Sorti en 2018, L’île des pluies (éd. Goater), de Marc Gontard raconte le conflit à la fois actuel et historique entre l’ouverture à l’Autre et le repli sur Soi. Après De sable et de sang, Fractales ou encore Granville Falls, l’ancien président de l’Université Rennes 2 propose pour son sixième livre un roman policier retraçant l’histoire sombre d’une île bretonne et de ses habitants, loin du monde ouvert et mondialisé du continent. Frisson au cœur de l’étoile…
Extrait : « Il y a quelques passagers. Des visiteurs, venus pour la journée. Je reconnais aussi quelques îliens qui rentrent du continent. Je reste là, un instant, accoudé au garde-fou qui protège le sentier. Un gros rondin de bois poli par le frottement des mains. C’était la place du recteur, autrefois, quand il venait assister à l’arrivée du courrier. J’étais un gosse solitaire et assez renfermé. Ceux du continent m’intimidaient. Je me coulais derrière lui, connaissant d’avance sa réaction… Si les estivantes avaient le malheur de débarquer en maillot de bain ou si elles portaient un short trop court, il DÉVALAIT quatre à quatre les escaliers pour les rabrouer vertement. Tout cela a bien changé aujourd’hui ! »
Dans le brouillard tempétueux d’une île du golfe du Morbihan, cloîtrée sur elle-même et dans les méandres du genre humain, le visiteur et encore moins l’étranger ne sont les bienvenus. Le tableau est manichéen, l’écriture un peu machinale. S’y cachent pourtant une généreuse sensibilité, une véritable pensée engagée sur des questions de communautarisme et une philosophie du rapport à l’altérité.
Les 5 branches de l’étoile
Le roman se découpe en cinq parties pour autant de narrateurs-personnages : Jean, vieux pêcheur ; Gwenal, son fils ; Ben, maire de l’île et Louisa, sa femme devenue folle ; enfin Stella, journaliste au passé trouble, venue du continent faire la lumière sur le passé de l’île. Au travers de ces cinq personnages coexistants, l’auteur nous présente la même histoire, les mêmes faits divers selon différents points de vue. Tantôt celui de l’ouverture, de l’ostracisme, de la recherche du passé, de la quête d’un avenir, ici ou ailleurs; et de la folie… Les grandes peurs se mêlent aux grands espoirs, et les esthétiques diffèrent : du maire « patriote » qui voit son île comme une femme pure et blanche, à préserver, jusqu’au jeune homme aventureux qui découvre le mélange des couleurs de peau, la croisée des chemins. Si la technique narrative de la multiplication des points de vue n’a rien de révolutionnaire, son emploi semble parvenir, dans L’île des pluies, à donner du relief et de la profondeur de champ à une histoire sans grands enjeux a priori. Comme si l’auteur allumait plusieurs phares dans les ténèbres du grand large, pour une meilleure orientation de la pensée du lecteur…
« C’est ça l’étoile de mer. 5 bras munis de granules calcaires et d’épines, autour d’une bouche invisible. Qui tue. »
La métaphore de l’étoile de mer revient régulièrement dans le livre. Cinq actes à ce roman, comme cinq branches d’une même étoile. Au centre, c’est le meurtre (celui de Gourvenn, celui de Malick) et l’animosité de l’homme pour l’homme. Dans la tradition du roman policier, les masques sont de sortie, les vérités sont cachées et l’opiniâtreté des chercheurs de vérités ne suffit pas toujours à révéler les secrets enfouis dans la mémoire des lieux, des êtres. Il faut s’y reprendre à plusieurs fois, passer par plusieurs chemins, plusieurs « bras » pour comprendre ce qui se joue réellement au centre de l’histoire des personnages de Gontard. Une histoire de violence que l’auteur fait remonter aux temps des colonisations, puis à la Libération, avec l’Épuration et la justice expéditive faite aux femmes… qui semble avoir disparu de la mémoire des îliens. Un passé que l’auteur, armé de quelques personnages sensibles, s’attache à faire resurgir pour mieux la comparer avec la situation présente. C’est alors que l’œuvre devient politique, en créant des ponts entre le passé et le présent. En faisant se rencontrer la violence aveugle des épisodes “d’épuration” de 1945 et la violence xénophobe de 2018, il leur attribue une source commune : le repli de l’homme sur l’homme ; la mort du goût de l’autre.
« Tout le monde sur le pont ! À la télé, sur BFM, on parle des élections. Je monte un peu le son. Inquiétude. La France est divisée en deux, ceux qui prônent l’ouverture, sans crainte de la mondialisation, et ceux qui veulent fermer les frontières, quitter l’Europe et se replier sur le territoire… »
Sans faire preuve d’un génie particulier dans le domaine ancestral de la dissimulation/révélation, l’auteur a tout de même le talent de nous garder accrocher à l’histoire et de nous rappeler à l’Histoire. Histoires qui ne sont finalement ici qu’un prétexte à une réflexion plus globale sur le rôle d’un pays comme la France face aux défis contemporains : migrations, mondialisation, guerres etc., avec des tirades comme celle de Stella : « Que peut une économie refermée dans ses frontières qui n’aurait pas su développer de nouvelles compétences pour affronter une mondialisation dont tout le monde sait qu’elle est inscrite dans l’histoire de la planète ! Nous ne sommes pas seuls sur le globe, même si nous avons la chance de vivre sur un territoire privilégié. Il faut penser aux autres. Notre survie dépend aussi de la leur… »
La réponse de l’auteur est celle de l’amour – ici entre deux jeunes personnages – et de l’ouverture curieuse à l’étranger, à l’inconnu. Ouverture à la différence de l’Autre, à sa faculté de mettre en relief nos propres spécificités. Une prise de position convenue mais un sentiment décrit avec habileté par Marc Gontard, qui délaisse en bout de course le politique pour s’attacher au sensible, ramenant le débat à des questions d’Humanité profonde.
L’Île des pluies de Marc Gontard – Éditions Goater – collection “La Société des gens” – 256 pages. Parution : 15 mai 2018. Prix : 18€.
Marc Gontard est écrivain et professeur de lettres modernes. Il a enseigné les littératures francophones dans diverses universités notamment à Fès (Maroc) et à Rennes II-Haute Bretagne, université dont il fut d’ailleurs le président de 2005 à 2010. Il est spécialiste des littératures de langue française et des littératures de l’altérité, notamment de l’oeuvre de Victor Segalen et des littératures maghrébines.