La longue et injuste punition imposée par une pandémie qui ne semblait pas en finir vient pourtant de trouver un terme que tout le public lyrique attendait avec une patience tout en retenue. Hier vit la première de Rinaldo de Haendel à l’opéra de Rennes. Compte-rendu énamouré.
Les portes de l’opéra de Rennes se sont enfin ouvertes en grand pour accueillir musiciens chanteurs et une assistance soupirant d’aise. À tout seigneur, tout honneur, c’est l’ensemble Le banquet céleste, en résidence à Rennes, qui relevait ce premier défi. Ce même ensemble n’ayant, pendant toute la période d’interruption, pas ménagé ses efforts pour maintenir le lien entre l’institution et son public, c’était au fond un juste retour des choses.
Son créateur, Damien Guillon, peut donc s’enorgueillir de la marque de reconnaissance qui lui est accordée. C’est avec Rinaldo de Georg Friedrich Haendel que résonneront les premières notes de la saison 2021-2022. Plusieurs de ses airs sont de véritable « tubes » de la musique classique et, en son époque, ils furent joués de nombreuses fois.
L’histoire de Rinaldo puise ses sources dans une œuvre de Torquato Tasso, plus connu en français sous le nom du Tasse, étincelant poète italien du seizième siècle (1544-1595) et auteur de La Jérusalem délivrée. L’argument se déroule sous les murailles de la ville sainte. Goffredo, roi de Jérusalem, promet sa fille Almirena au vaillant Rinaldo s’il vient combattre à ses côtés. Inquiet de la vaillance du jeune chevalier, Argante, roi de Jérusalem, enlève la jeune fille avec la complicité de sa magicienne de maîtresse, la sulfureuse Arminda. Pour la délivrer, Rinaldo devra affronter sortilèges et périls dans le château de l’enchanteresse. Avec l’aide de Goffredo et de son frère Eustazio, ils viennent à bout du couple maléfique. Argante et Arminda sont vaincus, Rinaldo et Almirena peuvent enfin convoler en justes noces.
Le livret de Giachomo Rossi a l’avantage d’être lisible et d’une réelle simplicité. Cette version est même allégée puisque le rôle d’Eustazio n’apparaît pas. Cette reprise d’une production de Bertrand Cuiller donnée à Quimper en 2018 réussit l’exploit de présenter une distribution entièrement française dont il y a lieu de tirer quelque fierté. Le contre-ténor Paul-Antoine Bénos-Djian en Rinaldo impressionne par sa voix très contrôlée et son timbre clair, il tient avec brio la longueur d’un opéra baroque, ce qui n’est pas un mince exploit.
Pour lui donner la répartie Emmanuelle de Negri incarne une Almirena alternant exaltation et abattement avec un luxe de nuances authentiquement émouvant. Lorsqu’ils dialoguent au cours de duos amoureux, nos deux interprètes tiennent en haleine une salle subjuguée. L’autre couple, sulfureux à souhait, est également digne de nombreuses louanges. Il s’en faut de peu qu’il ne tire la couverture à lui tant la qualité des chanteurs est au sommet.
Blandine de Sansal, dès les premières notes, impose avec une belle autorité le personnage de Goffredo. Sa voix puissante et dominée sert une théâtralité digne de la chanteuse affichant une longue carrière. Cette belle prestance s’avère indispensable lorsqu’elle a face à elle l’excellent Thomas Dolié. Il apporte à Argante, son personnage, une dimension méphitique largement soutenue par un organe ample et puissant. En un mot sa présence nous tient rivés à nos sièges et c’est exactement ce que nous souhaitions.
Armida, la méchante de l’histoire, vient compléter ce trio de personnages au fort caractère. Dans des costumes aux connotations clairement guerrières, Aurore Bucher plante un personnage partageant l’aigreur aux folies de la jalousie. Sa puissance vocale et la force de son interprétation imposent le respect. Encore une belle surprise.
Tout au long du spectacle, animant monstres articulés et animaux fantasmagoriques les deux comédiens Gaelle Fraysse et Nicolas Cornille, omniprésents, se livrent à un véritable exploit et contribuent considérablement au succès de la mise en scène de Claire Dancoisne. C’est d’ailleurs un des points qui enlève tous les suffrages. Renouant avec les machineries complexes dont le règne des rois de France faisait ses choux gras, la scène vit au rythme de poissons géants et menaçants ouvrant leur gueule effrayante jusqu’au dessus de la fosse d’orchestre, de dragons crachant, comme il se doit, des panaches de fumée, et de toutes sortes de créatures nées d’une imagination féconde. Malgré les deux heures et vingt minutes du spectacle, on ne s’ennuie jamais.
Musicalement, la vingtaine d’interprètes placés sous la baguette d’un Damien Guillon inspiré et exigeant offre une interprétation maîtrisée et frôlant la perfection. Il y a un vrai son baroque, une identité propre au Banquet céleste, mais ce nouveau visage que présente tant le chef qu’un groupe si inhabituellement fourni, nous donne à penser que nous assistons à une métamorphose et que cette formation est en train d’évoluer sous nos yeux et de prendre une nouvelle dimension. Assez émerveillés par cette renaissance de l’opéra de Rennes, nous ne saurions que trop vous conseiller d’aller vous forger un avis personnel.
Dès mercredi 29 à 20h, il vous sera possible d’assister à ce beau spectacle, Rinaldo, sinon vous pourrez vous rabattre le jeudi 30 ou encore le samedi 2 octobre à 18h ou enfin le dimanche 3 à 16h.
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Rencontre avec Claire Dancoisne, metteuse en scène de Rinaldo
Jeudi 30 septembre de 12h45 à 13h45 à la Pause Théâtre qui aura lieu à l’Auditorium Le Tambour – Université Rennes 2
gratuit, + d’informations ici
Damien Guillon : Direction musicale.
Claire Dancoisne : Mise en scène et scénographie assistée de Marie Liagre.
Elisabeth de Sauverzac : Costumes.
Hervé Gary : Lumières.
Le Banquet Céleste
Damien Guillon, direction
Avec : Paul-Antoine Bénos-Djian : Rinaldo
Blandine de Sansal : Goffredo
Emmanuelle de Negri : Almirena, sa fille
Aurore Bucher : Armida
Thomas Dolié : Argante
Gaëlle Fraysse, Nicolas Cornille : Deux comédiens