Dans Révolution Hilary Mantel revisite un sujet des plus célèbres… Mais écrire sur la Révolution française est-il encore chose possible ? Avec Révolution, publié aux éditions Sonatine, l’Anglaise Hilary Mantel répond affirmativement à cette question. Remarquable roman historique en deux volumes.
Avec cette Révolution Hilary Mantel apporte-t-elle du neuf à du vieux ? De fait, la Révolution française a marqué l’histoire du monde, mais aussi la littérature. La monumentale Histoire de la Révolution Française de Michelet qui hésite entre l’histoire et le roman, les controversés ouvrages de Claude Manceron consacrés aux Hommes de la Liberté, les quatre formidables ouvrages de Robert Margerit, La Révolution (1) ou Victor Hugo et son Quatre-vingt-treize ont témoigné, parmi des dizaines d’autres, du caractère ambivalent de ce gigantesque événement inscrit dans l’Histoire, mais aussi dans le romanesque (2). Aussi fallait-il peut-être un regard étranger pour oser s’attaquer de nouveau à ce monument. Hilary Mantel est devenue une star mondiale avec la publication de trois ouvrages consacrés à la dynastie des Tudor. Mais vingt ans auparavant l’écrivaine s’était déjà attaquée avec succès à notre « Révolution ». C’est cet ouvrage que publient enfin en version française les éditions Sonatine.
Pas d’ambiguïté ; « ceci est un roman sur la Révolution française », écrit-elle en introduction. Les qualités de cette immense saga de plus de 1100 pages résident bien dans cette volonté romanesque. Nous ne sommes pas dans l’analyse historique de Soboul ou de François Furet. Certes, les fondements historiques sont bien présents, solides, explicatifs et incontestables. Les causes multiples des événements de 1789 sont décrites ou évoquées : les récoltes catastrophiques, le blocage des parlements soucieux de préserver leurs intérêts de classe, l’immobilisme et la faiblesse du pouvoir royal. Mais dans Révolution Hilary Mantel s’en sert comme toile de fond nécessaire, mais ils ne constituent pas l’objet du roman. Ce sont les hommes qui sont les véritables « sujets » et particulièrement trois d’entre eux : d’Anton, Robespierre et Desmoulins, trois jeunes avocats inconnus lors de l’ouverture des États Généraux le 5 mai 1789 et qui vont devenir en peu de temps trois figures incontournables du mouvement révolutionnaire. Le talent de l’auteur est immense pour donner vie à ses êtres figés depuis longtemps dans des biographies nombreuses, mais éloignées de la vraie vie.
Dans cette Révolution Hilary Mantel présente Robespierre comme « l’Incorruptible », idéaliste, se souciant peu de l’avis des autres, mais les mots de l’auteure et son style dévoilent un être effacé, transparent, qui va surprendre rapidement ses nouveaux interlocuteurs. Un entretien nocturne avec Mirabeau, par un dialogue extraordinaire, va plus que tout long traité historique révéler la différence énorme entre ces deux figures totalement antinomiques. Sous la plume de l’écrivaine, les dialogues sont magnifiques, les ambiances parfaitement reconstituées et en donnant vie à ses personnages, Hilary Mantel restitue la vie. Rarement un portrait de l’avocat d’Arras aura été aussi détaillé et plausible, appuyé par une documentation que l’on devine énorme, mais mise au service du « vivant ». Les procédés narratifs, parfois déconcertants, sont nombreux et permettent de jeter un regard extérieur aux événements. Journal intime, correspondance, extrait de journaux révolutionnaires, monologue donnent du rythme au récit multipliant les points de vue. Plutôt que de raconter par le détail les scènes mille fois écrites de la prise de la Bastille, la prise de la prison royale est évoquée à travers le sort réservé à Launay, son gouverneur, pris à partie puis décapité, faits racontés à la manière d’un journaliste au plus près de l’événement.
On ne s’ennuie jamais dans ce tumulte permanent où Camille Desmoulins impose à tous son rythme effréné de vie et de mort. Avec Révolution Hilary Mantel redonne vie à tous ces personnages, et ceux qui gravitent autour (on notera des portraits formidables de Choderlos de Laclos homme de main du duc d’Orléans, de Mirabeau sans scrupule et offert au plus offrant, de Brissot, de Mme Roland et de tant d’autres). En fait, la Britannique écrit l’Histoire. Elle démontre avec talent que les grands bouleversements politiques sont aussi la résultante du caractère de quelques hommes, placés là par le hasard ou leur talent. Elle explique qu’un besoin d’argent pour indemniser un mari conciliant peut modifier l’attitude publique d’un d’Anton devenu d’Anton par opportunisme. Bien entendu la famine est un événement déclencheur beaucoup plus important que le caractère hésitant et vénal du gaillard au visage vérolé. Mais une fois le processus événementiel engagé, la cupidité, la volonté d’être célèbre, le tempérament des acteurs comptent alors autant que la politique extérieure des pays étrangers. Malentendus, hypocrisie, lâcheté, ralliements, des mots et des maux qui vont conduire l’histoire autant que le rôle de la noblesse ou du clergé ce qui fit dire à Mirabeau : « nous vivons une époque de grands événements et de petits hommes ». Et le peuple, dont Hilary Mantel traduit à merveille le mouvement et la vie, sans démagogie, apparaît bien souvent comme un outil de pouvoir manipulé et loin de la réalité.
D’Anton, Robespierre, Desmoulins, trois personnages amis, totalement disparates, sont révélateurs des ambitions, des qualités et des défauts, des hommes qui au cours de quelques années décisives vont activer une machine dont ils ont rêvé, par idéologie ou par opportunisme, et qui va les broyer.
Déceler le vrai du faux dans ce roman est peu important. On devine que le but recherché est de nous faire partager la vraie personnalité de ces hommes ordinaires que les événements vont rendre extraordinaires. Comme l’écrit Hilary Mantel, « ce qui paraît particulièrement invraisemblable a toutes les chances d’être vrai ». Cette vérité on la sent poindre à chaque ligne en se disant que les sentiments que ressentent ces hommes et ces femmes de pouvoir sont proches de ceux que l’on prête à nos politiciens d’aujourd’hui. Deux cent vingt-sept ans plus tard, on peut s’en réjouir ou le déplorer. Ou simplement constater que le combat politique est, et sera, toujours le même, oscillant entre des idéaux et les défauts des hommes.
Révolution Hilary Mantel, Révolution Française, éditions Sonatine
Révolution, Hilary Mantel, éditions Sonatine, (tome 1 : l’idéal : 492 pages ; tome 2 : Les désordres : 656 pages), 22 euros par ouvrage, disponibles en e-book.
Traduit de l’anglais par Claude et Jean Demanuelli
(1) Les quatre tomes « L’Amour et le Temps », « Les Autels de la Peur », « Un Vent d’Acier »,« Les Hommes Perdus », sont disponibles en poche ; ils sont incontournables et d’une lecture aisée et riche.
(2) À noter la parution dans cette rentrée littéraire du roman de Éric Vuillard « Quatorze Juillet » chez Actes Sud qui raconte la prise de la Bastille par les participants. La Révolution française n’est pas prête de s’éteindre, au moins sous la plume des historiens et des romanciers.
Deux fois couronnée par le Booker Prize, Hilary Mantel est unanimement tenue pour l’un des plus grands écrivains de langue anglaise. Elle a connu un succès mondial, y compris en France, avec sa célèbre trilogie sur les Tudor. Dans l’ombre des Tudors et Le Pouvoir, les deux premiers tomes de sa trilogie sont publiés également aux Éditions Sonatine.