Le magazine professionnel Livres Hebdo a donné les chiffres de la rentrée littéraire 2016 : entre la mi-août et fin octobre, 560 romans et recueils de nouvelles, français et étrangers traduits, seront publiés. La recherche du chef-d’œuvre va-t-elle faire des adeptes ? Ou simplement des hypermétropes ? Tentons d’y voir plus clair…
La rentrée littéraire, c’est exactement comme les soldes. L’événement se répète en été comme en hiver et se place sous le signe du bruit et de la profusion.
Avec 560 ouvrages, la rentrée estivale est moins profuse que l’édition 2015, laquelle en comptabilisait 589. Si la traduction demeure stable, 197 livres contre 196 l’an dernier, le nombre de nouveaux romans français est en baisse : 363 contre 397 en 2015. Rassurons-nous : le nombre de premiers romans reste quasiment le même (66 contre 68). La rentrée littéraire constitue aussi le coup d’envoi de la course aux prix littéraires. Et une belle réussite commerciale pour l’édition… Selon un sondage de GFK, la rentrée littéraire dite de septembre représenterait 19 % du chiffre d’affaires annuel pour la fiction moderne grand format.
Imaginez l’appétit nécessaire pour engloutir ces centaines de mille-feuilles littéraires. Selon un sondage récent de l’Ifop, la catégorie dite des « gros lecteurs » (soit 17 % de la population) lit plus de 15 livres par an. Même à ce rythme minimal, il faudrait environ 35 ans à ce bibliovore archétypal pour lire les 560 ouvrages de la rentrée littéraire 2016. Si vous ne savez pas quoi faire d’ici 2050, voilà donc le programme…
Reprenons les grandes lignes de cette rentrée analysées par Livres Hebdo. Comme en 2015, la littérature n’est pas imperméable au monde qui l’entoure : cette « rentrée post-traumatique », selon les mots du magazine, porterait beaucoup d’intérêt aux attentats de l’année précédente, la radicalisation, la double nationalité ou le désœuvrement de la jeunesse. Citons par exemple Une poupée au pays de Daech, d’Eli Flory (éditions Alma), ou encore Evelyne ou le Djihad de Mohamed Nedali (éditions L’aube). Christian Lejalé, chez Imagine and Co, traite directement des attentats avec son Paris, 13 novembre 2015.
Cette tendance irait de pair avec l’importance de l’exofiction (écriture fictive de la vie des autres, particulièrement de personnages célèbres). Les écrivains seront particulièrement à la fête cette année. Le carnet de Marceline Desbordes-Valmore, de sa descendante Lucie Desbordes, revient sur la vie de la poétesse. Thierry Beinstingel s’offre une Vie prolongée d’Arthur Rimbaud aux éditions Fayard. Au Mercure de France, sous la plume de Vénus Khoury-Ghata, c’est le poète russe Ossip Mandelstam qui fait l’objet d’une publication.
Autre point à noter : le transfert des écrivains d’une maison d’édition à l’autre. Cette année, le mercato littéraire est en hausse avec une vingtaine de transferts dans le domaine fraçais. « Conséquence du remodelage du paysage éditorial survenu il y a trois ans », selon Livres Hebdo. Ou peut-être d’une certaine lassitude des auteurs envers la monotonie graphique des grands éditeurs. On sait par exemple que Pierre Senges, publié par Verticales / Gallimard, signe Cendres des hommes et des bulletins aux éditions Le Tripode dans une mise en page somptueuse accompagnée des illustrations de Sergio Aquindo.
