Avec ce Requiem allemand de Brahms, c’est une œuvre assez atypique que les amoureux de l’opéra de Rennes ont retrouvé les velours cramoisis et les dorures rococo qui leur sont chers.
Rien n’est plus inclassable, musicalement parlant que cette composition qui a demandé à Brahms plus de quatorze années de travail. Ni totalement religieux et certes pas profane, cette cantate funèbre qui ne dit pas son nom plonge ses racines au plus profond de l’humain en utilisant les mots du sacré. Comprendre ce Requiem Allemand exige quelques explications.
Tout d’abord le terme même de Requiem est fortement sujet à caution. Dans l’acception classique du terme ce mot est lié à la liturgie. Un Requiem est avant toute chose une messe pour les défunts. Ses différentes parties suivent la chronologie normale d’une célébration ce qui est très loin d’être le cas de l’œuvre de Brahms. Il est tenté par le titre de Requiem humain ce qui est plutôt une bonne idée tant l’expression colle plus à la réalité de cette œuvre. L’adjonction du mot » allemand » n’indique rien de plus que l’utilisation de la langue germanique, celle de la bible de Martin Luther, ce qui va également à l’encontre d’une conception liturgique utilisant plus classiquement le latin qu’une autre langue.
L’utilisation de l’article « un », n’est pas dénuée de signification et illustre la subjectivité du propos. Deux événements majeurs expliquent l’écriture de cette œuvre, en premier lieu le décès de son ami Robert Schumann en 1856 dont Brahms est profondément affecté, suivi en février 1865 de celui de sa mère, source d’inspiration encore plus assurée. Après différents essais et remodelages, la version définitive de ce Requiem allemand est proposée au public du Gewandhaus de Leipzig le 18 février 1869.
L’ensemble Mélismes et son chef Gildas Pungier, ont laissé de côté la version orchestrale pour proposer un accompagnement à deux pianos. Si cette approche peut à priori laisser perplexe, elle s’avérera être une belle idée, dépouillant la musique du risque de pathos et recentrant le propos dans une spiritualité et une émotion palpables. Les membres de « Mélismes » sont répartis sur toute la largeur et toute la profondeur de la scène, Covid oblige, cela ne nuit en rien à la qualité musicale, la gêne n’existe que pour les interprètes, pas pour le public. Des sept parties qui constituent le Requiem Allemand c’est la première; « Selig sind, die da leid tragen », « Bienheureux ceux qui seront dans l’affliction », qui nous saisit dès les premières notes par la beauté simple et profonde de ses mélodies. Véritable mise en condition nous sommes invités à une méditation, sage au début, et devenant incantatoire avec la seconde partie « Denn alles fleisch ist wie gras …)», « Car toute chair est comme l’herbe et toute gloire de l’homme est comme la fleur de l’herbe. L’herbe se dessèche et la fleur tombe.(1.Pierre 1:24).
Difficile de ne pas se laisser complètement entraîner par le dépouillement et l’intensité de cette prière, Mélismes nous y plonge par une interprétation précise et inspirée, vocalement irréprochable et portée par une émotion non feinte. La troisième partie « Herr, lehre doch mich », « Éternel, donne moi à connaître » installe un dialogue entre le chœur et un baryton, pour l’occasion l’excellent Timothée Varon, qui s’impose avec sûreté, grâce à une voix bien timbrée dont il sait dominer la puissance et une clarté de propos pleine d’assurance. Le ton est à nouveau incantatoire et la quatrième partie « Wie lieblich sind dein wohnungen », « Comme elles sont aimées tes demeures » nous oblige à nous replonger dans une méditation pleine d’humilité qui présente la mort, non plus comme une fin tragique mais comme l’ouverture heureuse des portes de l’éternité. Les humains ont pourtant quelques difficultés à considérer cet événement sous un angle positif.
La cinquième partie apporte une réponse tout à fait claire, « Ihr habt nun traurigkeit », « Vous aussi maintenant vous êtes attristés ». C’est une façon de dire que si la mort nous apporte chagrin et tristesse, nous n’en devons pas moins conserver l’espoir consubstantiel à la foi. Cette fois le chœur dialogue avec la soprano, pour cette soirée, Camille Poul, laquelle s’implique sans compter et soutenue par une belle diction offre une prestation louable. Quelques aigus sont un peu périlleux, mais elle s’en sort avec l’estime générale. Comme par un effet d’accélération, ou peut-être de fascination, nous ne verrons presque pas passer la sixième et la septième. Le baryton et le chœur font monter la dimension dramatique, s’ensuit un final en forme d’adieu apaisé dont la construction chorale évoque , sans doute possible, l’influence musicale de Jean-Sébastien Bach.. mais qui s’en plaindrait.
Alors que la dernière note flotte encore dans un opéra extatique, ce diable d’homme de Gildas Pungier impose à sa troupe comme au public un long et indispensable moment de silence. Le vivre aide à comprendre à quel point il est nécessaire. Il n’y a pas de raison de s’étonner de la salve d’applaudissements venus couronner ce remarquable travail proposé par l’ensemble Mélismes et son chef charismatique. Mais à l’émotion palpable s’ajoute pour les membres du chœur un événement particulier, le décès d’un des leurs en la personne du baryton François Cornet. Choriste des premières heures, membre des chœurs de l’opéra pendant près de vingt ans, sa gentillesse et sa grande compétence étaient unanimement saluées. Victime d’une longue maladie, il a pris congé de la vie le 21 avril 2020. Lors d’un bis bien mérité, Mélismes lui a rendu hommage en interprétant avec émotion « Reste encore un peu avec nous, puisque c’est le soir ». On ne pouvait mieux dire. Ce Requiem Allemand du premier octobre 2020 est dédié à sa mémoire.
Gildas Pungier : Direction musicale
Camille Poul : Soprano solo
Timothée Varon : Baryton solo
Chœur de chambre Mélisme(s) – Ensemble en résidence à l’Opéra de Rennes
Colette Diard, Coralie Karpus : Piano