Rentrée littéraire. Les hommes manquent de courage de Mathieu Palain, un roman témoignage puissant

Les Hommes manquent de courage livre

Dans Les Hommes manquent de courage, roman témoignage paru au éditions l’Iconoclaste, Mathieu Palain se fait le porte parole d’une femme qui a souffert de la violence des hommes. Glaçant et poignant.

On peut écrire que la carrière littéraire de Mathieu Palain suit une forme de logique. Inspiré par Florence Aubenas, il entre à Libération et désire consacrer sa vie professionnelle au reportage. Écrivain du réel, il a besoin, comme Sorj Chalandon, de faits concrets, existants, pour écrire. Avec son premier roman Sale Gosse, il livre un texte quasi documentaire sur des enfants sans repères et sur des éducateurs de la Protection Juridique de la Jeunesse (où a travaillé son père) qui ont pour mission de leur en donner. Puis Ne t’arrête pas de courir raconte l’histoire de Toumany Coulibaly, sprinter médaillé le jour et cambrioleur la nuit, là encore après la volonté de Palain de s’immerger dans le milieu carcéral. À la question qui le taraude de texte en texte, « d’où vient la violence de certains hommes ? », Mathieu Palain tente d’y répondre dans l’ouvrage suivant Nos pères, nos frères, nos amis, une enquête immersive, dans des groupes de parole mis en place par la Justice, dans une Maison des femmes. Toutes sont victimes de la violence de leurs congénères. Le sous-titre était clair « Dans la tête des hommes violents ». Se reprochant d’être passé à côté de ce phénomène majeur de société, il semblait logique que Mathieu Palain approfondisse ce premier sillon. C’est une femme, professeure de maths, que l’on appellera Jessie, qui va lui apporter ce réel dont l’auteur a besoin pour écrire. Elle l’a contacté après avoir écouté son podcast « Des hommes violents ». Pendant un an, elle va se confier lui disant « « Peut-être que secrètement, j’espère que tu écriras ce livre, pour que je dise à mes proches, « voilà si tu veux savoir d’où je viens tu n’as qu’à lire ça » ».

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« Lire ça », c’est entrer dans l’histoire d’une nuit, celle d’un roadmovie d’une mère et de son fils sur la route des confidences et de l’exposition des secrets de famille. Le fils, Marco, a quinze ans. Il ne va pas bien. Il déraille. Il déjante. Il sèche les cours, fume des joints, veut être détaché de l’autorité maternelle. La mère ne va guère mieux. Depuis trois jours, Marco ne donne plus signe de vie. Elle est embourbée dans une vie sentimentale compliquée, craintive de devoir affronter les services sociaux et de perdre ses droits d’autorité maternelle. Un soir, Marco l’appelle enfin en urgence, lui demandant de venir de suite. Jessie comprend qu’un événement grave s’est passé qui va la renvoyer vers sa propre histoire, celle qu’elle va dévoiler à son fils, dans les phares de sa voiture jusqu’au petit matin. Au volant, derrière une glissière d’autoroute jusqu’à un kebab au lever du jour, elle va dire son histoire, que Marco ne veut pas écouter, mais dont il demandera à plusieurs reprises des détails. Apprendre sans savoir. Jessie, Marco, comme si l’histoire familiale tournait en boucle, son histoire à elle étant le départ de son histoire à lui.

« Je me suis souvent demandé comment faisaient les familles qui n’avaient pas de problème », s’interroge Jessie, comprenant aussitôt que cette interrogation n’avait pas de sens, chaque famille ayant ses zones d’ombre. Mathieu Palain questionne cette part de transmission, consciente ou inconsciente, car le drame initial est celui de Jessie qui, jeune, va subir la violence d’un homme dans cette zone grise si bien décrite par Vanessa Springora dans Le Consentement. Tout va partir à vau-l’eau dès ce moment de bascule et de souffrance. La vie de Jessie se transforme dans un mélange de « consentement » et de soumission qui lui fait dire des hommes : « Et elle est là leur ambivalence. C’est là-dessus qu’ils se racontent que ce n’était pas du viol. Ils savaient que je ne voulais pas. Ils l’ont lu sur mon visage, dans mes hésitations, dans ma façon de monter à reculons. Et ils achètent ça avec une pizza. ». Le cheminement est tragique, couvert et dissimulé derrière une apparente acceptation : vie sexuelle débridée, escort girl, club libertin. Comme un tourbillon entraînant vers un puits sans fond.

En prenant la voix de Jessie, Mathieu Palain, règle aussi ses comptes avec les hommes de son précédent ouvrage, ceux qui indécrottables, ne comprennent toujours pas leur violence, ne la décèlent même pas, habitués qu’ils sont depuis leur enfance à ses rapports de dominant-dominée. Ils manquent de courage certes, mais plus encore de réflexion sur eux-mêmes. « Non, un homme ça s’empêche. Voilà ce que c’est un homme, ou sinon… », écrivait Camus dans Le premier homme. Un précepte que les hommes rencontrés par Jessie, et tant d’autres femmes, visiblement ne connaissent pas. Et qu’il est grand temps d’appliquer de manière universelle.

Les hommes manquent de courage de Mathieu Palain. Éditions Iconoclaste. 304 pages. 20,90€. Parution le 22 Août 2024.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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