Le film Sans jamais nous connaître d’Andrew Haigh est sorti en salle mercredi 14 février 2024. À Londres, Adam mène une vie solitaire depuis la mort de ses parents. Hanté par leurs fantômes, il chancelle entre ces visions du passé auprès d’eux et le monde présent, marqué par la rencontre d’Harry. Le film questionne l’impact du deuil irrésolu à travers la performance inoubliable d’Andrew Scott et de Paul Mescal.
Sans jamais nous connaître (titre original : All of us strangers) est un film d’amour et de fantômes que signe le réalisateur britannique Andrew Haigh. Le réalisateur exposait déjà dans son long-métrage Week-end (2011) une histoire d’amour éphémère entre deux hommes vivant différemment leur sexualité. Avec ce nouveau film sorti en France le 14 février 2024, il traverse les frontières du réel pour plonger dans le fantastique, sans fioritures, avec une profonde justesse afin d’explorer la relation d’amour naissante entre Adam et Harry, deux voisins mélancoliques.
Dès les premières minutes, le ton du film est donné. Un immeuble, deux appartements illuminés dans la nuit, deux voisins solitaires. Le quotidien monotone d’Adam, scénariste en perdition joué par Andrew Scott, est soudain bouleversé par Harry (Paul Mescal), qui frappe à sa porte. Bouteille à la main, ce dernier cherche de la compagnie. Adam est réticent. Harry, abattu par l’alcool, lui chuchote « Il y a des vampires à ma porte » ; les paroles de « The Power of Love », qu’Adam écoutait quelques instants auparavant, trouvent alors un curieux écho.
Hanté par les souvenirs de ses parents morts dans un accident de voiture à ses 11 ans, Adam vit reclus dans son appartement à Londres. Cette blessure qui n’a jamais cicatrisé en lui l’empêche de s’ouvrir au monde et au seul voisin qui habite le même immeuble. Il retourne dans la maison de son enfance et se retrouve étrangement face à ses parents qui ont le même âge que le jour de leur mort. Sont-ils le fruit de son imagination ou des fantômes ? La réponse n’est pas donnée, elle n’est d’ailleurs pas importante. Mais ce qu’il va tirer de cette rencontre l’est.
La mise en scène est efficace : Andrew Haigh recrée des espaces intimes propres à illustrer le cocon familial, avec Claire Foy et Jamie Bell qui endossent les costumes de la mère et du père d’Adam dans une interprétation des plus convaincantes. L’effet est immédiat, une pièce manquante ajoutée au puzzle. Comme si la blessure liée à leur absence cicatrisait enfin, la difficulté qu’Adam éprouvait à s’ouvrir au monde extérieur s’apaise subitement. Sa relation avec Harry en est le symptôme et le résultat.
La tendresse qui émane d’Adam et Harry est omniprésente dans chacune de leurs scènes et infuse l’intégralité du film. La caméra capture avec brio la force des gestes et des regards éloquents qui expriment désir, tendresse ou chagrin. Andrew Scott et Paul Mescal nous font vagabonder à souhait le long des émotions des deux personnages, assaillis par la solitude, mais épris l’un de l’autre.
Andrew Haigh s’inspire du roman Strangers (1987) de Taichi Yamada pour réaliser un drame fantastique. La question qu’il pose est universelle : que dirions-nous à un proche – un parent – parti trop tôt ? « Ce n’est pas important, ça fait longtemps que c’est arrivé », dit Adam. Réponse de Harry : « Je ne crois pas que le temps importe ».
Le scénario du film ne donne pas uniquement la parole aux vivants : elle fait aussi écho aux regrets des parents défunts. Là, au beau milieu de leur ancienne maison, Adam retire ses vêtements et enfile ceux de son enfance. La performance d’Andrew Scott et de Jamie Bell y est bluffante : ils incarnent avec brio tout le panel de sentiments qu’Adam et son père éprouvent à l’égard de l’autre. Un défilé d’émotions traverse le visage du père sous le poids des regrets : l’amertume des erreurs qu’il a commises, la tendresse de son amour pour Adam. Il ne peut que constater l’impact de mots qu’il avait jadis prononcés, mutique et les yeux embués de larmes.
Et en un instant, face à la vision de son père éploré, le fils passe de l’adulte assuré à l’enfant qui cache ses propres larmes derrière ses mains, honteux de pleurer.
En retrouvant ses parents, Adam peut finalement se révéler à eux et exprimer tout ce qu’il n’avait pas eu le temps de leur dire. L’amour parental panse sa blessure et rétablit une estime de soi, ce qui lui permet de s’ouvrir à l’autre et de l’aimer. Cependant, cette double vie est instable et menace le présent qu’il a trouvé auprès d’Harry. Bloqué entre deux époques et deux identités qui ne peuvent coexister, il multiplie les allers-retours entre la maison de son enfance et son immeuble où vit Harry. Il est un fils qui ne l’a pas été assez longtemps et qui cherche à recréer des souvenirs et un adulte amoureux qui doit apprendre à outrepasser son deuil afin d’avancer et de vivre.
Sans jamais nous connaître est un drame romantico-fantastique qui offre plus de réalité qu’il n’y semble. L’oeuvre est bouleversante. Le casting et le scénario subtilement mené façonnent un film d’une beauté inoubliable. Impossible de ressortir de la salle de cinéma sans fredonner les paroles de « The Power of love » : « I’ll protect you from the hooded claw, Keep the vampires from your door ».
Sans jamais nous connaître de Andrew Haigh, actuellement en salle au cinéma Arvor de Rennes.
Avec Andrew Scott, Paul Mescal, Jamie Bell et Claire Foy