Maylis de Kerangal aime s’accaparer des sujets peu littéraires comme l’art du plongeon (Corniche Kennedy en 2008), la vie d’un chantier autoroutier (Naissance d’un pont en 2010), la transplantation cardiaque (Réparer les vivants en 2014) pour en faire de grands romans humains. Chaque fois, elle plonge dans cet univers jusqu’à connaître les termes professionnels, les différentes étapes. Elle maîtrise ce langage technique étranger à la littérature pour en restituer un récit rythmé, émouvant et vivant.
Simon Limbres a dix-neuf, il est passionné de surf. Ce samedi-là, à cinq heures cinquante du matin, il quitte sa petite amie Juliette pour rejoindre ses amis pour « une session à mi-marée à l’aube ». Au retour, c’est l’accident. Sans ceinture de sécurité, pour Simon le choc est fatal.Lorsque Pierre Révol prend son service au Département Réanimation du Havre, il constate la mort cérébrale de Simon.
Vingt-quatre heures de récit où chaque personnage s’identifie en premier lieu par son corps et ses gestes, puis par son action lors de cette journée de deuil, de questionnement puis de course contre la montre pour la transplantation d’organes.
Un récit direct, précis qui met le cœur dans tous ses états. Celui du lecteur suit les courbes d’un électrocardiogramme avec des pointes d’émotion lors des moments les plus dramatiques liés à la perte d’un enfant puis des accalmies lorsque l’auteur nous entraîne dans l’intimité de chaque personnage.
Des cœurs et des corps que l’on suit dans tous les moments de la vie. Celui de Simon qui vibre sous l’effort lors d’une session de surf, d’une course effrénée pour rejoindre sa petite amie Juliette mais aussi ceux de Cordélia, l’infirmière fébrile après une nuit d’amour ou de Thomas Remige, le coordonnateur des prélèvements d’organes et de tissus qui contrôle tout son corps pour extraire un chant puissant, lyrique et mélodieux.
Des corps et de voix qui s’effondrent en apprenant la mort, mais aussi en espérant la vie. Car c’est surtout le rythme de ce cœur qui continue à battre avec l’aide des machines externes, la course contre la montre pour la transplantation, qui nous font passer du deuil à l’espoir de la vie.
En grande technicienne, Maylis de Kerangal n’omet aucun détail. Sans vraiment s’appesantir pour éviter le mélodrame, elle approche la culpabilité des survivants (Johan aurait pu être à la place de Simon), la responsabilité des parents (« sans cette putain de passion pour le surf »), la loi sur le don d’organes, la position des croyants face à la résurrection, la psychologie des spécialistes, la fierté des grands chirurgiens (la caste des Harfang), la disponibilité et le professionnalisme des intervenants.
À l’image des professionnels de ces services de santé, l’auteur a cette précision des mots, cette brutalité des phrases. Elle évite de s’appesantir dans les excès de souffrance, de réflexion, préférant « la précision sèche au flou de l’esquive », intercalant des instants de vie des autres parce que la vie continue pour une histoire d’amour, une technique de chant ou même un match de foot, parce que le cœur, ce muscle qui vibre sous les passions continue à battre.
Réparer les vivants est sans conteste l’un des romans les plus forts de ce début d’année 2014.
Réparer les vivants, Gallimard, collection Verticales, janvier 2014, ISBN : 9782070144136, 288 pages, 19€ – Livre numérique : 14€ – EAN13 : 9782072530104. Ce roman a reçu le Grand prix RTL-Lire 2014 et le Prix du Roman des Etudiants France Culture – Télérama 2014
Maylis de Kerangal est une romancière née en 1967 à Toulon. Elle a passé son enfance au Havre. Elle est l’auteur de quatre romans parus aux Editions Verticales, notamment Corniche Kennedy (2008) et Naissance d’un pont (prix Médicis 2010 et prix Franz Hessel), ainsi qu’un recueil de nouvelles, Ni fleurs ni couronnes (« Minimales » 2006) et une novella, Tangente vers l’Est (« Minimales » 2012, prix Landerneau)