Shanghaï Belleville, premier film de la réalisatrice Show-Chun Lee, est curieux et touchant. Alors qu’elle est de Taïwan, comment se priver d’un regard « de l’intérieur » sur cette discrète, mais très ancienne communauté chinoise, qui, peu à peu, a investi des quartiers de Paris en en faisant de véritables enclaves de leur terre d’origine. Technique assez habituelle, Show-Chun Lee, a choisi de présenter trois destins croisés qui coïncident pour quelques instants. Avantage : cela évite au film de devenir arythmique et poussif. Au contraire, s’instille une certaine vitalité en symbiose avec le décor parisien.
« L’homme tombé du ciel », joué par Martial Wang recherche, un peu désespéré, son épouse arrivée deux années plus tôt en France, et dont il n’a aucune nouvelle. Second protagoniste, « le croate », autrement dit, un jeune garçon d’origine chinoise, mais émigré depuis l’âge de trois ans en Croatie, qu’il considère comme son pays. Inutile de commenter l’incompréhension qu’engendre ce déraciné, qui ne parle pas français et doit se contenter d’un chinois approximatif.
Anthony Pho, dans ce rôle, est une vraie révélation et effectue un remarquable travail . On lui doit, dans les toutes premières minutes de Shanghaï Belleville, un moment de violente émotion, lorsqu’à la gare de la Ferté-Macé, il abandonne volontairement son petit frère de 13 ans, remis aux pouvoirs publics, en espérant pour lui un destin plus souriant. L’ultime membre de ce trio à la dérive, est Anna, interprétée avec une émouvante retenue par Carole Lo qui, faute de pouvoir s’en sortir mieux, se livre à la prostitution pour gagner assez misérablement sa vie.
Ces trois personnages vont nous entraîner dans leurs difficultés, pour ne pas dire leurs galères, chacun poursuivant son but : retrouver une femme, se marier en France, bâtir une vraie vie, tout cela en essayant d’oublier les coups qui ne manquent pas de pleuvoir sur ce chemin sinueux et empierré. On n’évite pas tout à fait les lieux communs immanquablement liés à cette communauté asiatique, souvent considérée comme énigmatique, repliée sur elle-même, mais ils n’apparaissent pas sous un tel jour. Elles sont inévitables les machines à coudre qui, durant des journées de treize à quatorze heures vrillent, de leur cliquetis incessant, les oreilles de pauvres ouvriers.
Ce peuple digne, à la culture millénaire, met tout son honneur à se libérer de la dette, contractée auprès d’impitoyables passeurs. Ce qui choque, c’est que les dits passeurs sont Chinois et cette exploitation inhumaine. Eux paraissent le voir comme un prix à payer. Tout aussi vrai est l’isolement lié à l’incompréhension de la langue et de l’écriture qui vous renvoie, à la condition d’illettré. Quelle autre solution que de se rassembler pour recréer des Chinatowns qui rappellent furieusement les ghettos d’autres temps.
Ce qui transparaît principalement tout au long du film Shanghaï Belleville, c’est la souffrance irrémédiablement liée au statut d’immigré. De surcroît, clandestins, ils sont à la merci de tous ceux qui ne manqueront pas, si l’occasion se présente, de profiter de la situation. Pourtant ils ne se plaignent pas, espérant sans faille un destin meilleur.
Le film Shanghaï Belleville de Show-Chun Lee montre tout cela avec une lumière assez crue, sans rien dissimuler, sans rien exagérer, et surtout sans essayer de nous faire larmoyer sur des situations qui sont tout à fait réelles.
L’intention de Shanghaï Belleville est louable, le résultat encourageant, même si subsistent quelques erreurs qui sont pardonnables, étant des erreurs de débutantes. Le fantôme de la femme disparue est un peu hors-sujet, la chronologie du film est parfois difficile à suivre, c’est un peu chaotique et décousu, mais globalement agréable à voir, même le rap du générique final est plutôt plaisant et c’est lui qui ponctue ces trois histoires en les résumant d’une façon cynique et qui laisse dans la bouche un goût amer :
ça se passe toujours comme ça pour les clandestins, pour les sans-destin
Film Shanghai Belleville Show-Chun Lee (réalisation), scénario coécrit par Pierre Chosson, produit par Juliette Grandmont – Clandestine Films, sortie décembre 2015, 1h12
Réalisation : Show-Chun Lee
Scénario : Show-Chun Lee et Pierre Chosson
Image : Thierry Arbogast
Montage : Benoît Quinon
Son : Laurent Benaïm
Musique : Bachar Mar-Khalifé
Costumes : Pia Maturana
Décors : Jérémie Sfez
Montage Son / Mixage : Mikaël Barre
Production : Juliette Grandmont
Sociétés de Production : Clandestine Films, China Blue, Charivari Films, Wallpaper Productions, Le Fresnoy, Zootrope Films
Acteurs : Anthony Pho, Martial Wang, Carole Lo, Alice Yin, Olivier Chen, Jacques Boudet.
Anthony Pho, un des acteurs principaux de Shanghaï Belleville:
https://www.youtube.com/watch?v=sqxJ8FBYPEg
Show-Chun Lee est née à Taïpei (capitale de Taïwan) , elle s’est installée en France en 1991 pour faire des études à l’Institut National des Arts Contemporain, puis des études d’anthropologie. Elle a travaillé comme assistante auprès de Tsaï-Ming Liang, des frères Larrieu, de Frédéric Balekdjian et étudié l’œuvre de Hou Hsiao-Hsien. Elle a réalisé de nombreux documentaires sur l’immigration clandestine comme Ma vie est mon vidéo-clip préféré et Une jeune fille est arrivée, ainsi que des enquêtes sur l’esclavage moderne commandées par le Bureau International du Travail / ONU. Elle collabore aussi à l’écriture de téléfilms pour Canal +.
Elle est reconnue dans le milieu de l’Art contemporain pour ces différents travaux plastiques (installations vidéo et photographies). Avec son premier long-métrage, Shanghai-Belleville, sélectionné au Festival de Cannes — Atelier de la Cinéfondation, elle continue à explorer le cœur de la communauté à travers la fiction.
Crédits photo : Aurélie Chen