SAS, INITIEZ-VOUS A LA DANSE AU TRIANGLE !

À Rennes, le Triangle propose dans le cadre de sa saison chorégraphique 2017-2018, des SAS, autrement dit des initiations à la pratique de la danse contemporaine. En lien avec les représentations qui ont lieu pendant cette saison artistique, les SAS sont animés par Nathalie Salmon,  danseuse et pédagogue attachée au Centre culturel rennais.

SAS AU TRIANGLE PAR NATHALIE SALMON
Nathalie Salmon, danseuse et professeure de danse au Triangle

Nathalie Salmon, vous êtes à la fois danseuse et professeure de cette discipline au Triangle à Rennes. Depuis combien de temps pratiquez-vous la danse et où vous êtes-vous formée ?

Nathalie Salmon : J’ai toujours un peu dansé, assez spontanément dès l’enfance. Je viens d’une ville (Morlaix) où il n’y avait pas vraiment de cours de danse hormis la danse classique. Je pense que j’avais en moi la question du mouvement et de l’expression ce qui fait que je n’ai pas un parcours classique au sens académique du terme sur la danse. J’ai fait plein d’autres choses : du théâtre, du tennis, rien parfois! Quand je suis venue faire mes études à Rennes, j’ai enclenché assez directement sur les ateliers universitaires de danse où là j’ai trouvé ce qui me manquait c’est-à-dire la mise au service d’un vecteur, le corps, l’espace au service de l’expression, de la recherche et de l’expérimentation. Je me suis formée dans des groupes de recherche chorégraphiques auprès de différents chorégraphes via des stages, en suivant des cours, mais toujours avec des chorégraphes. Je n’ai pas un parcours de conservatoire. J’ai fait aussi beaucoup d’animation notamment internationale, franco-allemande ce qui fait que face à des groupes, j’ai assez souvent utilisé le jeu de l’espace, de l’imaginaire. J’ai commencé à Mouvance en montant un atelier chorégraphique. Je me suis aussi formée en danse à l’école et ai dansé avec quelques compagnies sur des formules d’improvisation, en danse africaine contemporaine avec la compagnie Erébé Kouliballets, sur mes propres petites créations, mais je n’ai jamais été une danseuse internationale, je n’ai jamais enchaîné les tournées, etc.
J’enseigne depuis vingt-cinq ans et au Triangle depuis vingt ans. Ce qui me plaît au Triangle, car j’ai eu envie d’y rester et d’y développer certaines choses, c’était justement ce lien à d’autres artistes, ce côté non académique. Il n’y a pas d’échelons à passer pour les élèves, il n’y a pas d’examens en soi. On est plutôt sur « comment fait-on pour inviter les gens à se mettre en mouvement, à réfléchir à ce qu’ils font, à expérimenter à chercher et aussi beaucoup à regarder ? ». On fonctionne beaucoup par projets. Il y a des années où on fonctionne beaucoup sur l’improvisation, d’autres où on va être en lien avec un artiste qui est plus présent ici sur une thématique qui le concerne pour sa création, son spectacle.

J’ai aussi beaucoup cherché sur les photos de groupes, les parents et les enfants. On a beaucoup cherché sur la façon d’avoir un petit enfant avec un grand côté, comment se mettre en danse. On a cherché sur la question du handicap avec les stages mixtes mettant en lien les personnes en situation de handicap et en non-situation de handicap. Tout ça dans l’idée qu’à corps présent : comment fait-on pour partager quelque chose, pour créer ensemble, donner à voir, donner à ressentir. À chaque fois on entre dans quelque chose de particulier dans le sens où un groupe n’est pas le même qu’un autre, un moment n’est pas le même qu’un autre. L’objectif n’est pas toujours le même.
Là-dessus s’est greffé l’idée de comment être spectateur, comment s’est greffé l’histoire de la danse, comment on nourrit les gens, comment on fait écho. Le SAS correspondrait en partie à cela : c’est quoi être spectateur ? Dans quel état d’esprit entre-t-on dans la salle pour aller voir des danseurs qu’on n’a jamais vus ? L’idée n’est certainement pas d’expliquer, mais d’éveiller la curiosité, de ciseler le regard, de l’affiner et de développer son propre sens critique. On va voir un spectacle, on n’est pas sûr de l’aimer, mais on aura été présent à ce moment-là.

