De Saigon à Saint-Malo. Si loin dans le bleu, et si près du cœur de Marcelino Truong

si loin dans le bleu marcelino truong

Dans Si loin dans le bleu, de Saigon à Saint-Malo, récit autobiographique illustré publié aux éditions des Équateurs, le dessinateur Marcelino Truong raconte une vie au bord de la mer, de la plage de Saint-Malo à un petit port vietnamien. La mer et la mère comme témoins d’une vie changeante et troublée. Superbe.

Si loin dans le bleu, un titre étrange et poétique pour un ouvrage qui ne l’en est pas moins. Le bleu, c’est celui de la mer, mais peut-être aussi celui du ciel, ou encore le bleu qui envahit le beau dessin de couverture sur lequel un homme assis, peint une jonque, un paquebot mais plus sûrement un moment de grâce où le passé et le présent se mêlent. Comme le ciel se mêle avec la mer.

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L’homme qui dessine à droite de l’image s’appelle Marcelino Truong. On dit de lui qu’il est « illustrateur, peintre et auteur de romans graphiques ». Ce sont ces derniers (*) qui nous l’ont fait connaître puisqu’il y raconte son existence si particulière d’enfant de diplomate, né d’une mère malouine et d’un père vietnamien. Cette double origine l’a façonné et on la retrouve tout au long de ce superbe ouvrage qui ne raconte pas cette fois-ci une période particulière de la vie, mais qui dit l’existence entière d’un homme marqué par la mer et par sa mère, un apparentement osé par l’auteur lui même.

La mer d’abord puisque c’est par elle que le dessinateur écrivain commence, celle du Sillon de Saint Malo, où ayant hérité d’une maison familiale, il habite désormais. « Quand je suis fatigué, indécis ou découragé, je vais voir la mer. La mer voit tout. Elle voit ma lassitude. Elle voit ma colère. Elle voit mon courage. Elle voit ma force. Elle voit quand j’ai peur. La mer voit tout. » Elle est donc soixante-sept ans durant la spectatrice d’une vie hors norme d’un enfant né aux Philippines et qui va voyager au gré des mutations de son père sujet d’une histoire du Vietnam instable, passant du port de Hôi An à celui de Londres, sans oublier Paris ou l’Amérique des Kennedy. Les chapitres à la manière d’une chronique familiale nous racontent cette vie dans laquelle il manifeste un intérêt très fort pour ses aïeux annamites qu’il nous dévoile en photos mais aussi en dessins et peintures comme s’ils étaient reliés par un fil invisible à une imagerie traditionnelle ancienne. Les chapitres se succèdent tels des épisodes d’un bilan de vie où l’on regarde derrière soi la mer refluer et repartir vers l’horizon originel. Marcelino, on a envie de l’appeler par son prénom tant nous aimerions devenir son ami, ouvre ainsi sa boite de couleurs mais aussi la boîte à chaussures, celle qui renferme des photos dentelées en noir et blanc où la pose hiératique d’une famille vietnamienne en 1929, côtoie celle d’une grand mère maternelle assise face à une fenêtre. La famille pose militairement devant l’objectif. La dame assise regarde ailleurs. Peut être fixe t’elle ce garçon qui est devant lui, son fils Riri, qui vit ses dernières semaines, un des secrets familiaux difficiles à dire. Et à écrire.

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C’est donc cela une vie. Des bonheurs, comme celui de dessiner à l’âge de 5 ans de gigantesques bateaux américains livrés à Saigon par l’Oncle Sam mais aussi la possibilité d’égrener les souvenirs d’un père aimant accaparé par des métiers chronophages.

Heureusement, cette mer lui « dispense des soins intensifs », car atteint de la naupathie, le mal de mer, il souffre aussi toujours du mal de mère, cet autre fil conducteur de l’existence. Elle s’appelle Yvette, cette maman. Si on se contentait de regarder les photos d’elle, on pourrait l’imaginer heureuse, jolie, ouverte à la vie. Derrière les sourires, on peine à imaginer une femme marquée notamment par des traumatismes de l’enfance liés aux bombardements de Saint Malo. On la qualifierait aujourd’hui probablement de « bi-polaire » et ses perpétuels changements d’humeur, son incapacité à aimer ou à donner des signes d’amour, traversent sans ostentation toutes les pages du récit. La souffrance diffuse est dite mais les dessins sont là comme un contre poison. Multiples techniques, multiples supports, comme cette surprenante ardoise d’Angers, ils s’ouvrent souvent vers la plage, la mer, l’océan. Ils suggèrent le vent, la chaleur, l’ailleurs. Ils disent un amour réciproque de Marcelino et de la mer.

Comme une boucle qui se referme, Marcelino Truong conclue son ouvrage par sa passion de la plongée sous marine. On l’a rencontré dans les premières pages face à la piscine et au plongeoir Bon Secours de Saint Malo. On lui dit au revoir sous l’eau, au pied du Fort de la Conchée dans cette activité qui une fois encore aide à vivre celui qui est devenu l’aidant de son épouse Clémence, « cette belle sirène sans nageoires et sans autonomie ». « Promenade du reclus » ou « évasion du forçat de l’amour », le bleu envahit de nouveau la page. La mer le porte et nous emmène avec lui. Au large. Si loin dans le bleu.

Si loin dans le bleu, de Saigon à Saint-Malo de Marcelino Truong. Éditions des Équateurs. 160 pages. 24€. Parution : 15 mai 2024

(*) Trois romans graphiques magnifiques et indispensables à découvrir ou à redécouvrir : Une si jolie petite guerre, Saigon 1961-1963, Give Peace a Chance-Londres 1963-1975 et 40 hommes et 12 Fusils Indochine 1954. Tous trois publiés chez Denoël Graphic.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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