière de Traudi Malo, mais passionnée comme elle est, lâcher pinceaux et crayons ne sera pas pour tout de suite. Alors qui sait, d’autres viendront peut-être. Elle a d’ailleurs déjà quelques idées…
Réseaux du silence de Traudi Malo à l’orangerie du Thabor, côté Est, du 22 au 26 août 2023.
Le vernissage aura lieu le mardi 22 août à 18h.
Livre Artistes de l’ombre, 25 années d’art et thérapie disponible aux éditions Yellow concept.
Quelle vie étonnante et riche au niveau culturel , humain qui a permis à Traudi de s’épanouir et de transmettre son art aux autres . Bravo et respect pour elle et sa fille Yuna qu s’est investie à fond dans ce projet…
Félicitations à tous les participants de l’exposition, qui est très belle et très touchante. Bonne continuation à tous!