J’ai aussi fait un petit détour par l’Allemagne où je m’y suis aussi formée, où j’ai beaucoup dansé là-bas aussi dans des groupes universitaires ou avec quelques autres danseurs.

«  Je n’enseigne pas la danse, je mets les gens en danse, en imaginaire et en sensibilité » – Nathalie Salmon

Avez-vous jusqu’ici davantage réalisé des représentations en solo ou au sein de collectifs tels que des compagnies ?

Nathalie Salmon : Je suis très collectif. Il y a une époque où on a beaucoup travaillé au sein d’une petite compagnie qu’on avait fondé qui s’appelle Bleu Vertical mais qui n’est plus tellement active en fait. Je suis passée par le collectif aux ateliers universitaires, on a assez vite été aidés. N’étant plus étudiantes on a créé notre propre petite « plate-forme ». J’ai beaucoup travaillé sur des duos et des trios. J’ai aussi quelques solos, mais qui quelques fois ont été créés de façon un peu éphémère pour des circonstances précises, des événements précis. Dans le fonctionnement d’enseignement, j’aime le groupe. Même si on travaille avec des danseurs amateurs, j’aime bien ce côté-là. Ça n’enlève pas l’exigence, l’engagement de chacun. Du coup, on a des groupes qui changent d’une année sur l’autre même si on a un bon noyau ici.

Qu’est-ce qui vous passionne dans cet art et dans sa pratique pédagogique ?

Nathalie Salmon : C’est l’humain. Au départ, je suis biologiste et ai aussi beaucoup travaillé sur le franco-allemand, sur les langues notamment. Ce qui m’anime ce serait la curiosité de chaque individu et comment on construit ensemble. C’est un aspect qui me passionne quelque soit l’individu et à époque ou à configuration différente. Ce n’est pas pareil de travailler avec trois jeunes filles ou avec une classe entière d’enfants qui n’ont pas choisi de venir ici. Dans Danse à l’école, on est face à trente personnes sur un temps réduit d’une heure et il faut qu’on arrive à faire quelque chose ensemble. Réussir à inviter chacun et à lui faire prendre place, peut être en bougeant à peine parfois ou en sollicitant le regard, la photographie, la vidéo, l’écriture me passionne. J’aime aussi le fait que ce ne soit pas acquis au départ et qu’on arrive au bout de l’aventure à avoir traversé ensemble, à s’être découvert un peu autrement parfois, à faire apparaître des choses qu’on avait en soi qui ne sont pas toujours quotidiennes et d’arriver à écrire une petite chose qu’on peut ensuite partager. L’idée est aussi de soumettre au regard, je pense que c’est important. Être dans l’échange avec le public. J’aime bien être avec les gens même si parfois je râle !

SAS AU TRIANGLE PAR NATHALIE SALMON

Vous proposez des cours pour les enfants comme pour les adultes ainsi que des cours mixtes permettant à des personnes en situation de handicap et valides de se rencontrer à travers la danse. Quels types d’enseignements dispensez-vous pour chacun de ces publics et comment réussissez-vous à créer du lien entre les élèves des cours mixtes ?

Nathalie Salmon : La danse est un vecteur, c’est la matière sur laquelle je m’appuie. L’enseignement ne diffère pas tellement selon l’âge des gens. Ça m’arrive de donner les mêmes consigne. En danse on va travailler le corps, la concentration, l’espace, la créativité, le temps, l’écriture et ce que j’appelle l’environnement. Par exemple, danser sur une scène en auditorium ne demande pas le même travail en amont que de choisir d’aller danser dehors au milieu des buissons ou au bord du petit étang. Ensuite, c’est à moi d’organiser les choses. Sur le stage mixte, par exemple, quelqu’un qui est en fauteuil et qui peut bouger que le haut du corps : je vais énoncer la consigne de la même façon pour lui que pour les deux autres qui sont debout sur les deux jambes avec une mobilité entière. Je considère que chacun fait avec ses possibilités physiques, psychologiques, des fois il y a des gens qui ont des craintes de timidité, etc. Le vocabulaire ne change pas, la façon de procéder ne change pas.

