Revue La Moitié du Fourbi, littérature et appels d’air

Encore une nouvelle revue ? La moitié du fourbi le sait, puisqu’elle envisage la littérature comme ce qui soustrait au désordre et au bric-à-brac « des pistes et des espaces ». Consciente de sa faiblesse, mais aussi de sa force, la revue cherche à renouveler le champ littéraire, comme en témoigne sa participation au salon de la revue, sur le thème « littérature et hybridité ». Pour son deuxième numéro, l’équipe a choisi le thème de la trahison.

 

moitié fourbiL’objet est sobre dans son graphisme, très vite familier au regard. La revue dénote cependant une originalité et un humour discrets, intelligents. Pensons à cet édito détourné de Frédéric Forte, membre de l’Oulipo ou à la présentation des « traîtres », c’est-à-dire des auteurs. Pour la plupart, les collaborateurs de la revue viennent du monde littéraire, avec un point d’ancrage marqué pour le web, remuet.net et Actes Sud. Trahir, un thème fort ? Un thème, surtout, hautement littéraire. Frédéric Fiolof revisite la figure du menteur à travers le personnage haut en couleur de Joël. Le mensonge et la trahison versus la fiction ? La trahison touche aussi à l’imposture, comme Anthony Poiraudeau le montre en parlant d’Annie Ernaux et des « transfuges de classe ». Comment gérer la trahison de passer d’une classe dite populaire à une classe dite bourgeoise, et surtout comme écrire ce passage sans trahir ses origines ? Dans Les trahisons terrestres de Marina Tsvétaeva, Zoé Balthus envisage la trahison paradoxale du suicide ou l’adultère au prisme de la fidélité éternelle à une idée, une mission ou un amour.

Ce que j’écris trahit-il ma pensée ? se demande liminairement Frédéric Forte.

fourbi revueÉcrire, c’est aussi et forcément trahir. Trahir sa langue, nous apprend Anne-Françoise Kavauvea en parlant d’Aharon Appelfeld, romancier et poète israélien, né en Roumanie, germanophone, contraint d’abandonner sa langue maternelle suite à la Shoah, à son évasion et son départ pour la Palestine. Écrire, c’est aussi trahir les mots, surinvestir le sens d’une évidence. Nolwenn Euzen, dont le prochain recueil de poèmes paraîtra chez Recours au poème éditeur en janvier 2016, investit le thème en triturant et en farfouillant dans le dictionnaire Larousse. Romain Verger, quant à lui, dans son texte Efface-moi, je t’en prie, considère la trahison en amont de l’œuvre littéraire. Il revient sur la collaboration de Raymond Carver et de son éditeur Gordon Lish, lequel corrigeait en l’épurant l’œuvre de son auteur. Si la vampirisation est réciproque, n’est-ce pas la preuve que l’écriture est toujours plurielle, toujours empruntée ? Alain Giorgetti, en bâtissant un texte à partir d’un discours de François Mitterrand, parle de la trahison du langage dès lors qu’il devient politique ou idéologique. La trahison du langage, c’est aussi le face à face de l’art et de l’histoire. Hélène Gaudy, en écrivant une courte biographie de Kurt Gerron, cinéaste et acteur berlinois, de confession juive, envoyé à Auschwitz et contraint à tourner un film de propagande sur les camps de concentration, nous suggère que les frontières entre la trahison et la fidélité sont décidément très poreuses.

Courte revue sur un thème total, La moitié du fourbi parvient dans ce numéro à parler de l’acte de trahir de manière jubilatoire et complète. On notera les superbes cartes de Guillaume Duprat, sa topologie de l’Enfer de Dante. Pour finir, on retiendra surtout les noms des collaborateurs, véritable vivier de la création littéraire et artistique contemporaine. Un sacré fourbi !

La Moitié du fourbi

Numéro 2. Thème : trahir
Sortie le 10/10/2015
112 pages, 14 euros (500 exemplaires)
Disponible dans ces libraires

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