Dans cet ouvrage à trois voix de David Teboul, Simone Veil et ses sœurs, Madeleine Jampolsky et Denise Vernay, témoignent d’une vie familiale fracassée par le nazisme. Et de l’après. Bouleversant.
C’est un livre que l’on prend avec délicatesse, que l’on manipule avec douceur, dont ou ouvre les pages lentement. C’est un livre que l’on lit tranquillement, en silence, isolé comme un objet sacré. Un livre que l’on reçoit seul.
D’abord il y a la forme. C’est un bel ouvrage, avec une mise en page qui appelle l’intime, qui donne le sentiment de pénétrer dans un univers familial, celui d’une fratrie heureuse d’abord où les photos souriantes de baignade côtoient les photos posées de quatre enfants, trois filles et un garçon. Les légendes disent que le garçon s’appelle Jean. Et que les filles se nomment Madeleine dite Milou, Denise et enfin Simone. Et puis les photos s’obscurcissent disent autre chose, les sourires s’atténuent, disparaissent. Les scènes familiales font place à des photos d’Histoire. Seules subsistent avec le temps des clichés de fleurs, de mouettes comme une envie de printemps.
Ensuite il y a les textes. Ils sont écrits ou dits par les trois filles: correspondance, journaux personnels, entretiens recueillis. Elles sont soeurs, s’appellent Jacob, sont athées. Mais elles sont juives. Milou va devenir Madeleine Jampolsky, Denise s’appellera désormais Vernay, et Simone épousera Antoine Veil. C’est Simone qui est en couverture et figure sur le bandeau mais c’est une famille que l’on découvre à travers ces documents réunis, assemblés par le cinéaste David Teboul, confident de Simone Veil et auteur de L’aube à Birkenau.
Ce sont surtout les sœurs aînées de Simone que l’on entend dans ce livre et leurs liens indéfectibles dans une famille qui sent le danger monter, mais comme tant d’autres, ne peut imaginer l’inimaginable. Denise, dont le reste de la famille ignorera longtemps qu’elle avait rejoint la Résistance à Lyon puis en Savoie, sera arrêtée, torturée et internée à Ravensbrück puis Mathausen comme résistante. Milou et Simone, accompagneront leur mère de Auschwitz à Bobrek puis Bergen-Belsen, où Yvonne en mauvaise santé décédera du typhus un mois avant la libération du camp. Pour les trois soeurs le retour des camps est compliqué, en décalage avec la vie de ceux qui n’ont pas vécu la déportation, un retour et une expérience qui seront pour Simone, source de défiance, de dureté même à l’égard du monde extérieur alors que Denise notamment cherche par le mouvement à mettre de côté, sans jamais oublier.
Ces textes se lisent comme un document historique au sein d’une famille lettrée, cultivée, soudée, heureuse de vivre ces années trente où la vie se confond pour les enfants avec la recherche d’un futur que l’activité intellectuelle rend plus nécessaire. Et puis ce sont les témoignages sobres de Simone et encore plus les textes écrits par Denise à partir d’août 1945 qui décrivent le quotidien des camps jusqu’au témoignage éprouvant de « Mère » mourant à côté de « Fille » à Bergen-Belsen peu de temps avant l’arrivée des alliés. Mère, Fille deux mots pour mettre à distance la situation et dire enfin à Simone le décès de leur maman. Vie quotidienne d’une résistante, de trois déportées, les journaux, les lettres nous disent l’horreur de la barbarie capable de ratisser des milliers de kilomètres au peigne fin, en dehors de l’effort de guerre, pour exterminer et faire disparaitre de la planète des êtres humains placés sous le vocable indéfinissable de « Juifs ». Les soeurs ne tombent à un aucun moment dans le pathos mais leurs sentiments sont plutôt dominés par la sidération de l’objectif, des moyens insensés mis en oeuvre et de la participation d’êtres humains à ce massacre.
« Ce qui m’a le plus marquée c’est d’être passée de l’autre côté de l’humain; (…) Mais on est devenus une viande et cette perception demeure ». (Simone Veil).
Document historique mais aussi document intime, bouleversant d’amour entre une mère dont la silhouette et l’existence transparaissent, magnifique et lumineuse dans les témoignages écrits de ses filles, et trois soeurs finalement dissemblables mais aimantes. Chacune apparaît avec sa voix propre, sa vision du monde, de la vie. Et de la mort puisque Michou et son fils Luc meurent le 14 août 1952 sur la route, victimes d’un accident de voiture.
« Le destin s’acharnait sur nous. La famille était décimée. Denise et moi étions seules. Notre trio n’était plus .» Ce livre le reconstitue avec bonheur, délicatesse tendresse et amour.