Rima Hassan à Rennes 2 : liberté d’expression ou provocation politique ?

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La venue de l’eurodéputée de La France Insoumise, Rima Hassan, à l’université Rennes 2 le jeudi 10 avril 2025 a provoqué une vague de réactions, principalement issues de la droite bretonne. Les accusations fusent, les mots sont lourds – « inadmissible », « islamogauchisme », « provocation » – mais au-delà de la polémique immédiate, une question plus large se pose : quel est le rôle de l’université dans le débat public ? Jusqu’où peut aller la liberté académique ? Et que dit cette controverse de notre époque ?

Une figure politique clivante

Née dans le camp de réfugiés palestiniens de Neirab, en Syrie, arrivée en France à l’âge de dix ans, Rima Hassan est aujourd’hui eurodéputée de LFI. Militante engagée pour la cause palestinienne, elle incarne aux yeux de certains un renouvellement de la gauche combative ; aux yeux des autres, une ligne dure, idéologiquement marquée, voire dangereuse. Ses prises de position sur la situation au Proche-Orient, le racisme d’État ou la laïcité ont souvent suscité des remous, y compris dans les rangs républicains.

Une université sous tension

Rennes 2, historiquement marquée à l’extrême-gauche, n’en est pas à sa première controverse. L’université se veut un lieu d’expression et de débat, mais elle est aussi régulièrement accusée par ses détracteurs d’être un bastion idéologique. Ce qui est un fait avéré. L’invitation de Rima Hassan, émise par un syndicat étudiant classé à l’extrême gauche, s’inscrit dans cette logique militante. Selon nos sources au sein même de l’université, la présidence n’aurait pas donné son aval à cet événement organisé par les étudiants. Pour autant, la présidence de Rennes vient de nous informer que c’était inexact :

Mise à jour du 10 avril : S’il est exact que la direction de l’université n’a pas organisé cet événement, elle l’a en revanche autorisé, comme de nombreuses autres conférences initiées par nos enseignants chercheurs ou nos étudiants, ainsi que le prévoit le Code de l’éducation (article L811-1) qui stipule que les usagers du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche disposent de la liberté d’information et d’expression à l’égard des sujets politiques, économiques, sociaux et culturels. (Reine Paris, Directrice de la communication de Rennes 2)

C’est donc avec l’aval de la présidence que Rima Hassan a été invitée.

Cela étant, il n’en demeure pas moins que, depuis une dizaine d’année, la présidence de Rennes 2 est débordée par une bande d’étudiants énervés et une partie de son personnel et n’administre plus correctement son territoire (voir notre article).

Une question de principe universitaire

Au demeurant, tant qu’il n’y a pas de trouble à l’ordre public, n’est-ce pas le rôle de l’université de donner la voix à tous, bien au-dessus des guerres partisanes ? Loin d’être un simple espace d’enseignement, l’université est aussi un lieu de confrontation des idées, parfois vives, parfois inconfortables. C’est justement dans cette tension que réside sa richesse intellectuelle. En refusant de céder aux pressions politiques normatives, l’université doit affirmer son indépendance et son exigence critique, au nom d’un pluralisme qui ne doit pas être confondu avec une adhésion aux discours exprimés.

Arguments pour et contre : une controverse révélatrice

Les soutiens de la venue soulignent :

  • Le respect de la liberté académique et du pluralisme politique, notamment dans une France dominée par un bastion d’intellectuels et de médias disciplinés ;
  • L’intérêt pédagogique de confronter les étudiants à des opinions minoritaires ou radicales ;
  • L’importance de donner la parole à des figures issues de parcours populaires et militants afin rééquilibrer un espace public souvent dominé par les élites et une représentation politique qui représente de moins en moins ou de plus en plus mal.

Les opposants répliquent :

  • Que certaines prises de position de Rima Hassan frôlent l’idéologie militante radicale ;
  • Que l’université, financée par l’argent public, doit se garder d’être instrumentalisée politiquement ;
  • Que des discours trop polarisés peuvent alimenter la radicalisation et fracturer le débat universitaire.

Un révélateur de crispations politiques

La réaction très virulente de la droite rennaise, relayée dans plusieurs médias, s’inscrit dans ce climat national marqué par les polémiques autour du prétendu « islamo-gauchisme pré-terroriste » dans les universités, de la liberté d’expression post-#MeToo, ou encore de la guerre des récits autour du conflit israélo-palestinien. Ce type de controverse est devenu symptomatique d’un débat public saturé de tensions symboliques. La figure de Rima Hassan, plus que ses propos précis, sert ici de catalyseur.

« Communiqué de presse 9 avril 2025 de Charles Compagnon, Conseiller municipal et Président du groupe Libres d’Agir pour Rennes.
Conférence de Rima Hassan à Rennes 2 : acceptons-nous de faire de nos universités des permanences politiques et militantes ou souhaitons-nous protéger ces lieux de savoir, de transmission et d’émancipation de toute forme d’instrumentalisation politique ?
Il y a quelque chose de profondément préoccupant à constater qu’une université, temple du savoir, de la transmission et du débat contradictoire éclairé, accueille demain une conférence organisée par l’Union Pirate — syndicat étudiant plus agité que réfléchi — avec pour « conférencière » Rima Hassan, députée européenne de La France Insoumise
[…] »

Débat ou repli ?

La question n’est peut-être pas tant de savoir si Rima Hassan devait ou non être invitée, il s’agit plutôt de comprendre pourquoi cette invitation déclenche de telles crispations.

À l’heure où l’université est appelée à jouer un rôle de médiation, de réflexion, de critique, faut-il redouter qu’une université donne la parole à des voix discordantes ? Ou au contraire s’inquiéter de la tentation de les faire taire au nom d’une supposée neutralité, laquelle oeuvre trop souvent au profit d’une pensée unique dominante qui, au demeurant, craque de tous côtés ?

Ce débat mérite mieux que des slogans : il demande du discernement, de la mémoire démocratique, un amour de l’unidiversité de notre pays, de sa remarquable tradition intellectuelle, et une culture renouvelée du dialogue. Ce qui parait de plus en plus difficile dans une période où des élus, de tous bords, trouvent malin-républicain d’allumer des feux médiatiques et d’exacerber la colère des Français et leurs dissensions à tout bout de champ.

Bref, ma foi, si vous ne souhaitez pas assister à cette conference de Rima Hassan, libre à vous d’agir en n’y allant pas… voire, en contrepoint, de réclamer une mise sous tutelle d’une université à la gouvernance aussi malade que ses finances* avec l’espoir qu’elle redevienne, comme elle le fut, un lieu de transmission du savoir bien géré. Un lieu que de nombreux jeunes étudiants pour le moment évitent, tant il y est difficile d’étudier sérieusement, au profit d’écoles privées que leurs parents, voire eux-mêmes, financent en se saignant aux quatre veines. Pour rappel, Rennes 2 a connu une baisse d’environ 25% du nombre d’étudiants inscrits depuis 2010, soit un quart en seulement quinze ans.

* Le 4 avril 2025, Rennes 2 a voté un plan de retour à l’équilibre financier pour éviter une mise sous tutelle par le Rectorat. L’université accuse un déficit de 4,8 M€ dans son budget d’un montant de 135 M€. Le conseil d’administration a adopté des mesures d’économies, notamment le gel de certains postes et la suppression partielle et progressive de l’enseignement à distance (EAD), tout en maintenant les deux tiers des effectifs inscrits en EAD. Ces actions visent à générer environ 2 millions d’euros d’économies d’ici 2028.

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