Après j’ouvre une porte, une consigne comme « déplacez-vous dans l’espace. Dès qu’un danseur s’arrête, tout le monde s’arrête ». On va travailler l’écoute c’est-à-dire la grande attention à l’ensemble du groupe, à soi-même et à tout ce qui pourrait venir faire obstacle à notre développement de gestes. Parfois on reprécise sans interrompre le mouvement. Il y a une intervention parfois orale, assez régulièrement on fait une petite pause. On voit ce qu’on pourrait affiner, développer, préciser. On repart là-dessus. On remet l’ouvrage en amélioration. On va expérimenter plein de choses et on va décider d’en garder une, mais ça, c’est la décision du groupe. On le fait ensemble. Cela permet de saisir à la personne si elle souhaite des éléments qui pourraient l’aider. L’idée est de donner des billes aux gens. On est dans un acte assez simple.

On rit beaucoup. Je fais beaucoup appel à l’humour et à l’image. Imaginons que la demande est de renforcer le centre, d’être bien sûr ses appuis. On peut aussi dire : « tu es indéracinable ». Je projette parfois quelques vidéos ce qui donne envie de danser. On se regarde beaucoup mutuellement pour abolir cette crainte de montrer.
Dans les stages mixtes, tout le monde est là et on monte dans le même bateau. On traverse la même aventure. On est un peu différent. Dans le stage mixte il y a des aides qui se font spontanément, il n’y a pas de hiérarchie. Chacun y va comme il est. Enfant, j’avais une copine dont les parents étaient éducateurs qui vivaient dans un I.M.E (Institut médico-éducatif) donc beaucoup de mes jeux d’enfants se sont passés en présence d’enfants de l’I.M.E. Je ne sais pas s’il y a un lien. Des fois j’ai été dans des pays où je ne comprenais rien, il a fallu que je m’accroche à autre chose que la parole pour rentrer dans le groupe, être là pas de façon passive. Il y a l’idée de l’action. On est présent à ce groupe, à ce qui s’y développe. Le contact improvisation est le fait de pouvoir s’appuyer sur tout : ce qui se passe avec les autres danseurs, sur le mûr, au sol, de la lumière. Un corps de danseur allongé au sol peut être un obstacle, un appui, une image que ça m’évoque.

Le SAS constitue une opportunité de s’initier à la pratique de la danse. Nul besoin de connaître le monde de la danse ou d’avoir pratiqué avant de participer à cet atelier. Que signifie « SAS » et comment se déroule cet atelier de 45 minutes ?

Nathalie Salmon : SAS reflète l’idée de préambule, au sens « moment particulier qui

permet de faire le lien entre sa journée, son occupation individuelle et le lien dans la salle ». D’ailleurs, physiquement on entre dans la galerie et on entend le public qui arrive. On est un peu dans un petit sas.

Le SAS a une histoire très précise. On a eu assez souvent ici et on a toujours, des moments qui invitent les publics à aborder des éléments de l’histoire de la danse, des portraits de chorégraphes qu’on ne voit pas forcément en direct ou en palpable ici. J’ai déjà emmené certains groupes à assister à des projections. Un jour on est allé voir deux trois propositions de films de danse super intéressantes, mais qui manquaient un petit peu d’animation. Pour quelqu’un qui était novice c’était compliqué. De ça, la proposition a été faite d’imaginer un dispositif qui ferait qu’on pourrait inviter les gens en amont des spectacles à côtoyer quelques éléments d’histoire de la danse et du mouvement. On a imaginé les SAS, invitation au public qui se passe juste avant le spectacle, 1H avant de façon gratuite.

Il y a l’idée de raconter qui sont les danseurs ou la compagnie qui vont présenter leur pièce. En amont, j’ai tout un échange avec les danseurs, le chorégraphe sur qui ils sont. Leur propos sur leur pièce, mais on n’est pas dans l’idée d’expliquer. Comment se sont-ils formés, leurs parcours, s’il y a des filiations intéressantes. Certains éléments m’intéressent et j’en écris un texte.

Le groupe s’installe, ferme les yeux et j’écris un texte au préalable qui raconte un peu la compagnie, active la curiosité. Ensuite on passe par un développement vidéo. On montre quelques images. Ça peut être des photos, un petit extrait de pièces précédentes. Cela ne dure pas plus de cinq minutes. L’idée est de donner quelques éléments d’histoire des arts et de la danse.

