Le documentaire de Mathieu Théry et Étienne Chaillou La sociologue et l’ourson a reçu dimanche 5 novembre le Prix du Public du festival des Étoiles de la Scam, la société civile des auteurs multimédias. Déjà primé en 2016 par le festival toulousain, Des images aux mots et par le grenoblois Vues d’en face, cette distinction supplémentaire ne fait que confirmer la qualité « d’étoile » du documentaire…
Depuis 2005, au travers de son annuel Festival des Étoiles, la société civile des acteurs multimédia – ou Scam – poursuit un vaste projet : récompenser trente œuvres audiovisuelles se distinguant de la masse des productions par leur qualité et leur originalité. Des « étoiles » éparses et difficiles à distinguer dans le flux télévisuel dont nous sommes constamment abreuvés. Pour sa douzième édition, le festival avait sélectionné – entre autres œuvres lauréates – La sociologue et l’ourson, documentaire réalisé par Étienne Chaillou et Mathieu Théry, sortit en salle en avril 2016.
Alors que le fait de figurer parmi les lauréats constitue déjà une distinction en soi, les réalisateurs ont également eu l’agréable surprise de voir leur film être nominé pour le Prix du Public : un trophée qui ne concerne qu’une seule œuvre sur les trente figurant au palmarès du festival. Le documentaire de soixante-dix-sept minutes nous replonge dans les neuf mois de débats et de houle ayant précédé la promulgation, le 17 mai 2013, de la « loi Taubira » ouvrant le mariage aux couples de même sexe.
Cinq ans après les événements qu’il dépeint, le film demeure toujours aussi parlant: ce Prix du Public en est la preuve. « Au moment de la réalisation nous avons pensé le film en nous disant qu’il se devait d’être intéressant dix ans après la loi », déclarent les réalisateurs. « Nous ne voulions pas faire un commentaire de l’actualité mais décrire un pays qui débat d’un sujet de société. […] Nous nous sommes régulièrement demandé quel film nous aurions aimé voir aujourd’hui sur les débats autour du droit à l’avortement par exemple. Nous prenons donc ce prix comme un signe de réussite de ces intentions. »
L’attribution du prix à ce documentaire n’a au final rien de très étonnant, tant l’œuvre correspond aux standards du festival : qualité et originalité. Fils d’Irène Théry, sociologue figurant toujours au premier rang des discussions préalables à l’élaboration de la loi, Mathias Théry profite de sa relation privilégiée avec l’intellectuelle pour réaliser un documentaire mêlant l’intime et l’officiel, le sérieux et le burlesque. Lui et son comparse Étienne Chaillou, avec lequel il avait déjà signé trois moyens-métrages et deux web-séries, ont en effet effectué un choix étonnant : mêler prise de vues réelle et séquences d’animation mettant en scène peluches et marionnettes…
Le parti pris artistique pour le moins inventif des deux réalisateurs s’explique à la fois par leur parcours et par le sujet traité. Diplômés de l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris, Étienne Chaillou et Mathias Théry ont déjà eu recours à l’animation pour la réalisation de leurs web-séries, « J’ai rêvé du Président » et « L’œil du voisin », diffusées en 2012 et 2014 sur Arte.
« La sociologue et l’ourson » n’avait a priori pas vocation à suivre la même trajectoire. Le choix du recours à l’animation s’effectue cependant lorsque décision est prise d’abandonner un projet d’un film sur les familles homoparentales et de se tourner plus ostensiblement vers la figure d’Irène Théry. De fait, la quasi-totalité du documentaire repose sur les échanges téléphoniques entre Mathias Théry et sa mère. Dans un entretien réalisé par le distributeur du film, Docks 66, les réalisateurs déclarent : « Nous voulions illustrer ce que nous appelions “les histoires d’Irène” […] mais nous nous sommes rendu compte qu’en filmant des personnes réelles, cela semblerait bizarre. Faire réinterpréter des réalités sociologiques par des gens avec en arrière-fond la voix off d’une sociologue nous gênait. Cela aurait un côté “rats de laboratoires analysés par une intellectuelle” ». D’où le recours à des marionnettes pour mettre en images ces conversations. Et leur utilisation révèle le burlesque des situations les plus sérieuses : les houleux débats à l’Assemblée et sur les ondes prennent des allures de chamailleries. On ne s’écoute plus, et la scène évoque irrésistiblement le personnage de Guignol distribuant ses célèbres coups de bâton.
