Rompre volontairement à 60 ans avec sa vie passée, c’est ce que Josy va tenter de faire. Pour le meilleur et pour le pire. Une BD dans l’air du temps.
Il y a la crise de la quarantaine. On dit parfois celle de la cinquantaine. Mais pour Josy, c’est celle de la soixantaine. C’est le jour de ses 60 ans qu’elle décide brusquement de refuser de souffler les bougies de son gâteau d’anniversaire et de partir illico presto avec un vieux van Volkswagen, laissant à table, mari, enfants et petits-enfants. Elle en a assez Josy et veut vivre sa vie comme une adolescente qui décide de quitter le foyer familial sur un coup de tête. Vivre autrement, vivre autre chose. Assez des conventions ? Assez des faux-semblants ? On ne le saura pas vraiment. Alors le lecteur pense de suite à Lulu femme nue de Etienne Davodeau mais Lulu, la quarantaine passée qui décide de vivre différemment pendant quelques jours, de briser le quotidien, n’a aucune détestation de sa famille, de ses enfants, de ses amis. Un mal-être tout simplement.
Josy, elle, a le regard mauvais, une forme de violence en elle. Elle part en colère. Elle déteste son mari dont on sait peu de choses, si ce n’est qu’il a le tort essentiel de ne pas aimer les chats et peut être d’être un homme ? Elle ignore sa fille et son fils, a priori trop superficiels et qui vont tenter vainement de la culpabiliser et de la faire rentrer à la maison. Bien entendu, dans ce scénario féministe d’Ingrid Chabbert, Josy ne trouvera grâce et joie que dans la compagnie des femmes. Camelia d’abord, cette femme qui partage avec elle un emplacement de stationnement. Et puis avec le CVL, le Club des Vilaines Libérées, une dizaine de femmes qui se sont fait la belle, ont quitté leur mari pour vivre comme elles le désiraient. « Nous sommes celles qui ont dit stop, nous sommes celles qui ont quitté et n’ont pas attendu de l’être. » Josy y découvrira l’amour, le lesbianisme comme un pendant heureux à la vie de couple hétéro.
Ingrid Chabbert dans son précédent scénario, Écumes (voir chronique), illustré par Carole Maurel avait déjà utilisé les thèmes de la rupture, celle d’un retour à la vie après le traumatisme de la perte d’un enfant à venir, mais aussi celui de l’amour au féminin. Elle reprend ici ses thèmes de prédilection dans une histoire où l’amour a du mal à se faire une place dans la vie quotidienne marquée par les conventions, les habitudes, la morale.
Ce scénario est en harmonie avec son temps et l’évolution indispensable des mentalités, rejoignant un courant qui va de pair avec l’accroissement des autrices dans le monde majoritairement masculin de la BD. Comme dans L’Obsolescence programmée de nos sentiments, racontée par Zidrou, Aimée de Jongh apporte à l’histoire une touche de douceur et de tendresse bienvenue. Elle semble se saisir des histoires écrites par d’autres pour y dessiner des corps âgés, marqués par le temps qui passe, des esprits soucieux dans ce fameux « troisième âge » de retrouver joie et source de vie. On retrouve cette capacité à dessiner des corps qui ne font pas la une des publicités et des magazines et que nos sociétés dissimulent. Elle apporte par des tons pastel, qu’elle dit pourtant détester, de la douceur à ce récit violent et auquel il manque l’évocation de moteurs psychologiques, une trame explicative.
Lauréate avec son magnifique album solo Jours de sable (voir chronique), la dessinatrice néerlandaise rend plus humaine Josy, par des pleines pages où le doute et l’angoisse prédominent, écartant une vision manichéenne du monde. Le caractère bien trempé du personnage central s’émousse, se perd dans des visions culpabilisantes ou se révèle dans des scènes de connivence, de partage avec sa compagne passagère. Il faut un minimum d’humanité et de sympathie pour partager la vision de Josy. En modifiant les expressions du visage, en alternant les couleurs, en élargissant le cadre, la dessinatrice rompt avec la dureté du récit et le rend plus complexe.
On attend avec impatience un album personnel de Aimée de Jongh sur ces thèmes de l’âge qui passe, de la vieillesse, de l’amour finissant, de la rupture de vie, elle qui les illustre magnifiquement et consacre ces scénarios personnels à d’autres histoires.
Soixante printemps en hiver. Scénario : Ingrid Chabbert. Dessins et couleurs : Aimée de Jongh. Éditions Dupuis. Collection Aire Libre. 110 pages. 23€
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