Pour le SAS dernier, Les déclinaisons de la Navarre, Claire et Nicolas jouent différentes versions de passages d’un film qu’ils appellent les déclinaisons. Pour ce SAS, on a montré quelques travaux de Claire et Nicolas. Je suis partie des éléments d’une œuvre précise. J’ai pris une œuvre très connue, mais en même temps pas tant que ça : Le sacre du printemps qui a été revisité par plus d’une centaine de chorégraphes. L’exercice a été de choisir toujours le même extrait de la partition musicale et de montrer ce qu’étaient les images de Béjart, Martha Graham, Pina Bausch, Heddy Maalem…

Pour le prochain SAS, la question se posera en terme de générations de danseurs : quand on est tout jeune, c’est quoi le parcours d’un danseur, c’est quoi quand on danse alors qu’on est très vieux. Ce sont des petits apports qui parient aussi sur la curiosité et la capacité à aller voir après par eux-mêmes.

Sur la dernière partie de ces 45 minutes, j’invite le groupe à réaliser des exercices qu’ils peuvent reprendre. Pour Les déclinaisons de la Navarre on a joué sur le terme de PJPP. J’ai choisi quatre vers : Pivoter, Jeter, Pagayer et Poser. Les gens se lèvent, se détendent et cherchent des mouvements à partir de ces mots. Cela les met en activation et on rigole bien.

On n’a peut-être jamais dansé de sa vie, quoi que je pense que nous sommes des êtres dansants. On a extrait quelques petits éléments simples et de voir que les chorégraphes ne procèdent pas vraiment différents, mais ont plus de temps. Ça nous ouvre une autre porte. L’idée est que tout le monde traverse l’exercice du début jusqu’à la fin même si c’est juste pivoter le poignet. Les gens jouent le jeu et sont tout contents en sortant.
On crée toujours une petite vignette qu’on peut trouver sur la rubrique du Triangle à la rubrique des SAS. Je refais un petit résumé écrit qui retrace tous les chorégraphes qu’on a situés, les écrivains, les photographes. L’idée est de semer un petit truc et de donner l’envie d’y retourner.

Combien de SAS auront lieu cette année au Triangle et quels en seront les thèmes ?

Nathalie Salmon : Cette année nous avons trois SAS. On en a fait un en octobre sur la compagnie Pilot Fishes. On en a fait un autre dans Les déclinaisons de la Navarre de PJPP, le troisième sur Happy Hour. Ca s’articule avec les Ciné-Cité-Danse. Dominique Jégou s’en saisit. Dominique propose des portraits de chorégraphes en utilisant la vidéo. Étant aussi lui-même danseur, il a aussi son regard de danseur. Il y a trois SAS et trois Ciné-Cité-Danse.

La thématique pour PJPP jouait sur le fait de décliner. Pour Pilot Fishes il s’agissait de travailler sur l’histoire du solo et pour Happy Hour ce sera l’idée du temps qui avance.

Si vous deviez décrire en un mot ces ateliers, lequel serait-il ?

Nathalie Salmon : Curiosité !

Et que diriez-vous aux personnes qui hésiteraient encore à y participer ?

Nathalie Salmon : Je dirais que c’est vraiment un moment chouette ensemble. Il n’y a pas de craintes à avoir. Personne ne se pose la question « je vais marcher dans la rue » même pour se rendre dans un endroit où nous ne sommes jamais allés. Même si on a un petit peu d’appréhension ou qu’on a peur de se tromper de chemin, il y a quand même l’idée qu’on est guidé. Tout le monde est dans une disposition bienveillante, c’est joyeux. Il n’y a pas besoin d’être danseur. Nous sommes des êtres de mouvement et de regard. On est des gens intelligents. L’idée est de ne pas avoir peur d’essayer. Si on a choisi de voir ce spectacle c’est un petit plus. C’est un petit éclairage sur ce que sont ces artistes du moment. Ces êtres eux-mêmes dansants, hésitants. Je trouve que ce sont de jolies rencontres.

Le SAS « Happy Hour » au Triangle. Rennes. Jeudi 15 février 19h. Gratuit.

SAS AU TRIANGLE PAR NATHALIE SALMON
Happy Hour, Alessandro Bernardeschi et Mauro Paccagnella
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