Le résultat est impeccablement réussi. Par un subtil jeu d’échelles, le film alterne entre histoire nationale et intime, entre les débats portés sur la scène publique et ceux qu’abrite le cocon familial. On suit à la fois l’actualité nationale et ce dialogue entre un fils et sa mère. La qualité de sociologue de Irène Théry permet de faire le pont entre ces deux domaines.
Au cours de ces échanges, Mathias Théry joue le rôle du candide et pose à sa mère des questions à première vue ridiculement simples, telles que le sempiternel « Maman, comment fait-on les bébés ? ». C’est bien là l’enjeu du documentaire ; provoquer chez le spectateur la remise en question d’un concept qu’il pensait simple et qu’il croyait connaître, celui de la famille. L’infantilisation volontaire de l’un des deux protagonistes peut également être interprété comme une illustration du processus de socialisation primaire – l’intériorisation par les enfants de leur premier ensemble de normes et de valeurs – dans lequel les parents jouent un rôle majeur. Les scènes recréées à l’aide des marionnettes pourraient l’avoir été par un enfant, reproduisant avec ses jouets les conversations entretenues avec sa mère.
Jamais le film ne cherche à cacher son soutien à la loi Taubira. S’il ne fait pas le choix de la neutralité, il opte très clairement pour celui du dialogue : les réalisateurs sont honnêtes dans leur traitement de l’opposition, dont ils retranscrivent les arguments sans virulence et sans caricature. « Il nous semblait important de conserver notre recul », soulignent les réalisateurs, « ne serait-ce pour garder la distance avec notre personnage, Irène. C’est elle qui est la plus militante. Nous sommes des témoins, nous ne cachons pas notre position mais pour raconter un débat, il faut essayer de comprendre les différentes opinions qui s’opposent. »
Le film ne court donc pas derrière la polémique : c’est plutôt la controverse elle-même qui vient le chercher, comme ce fut le cas en avril 2016 à Argenteuil. Georges Mothron, maire de la ville affilié aux Républicains, avait alors fait déprogrammer le film, à l’affiche du centre culturel. Motif invoqué auprès du Parisien : « […] en ces temps troublés, des sujets tels que ceux-là peuvent rapidement mettre le feu aux poudres dans une ville comme Argenteuil. Dans un souci d’apaisement […] la ville a préféré jouer la sécurité en ne diffusant pas ces films, évitant ainsi des réactions éventuellement véhémentes de certains. » À noter que son délégué à la culture, Frank Debaud, était connu pour son engagement auprès de la Manif Pour Tous du Val d’Oise.
Non content d’alterner entre histoire nationale et familiale, le documentaire propose également d’explorer le temps court aussi bien que le temps long. La succession d’étapes amenant à la promulgation de la loi est suivie avec rigueur, mais les « histoires d’Irène » réinscrivent les débats dans une perspective sociohistorique. Le film a pour sujet le changement autant que le « mariage pour tous » : plutôt que de militer ardemment en faveur de la loi, il invite le spectateur à observer le changement. Celui des mœurs, celui du concept même de famille, et celui des individus et de leurs mentalités. Irène Théry avoue elle-même, au cours du film, avoir changé d’opinion concernant la gestation pour autrui. « Beaucoup de gens n’aiment pas dire qu’ils ont changé parce qu’ils s’imaginent que c’est avoir eu tort hier et avoir raison aujourd’hui. » déclare-t-elle. Et c’est peut-être là le message final du documentaire : rester ouvert au dialogue, accepter le changement, ou du moins ne plus y être aveugle.
La sociologue et l’ourson, Étienne Chaillou, Mathias Thery, documentaire français, 6 avril 2016 (1h 18min)
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