Sans nouvelles depuis Drancy est le nouveau roman de David Hury, paru aux éditions Riveneuve. L’auteur partage une de ces histoires vraies qui permettent que la mémoire demeure. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Andrée, une Normande marié à un décorateur juif, espère le retour de Maurice de l’enfer d’Auschwitz…
Je crois bien que personne ne sait d’où vient David Hury ni où il va, quels métiers il a vraiment choisis ou aurait pu choisir. Journaliste, photographe, plasticien, écrivain…. Le sait-il lui-même ? Je n’en ferai pas le pari mais, après tout, peut-être est-il tout ça. Une chose est sûre par contre, il nous emmène ici à Drancy après un long séjour dans les campagnes françaises. Drancy ? Cette commune à deux pas de Saint Denis et de Paris ? Pas exactement. Le Drancy dont il parle a un nom gravé à jamais dans l’Histoire. Camp de prisonniers, camp d’internement, camp de concentration, en bref, la dernière étape avant Auschwitz, cette abomination parmi tant d’autres. Un nouveau livre sur la Shoah, donc ? Non plus.
Une saga familiale comme il y en a eu des dizaines de milliers en France qui nous en dit beaucoup sur les années 40, sur les comportements, sur la vie, en un mot sur nous-mêmes. Un long et minutieux travail d’archives mené par David Hury. C’est l’histoire d’un couple, Andrée et Maurice, de leurs deux enfants et de leurs proches, celle aussi de petits villages de quelques centaines d’âmes entre l’Eure et la Seine-et-Oise : Fourges, Amenucourt, Bus-Saint-Rémy… Une histoire vraie, une histoire pour mémoire. Et elle nous fait du bien car nous oublions. Tous. Volontairement, parce que nous ne voulons ni voir, ni entendre ou, inconsciemment, car nous sommes tournés vers autre chose, un autre temps. Elle nous rappelle comment des mesures insignifiantes peuvent détruire lentement mais sûrement les rêves comme les principes d’égalité, de liberté et de fraternité que nous avions crus établis pour toujours. Des détails qui, petit à petit, conduisent au final à l’horreur.
Trois grands-parents juifs et vous tombiez sous le coup de la loi : il fallait vous déclarer juif. Confiscation des biens, interdiction d’avoir plus de 15000 francs de revenu par mois (en d’autres termes, l’état de famine), interdiction de déplacement de plus de 5 km et de circuler entre 20h et 7h du matin. Puis sur ce chemin, ce sera l’étoile jaune et ensuite les rafles. Maurice est arrêté et part pour Drancy. Reviendra-t-il ? Leurs enfants, Jean et Josette, raflés aux aussi puis relâchés se sauveront-ils quand ils seront à nouveau pourchassés ? Le quotidien que Maurice laisse derrière lui est fait de réquisitions et de vols dans les fermes, de marché noir, de fraude aux tickets de rationnement jusqu’à la conscription et la chasse aux réfractaires du Service du travail obligatoire. L’abattage des pigeons voyageurs et l’interdiction des éclairages des habitations, passibles d’amendes et d’arrestations, paraissent dérisoires dans ce tableau mais démontrent jusqu’à quels détails la loi pouvait s’engouffrer. Dans un tel quotidien, comment ne pas voir fleurir suspicions, défiances, jalousies, dénonciations, oui. Et pourtant, jamais n’ont pu être étouffés solidarités, attitudes sans complaisance, refus de l’occupant et jusqu’à la résistance. Rien n’empêchera, souvent sans preuves ni jugements, règlements de compte et chasses aux sorcières à la Libération.
Voilà quelques jours, nous avions une parenthèse musicale en plein air, la Balade Georges Brassens à Rennes. De l’émotion, de la nostalgie avec des chanteurs amateurs, des passionnés comme celles et ceux qui ont résisté à la pluie. La Marguerite, Maman-Papa, Les amoureux du banc public, vous connaissez bien sûr. Il y eut aussi L’auvergnat. Cette chanson commence avec cette strophe et devrait nous inspirer plus souvent :
Elle est à toi cette chanson
Toi l’Auvergnat qui, sans façon
M’as donné quatre bouts de bois
Quand dans ma vie il faisait froid
Et, un peu plus loin, celles sur lesquelles je me suis arrêté :
Elle est à toi cette chanson
Toi l’étranger qui, sans façon
D’un air malheureux m’as souri
Lorsque les gendarmes m’ont pris
Toi qui n’as pas applaudi quand
Les croquantes et les croquants
Tous les gens bien intentionnés
Riaient de me voir emmené
Et celles-là résonnaient étrangement avec les pages du livre de David Hury. Nous sommes tous des étrangers pour quelqu’un. Étranger par la couleur de peau, par la religion ou encore étranger simplement parce qu’inconnu au village et dont il faut se méfier. Cette histoire vraie de David Hury où nous voyons les hommes, les femmes, les enfants, les hameaux et les bourgs vivre un ordinaire des jours intimement mêlés aux événements économiques et politiques, cette histoire nous cause car nous sommes les Hury, les Le Bras, les Rommeru, les Thirion et tous les Guérin de son roman.
Ce livre nous parle bien mieux que tous les livres d’histoire réunis parce qu’il nous fait revivre au plus près la vie de nos parents et de nos grands-parents. Lisez-le et vous entendrez les voix des Hury comme celles des vôtres et, au vu du monde comme il va…
David Hury, Sans nouvelles depuis Drancy, éditions Riveneuve, 348 pages, 22€. Parution : 29 août 2024
Site internet de l’auteur – des éditions Riveneuve
Chez le même éditeur : Mustapha s’en va-t-en guerre, 2021
Drancy qui hante encore notre mémoire, et ici, en Bretagne, lorsqu’on pense à Max Jacob qui y laissa sa peau.