Maud Ventura, avec Célèbre publié aux éditions de l’Iconoclaste, nous fait pénétrer dans les coulisses de l’ascension d’une chanteuse au succès mondial. Glaçant et terrifiant.
« Tête à claque ». C’est la formule qui vient immédiatement à l’esprit quand on évoque Cléo la narratrice du second roman de Maud Ventura. C’est même une expression a minima, tant « l’héroïne » vous donne envie au fil des pages de lui tordre le cou, ou même plus encore de la pousser dans l’escalier (vous comprendrez pourquoi à la fin de l’ouvrage!). Il faut dire que l’autrice nous avait préparé à cette lecture. Avec Mon mari, son précédent ouvrage adoubé par Amélie Nothomb, elle nous avait raconté l’histoire d’une femme follement amoureuse de son mari. Amoureuse jusqu’à la démesure, jusqu’à l’insupportable. On reste ici dans le même registre mais l’amour de l’autre est remplacé par l’amour de soi. Et cela commence jeune, dès l’âge de quatre ans, quand la petite Cléo confie à son père: « Papa, je voudrais être aussi célèbre que Céline Dion ». Le ton est donné.
« J’ai toujours préféré les faits qui confirmaient mon génie à ceux qui le réfutaient. »
De génie, il n’en est pas trop question au commencement. Quand même, parler de génie à quatre ans, il faut oser, mais rien ne fait peur à Cléo. Alors il va falloir attendre, se séparer de ces parents finalement médiocres, obnubilés par leurs recherches universitaires et acteurs de vies ordinaires car anonymes. Un séjour à New-York avec deux colocataires, plusieurs désillusions sont les préludes à un premier enregistrement d’une chanson composée après des scarifications volontaires à la cuisse et des nuits blanches. À ce prix, peu à peu, le rêve enfantin va devenir une réalité adulte.
« Je guette ma silhouette dans les vitres des voitures garées le long du trottoir. Chaque fois, la même excellente surprise : je suis sublime ce soir. »
Maud Ventura construit son jeu de l’ego pour adultes. Elle superpose des briques pour construire un mur, celui de la célébrité d’abord. S’appuyant sur une profonde étude documentaire, la voix de Cléo raconte par le détail son ascension avec un cynisme rarement rencontré. Contacts avec un label, producteur, enregistrement, style vestimentaire, shooting photos, interview « vérité » longuement préparée et bien entendu le rôle primordial des réseaux sociaux. Inventer une vie et la proposer du matin au soir à ses admirateurs dans un phénomène d’identification implacable. Tout est pesé, calculé. Tout sonne juste provoquant un terrible sentiment d’effroi.
Hors sol, Cléo qui s’est préparée toute son enfance et son adolescence à vivre ces instants de notoriété mondiale, elle qui n’a jamais connu autant d’ « amis » sur le net, est pourtant terriblement seule. L’ascension sociale se conjugue à une sorte de descente aux enfers qui la contraint à s’isoler à trente deux ans sur une île déserte pour « calmer le vertige qui monte ».
« Au même titre que l’argent, le succès ne rend pas aussi heureux qu’on le pense. »
Le sentiment n’a plus de place, tant avec le personnel qui entoure Cléo, qu’avec ses amants. Les premiers existent parce qu’elle les paie. Les seconds se confondent entre amour véritable et image publicitaire. Tout se mesure à l’aune de l’argent, des followers, du pouvoir exercé sur ceux qui vous entourent. Les mots (mais pas seulement !) sont assassins. La comédie légère se teinte progressivement de noirceur et envoie un reflet terrible de notre univers de paillettes, d’immédiateté où l’image prime sur le mot et la réflexion.
Maud Ventura aime nous faire adorer notre détestation. On ne reste pas insensible à la lecture, tant des sentiments contradictoires nous envahissent. La limite entre le faux et le vrai est ténue, semblable à la limite entre littérature et documentaire. Tout est faux mais tout est vrai. De là nait un profond malaise que ponctuent des phrases appelées à devenir cultes qui ponctuent parfois des fins de chapitres cinglants. L’humour noir est grinçant et comme avec « Mon Mari » l’autrice nous réserve une fin désarmante, digne d’un polar noir.
Elle nous lance un dernier défi: celui de ne pas voir, quand nous assisterons à un spectacle de notre artiste préféré, les ficelles du métier, celles indispensables pour arriver, sur cette scène devant vous, en pleine lumière. Le talent, rien que le talent… Souvent ? Parfois ? Toujours? Ou jamais ?