Depuis des siècles, les Rois Mages sont tellement célèbres que nous ne les considérons plus seulement comme un épisode du Nouveau Testament mais comme une manifestation légendaire se situant par-delà les Écritures, par-delà même le plaisir que procure la consommation d’une galette à la frangipane, l’écoute d’un tube kitsch-pop d’autrefois ou la lecture d’une célèbre pièce de Shakespeare. L’ouvrage de Jean Chopitel et de Christiane Gobry recentre tout cela et ouvre des perspectives qui font de ces trois souverains bien plus que les nobles seconds rôles d’une naissance révolutionnaire.
Pourquoi ce luxe de détails ? Pour que l’ouvrage atteigne un nombre suffisant de feuillets ? Non pas ! L’objectif est de faire passer le lecteur de la compréhension extérieure du récit (dont la trame ne change pas malgré les variantes), mode de lecture parfaitement recevable au demeurant, à une compréhension plus intérieure des mêmes symboles que véhiculent les différents récits. Il est important de comprendre que les perspectives ainsi ouvertes ne doivent strictement rien à l’imagination des auteurs. On pourrait alors s’attendre à deux types d’explication de l’histoire des Rois Mages : l’une serait naturaliste tandis que l’autre serait psychologisante.
La première consiste à expliquer un phénomène selon les représentations de l’enquêteur : c’est ainsi, par exemple, que le prophète Ézéchiel, ayant eu devant lui la Merkaba (le char divin), aurait en réalité vu… un hélicoptère. Les Rois Mages qui suivaient l’étoile de Bethléem auraient en fait suivi un Objet Volant Non Identifié, plus exactement un véhicule né d’une technologie extra-terrestre. Il n’est pas question de cela dans l’ouvrage que nous examinons. Les auteurs ne considèrent pas davantage que l’ensemble symbolique de ce récit serait une élaboration ramenée à la faculté imaginative de quelques individus.
Les auteurs, si l’on ose dire, reprennent à zéro le « dossier » des Rois Mages : il s’agit d’abord pour eux de bien fixer dans l’esprit du lecteur ce que les textes familiers nous montrent. Les sources littéraires, clairement établies, ne se limitent pas pour autant à la recension de textes canoniques. Les textes apocryphes (c’est-à-dire n’ayant pas été retenus par le canon de l’Église) sont aussi mentionnés et soigneusement examinés, au même titre que les autres.
Tout se ramène en fait à des principes immuables, situés hors des accidents du temps et de l’espace (l’Histoire). Cette source unique est commune à toutes les traditions existantes ou ayant existé. Le langage symbolique, qui n’a rien d’arbitraire, procède par analogie, montre et dissimule à la fois. Il n’est pas là pour « faire joli » (même s’il possède, par surcroît, sa beauté).
Hormis les textes canoniques et apocryphes, cette étude se concentre aussi sur des textes légendaires religieux (Jacques de Voragine), littéraires (Goethe). Qui sont les Rois Mages ? D’où viennent-ils ? Qui ou que représentent-ils ? Que signifie le don à l’enfant Jésus de l’or, de l’encens et de la myrrhe ? Pourquoi y a-t-il une fève dans la galette des rois ? Pour quelle raison trouve-t-on en bien des lieux des traces du passage de Melchior, Gaspard et Balthazar ? Ces questions sont abordées dans la troisième partie de l’ouvrage, partie qui, de fait, est une introduction claire et fascinante à la richesse du symbolisme. Partant du légendaire des Rois Mages, le lecteur voit s’ouvrir devant lui des perspectives qu’il n’avait jusque là peut-être pas soupçonnées, une façon oubliée de s’orienter dans tous les sens du terme.
Les notions d’orient et d’occident sont inséparables, comme le sont le lever et le coucher du soleil. Elles recouvrent, certes, des données géographiques – qui ont pour nous, en l’occurrence, un intérêt très relatif – mais surtout un ensemble de significations culturelles et spirituelles liées aux symboles et archétypes fondamentaux de la science sacrée.
Jean Chopitel et Christiane Gobry Les Rois mages, histoire, légende et enseignements, Le Mercure Dauphinois (2007), 160 p. 18 € (format papier), 12,99 € (format numérique).