À voir les quelques noms connus de cette rentrée, on aimerait reprendre l’une des adjectifs de Dominique Viart pour qualifier la littérature contemporaine : concertante. S’entend, une littérature dans l’air du temps, souvent spectaculaire ou faussement scandaleuse, mais toujours médiatique. Comme à chaque élection législative, on retrouve les mêmes têtes. Amélie Nothomb, Régis Jauffret, Yasmina Khadra, Françoise Bourdin, Philippe Forest, Eric-Emmanuel Schmitt, Bernard Werber, Jean Teulé… Sans compter le récit d’un fils de, les mémoires d’un député, les aphorismes d’une chanteuse – intimité marquetée façon spin doctor et nègres littéraires. En prime, petite spécialité de la littérature contemporaine : les titres à rallonge : Ce Mexicain qui venait du Japon et me parlait dans l’Auvergne. Quand je serai grand, je serai Nana Mouskouri. Le garçon qui rêvait de voler en Cadillac. Ma diététicienne, mon ventre et tout le reste. Le jour se lève et ce n’est pas le tien. La vie est faite de ces toute petites choses. Le sérieux bienveillant des platanes…
Mais ne nous affolons pas : tout n’était pas forcément mieux avant. Il est toujours difficile de déterminer ce qui est prescripteur dans le choix d’un livre. Sans doute la sélection passe-t-elle par une adéquation entre le titre de l’œuvre, l’importance de son auteur, la ligne éditoriale de la maison ou le genre littéraire. Il faudra attendre quelques semaines pour tenir dans ses mains les ouvrages et en découvrir les premières lignes ou pages. Du reste, la sélection demeure une question subjective. Voici, pour notre part, les quelques livres que nous ne manquerons pas de lire.
Dans le domaine français, notre envie se portera sur le dernier Éric Vuillard, 14 juillet, publié chez Actes Sud dans la splendide collection « Un endroit où aller ». « L’auteur donne la parole aux émeutiers qui ont pris d’assaut la prison de la Bastille, en 1789, pour revendiquer leurs droits », nous dit le résumé. La révolution française a-t-elle le vent en poupe ? Toujours est-il que les éditions Actes Sud publient également un premier roman de Thierry Froger, Sauve qui peut (la révolution), qui mélange étonnamment histoire de France et biographie de Jean-Luc Godard.
Une certaine curiosité nous poussera à regarder de près le premier roman du philosophe Frédéric Gros, le portrait d’un homme d’Église humaniste et libertin. À ceux qui recherchent un auteur apparemment déclaré subversif, sachez que Richard Millet publie à la rentrée deux ouvrages, l’un chez Fata Morgana, l’autre chez Léo Scheer. Initiative intéressante : Vivre près des tilleuls chez Flammarion, une publication collective de l’AJAR, l’Association des jeunes auteur-e-s romandes et romands. Chez Lattès, Niels Labuzan offre un premier roman au titre séduisant, Cartographie de l’oubli, l’histoire d’un petit groupe de soldats allemands dans le Sud-Ouest africain de la fin du XIXe siècle. Aux éditions de Minuit, nous tâcherons de ne pas contourner l’incontournable Laurent Mauvignier et son dernier roman, Continuer, un récit sur l’échec dans les montagnes du Kirghizistan. Egalement aux édition du Tripode, Anguille sous roche promet de faire sensation ultramarine, grâce à la puissance évocatoire et invocatoire de sa langue et de son héroïne ; premier roman d’Ali Zamir, Comorien de 27 ans.
Côté étranger, la rentrée promet elle aussi de belles lectures. Bien entendu, on retrouve les pontes, les piliers de l’écritoire. Flammarion s’offre Le vieux saltimbanque, le livre-testament de Jim Harrison, mort en mars dernier. L’écrivain israélien Amos Oz publie chez Gallimard un roman intitulé Judas. Salman Rushdie arrive aux éditions Actes Sud avec Deux ans, huit mois et vingt-huit nuits. Chez Albin Michel, c’est Donald Ray Pollock qui risque de faire sensation avec Une mort qui en vaut la peine. Pour les inconditionnels de Twin Peaks, dont la saison 3 sortira courant 2017, Michel Lafon publie un roman de Mark Frost, co-créateur de la série avec David Lynch. L’histoire secrète de Twin Peaks fera le pont entre les saisons 2 et 3.
La rentrée littéraire est aussi celle des essais et mémoires. 87 ouvrages paraîtront entre août et octobre. Là aussi, quelques perles nous attendent. Albin Michel sortira une correspondance entre Stefan Zweig et Romain Rolland (1928-1940), les éditions Cerf un testament spirituel et orthodoxe de Gabriel Matzneff, intitulé Un diable dans le bénitier. Allia édite Le sacré dans la vie quotidienne de Michel Leiris. Alors, à vos marque-pages, prêt, feu, lisez !
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