Soleil Noir est le premier roman de Christophe Sémont. Le style est sobre, fluide, percutant ; phrases courtes, phrases plus longues entrecoupées de virgules confèrent un rythme soutenu au récit, sans temps morts ni fioritures. Christophe Sémont va à l’essentiel. Les chapitres courts de Soleil noir se terminent souvent par une question, ne laissant au lecteur d’autre solution que de feuilleter les pages avec frénésie…
Néanmoins, la structure est complexe, l’intrigue de Soleil noir s’articule autour de deux pôles géographiques, l’Argentine et la Bolivie, et de trois histoires sans aucun lien apparent. Mais l’auteur maîtrise l’art du suspense…
Les thèmes abordés sont la violence gratuite, souvent utilisée comme moyen d’expression par des êtres sans scrupules : le trafic de drogue, la misère, la corruption, mais également le spectre des nazis réfugiés en Amérique du sud, “de la lutte contre les communistes avec la bénédiction des Américains”, embrouillant une situation politique, économique et sociale déjà explosive.
L’intrigue de Soleil noir se noue à la suite de l’attaque de la banque où travaille l’épouse du sergent Esteban Pantoja. Elle se termine dans un bain de sang, la mort de la jeune femme et la fuite des trois braqueurs en Bolivie. Le jeune sergent de police est suspendu en attendant que sa hiérarchie statue sur son sort, le dossier d’enquête ayant été envoyé à la police bolivienne. Mais Esteban ne peut se résoudre à attendre sans rien tenter pour retrouver ceux qui ont à jamais détruit sa vie. Estimant que la police est trop lente ou trop laxiste, son désir de vengeance, sa haine le poussent à se lancer à la poursuite des malfrats. Commence alors une course-poursuite qui l’entraînera jusque dans la jungle bolivienne.
Dans le même temps, la découverte, à Rurrenabaque, en pleine forêt amazonienne, par un groupe d’adolescents d’un conteneur en métal plein de cadavres en décomposition, les visions et maux de tête dont est victime la jeune serveuse Adèle; ces événements en apparence isolés, sans aucun lien les uns avec les autres, font-ils partie d’un puzzle géant dont personne ne mesure encore les implications ? Est-ce le hasard qui conduit les pas d’Esteban, grâce aux premiers indices collectés, justement à Rurrenabaque ?
Les lieux dans lesquels se déroulent les divers épisodes de Soleil noir sont tous situés en Amérique du sud, plus précisément en Bolivie et en Argentine. Un pays que connaît bien l’auteur pour en avoir parcouru les routes et chemins. Leurs descriptions offrent des décors bien intégrés dans le déroulement des événements.
Le commissariat où travaille le jeune sergent reflète bien les priorités d’un gouvernement à deux vitesses : le manque de moyens financiers mis à la disposition de la police pour lutter efficacement contre le crime organisé, avec sa “façade décrépite, bureaux vétustes, véritables fournaise les jours de canicule, cellules aux murs blanchis à la chaux”…le local des archives n’est qu’une petite pièce sombre encombrée d’étagères croulant sous les dossiers, la numérisation n’étant qu’à l’état de projet.
On y côtoie la misère affligeante d’une capitale, La Paz, en proie à la misère et à l’abandon, situation que l’auteur montre dans toute sa réalité sans en tirer aucun conclusion ni jugement; c’est ainsi “le long des trottoirs, des gamins s’installaient progressivement pour vendre des bonbons ou des cacahuètes grillées. Ils colonisaient le moindre espace disponible, obligeant les passants à zigzaguer entre eux pour se frayer un chemin”. (Page 37).
A côté, on découvre des paysages au dépaysement complet, en parfaite harmonie avec l’état d’esprit qui anime Esteban: “C’était une région sauvage, entourée de crêtes montagneuses et de volcans, où le sol aride des hauts plateaux étranglait la végétation, quelques arbres rachitiques et des touffes de paja brava balayés par des vents tout à tout brûlants ou glacés.” (Page 114).
L’incursion d’Esteban dans la jungle illustre le talent de Christophe Sémont pour restituer un lieu dans toute sa substance, avec les mots justes pour agencer un décor qui n’est pas que de carton-pâte : “Véritable enchevêtrement de lianes et d’arbres séculaires, de mousses et de fougères plus hautes que lui…Ils progressaient à travers ce labyrinthe depuis trois jours. Trois jours à être réveillé en sursaut par les cris des singes hurleurs, à brûler les sangsues accrochées à leur peau, à supporter l’odeur infâme des hordes de sangliers sauvages. Ils évoluaient lentement. Ici force et rapidité ne signifiaient pas grand chose. La jungle imposait son rythme et mieux valait le respecter si l’on voulait en sortir un jour.” (Page 209).
En conclusion, on soulignera les quelques difficultés dans Soleil noir à jongler avec les dates figurant en tête de chaque chapitre qui ne sont pas toujours chronologiques, créant parfois la confusion et obligeant à revenir en arrière pour comprendre. Par contre, de nombreux dialogues, de l’humour, de l’action, mais aussi des moments d’émotion et de tristesse, l’absence de détails superflus, constituent les ingrédients principaux de ce polar au rythme soutenu. Les discrètes allusions aux coutumes locales ajoutent une petite touche d’exotisme très agréable, avec le marché aux sorcières, les “achachilas”, ces esprits des ancêtres qui hantent les montagnes autour de La Paz, s’incarnant dans les chiens disséminés le long de la route… Car polar peut aussi rimer avec évasion et culture, faire réfléchir sur des sujets d’actualité et de politique, sans pour autant s’ennuyer, bien au contraire.
“Alors qu’il se redressait, il sentit ses jambes se dérober sous lui. Il eut juste le temps de s’agripper à l’armoire. Il s’appuya contre le meuble massif et respira profondément. Le médecin l’avait averti, il était encore en convalescence et serait sujet à des crises de vertige pendant quelques jours.” (Pages 68-69).
“Entre-temps, elle avait compris que le mal pouvait adopter de multiples apparences, se terrer n’importe où, et rejaillir au moment où l’on s’y attendait le moins.” (Page 119).
“Pour cela, il faudrait de l’argent…Quand il y en a, il va d’abord dans la poche des politiciens. Le pays est corrompu, malade de son propre système. Les ressources ne manquent pourtant pas, nous avons de tout: de l’argent, du bois, du gaz…Mais elles sont exploitées par des entreprises étrangères, rien ne reste ici. Un mendiant assis sur un trône en or, voilà ce qu’est la Bolivie.” (Page 140).
“Fouiller dans le ventre de la Bête était mal considéré par une majorité de ses concitoyens qui préféraient enterrer le passé. Pour eux, explorer les relations étroites que l’Argentine avait entretenues et entretenait peut-être encore avec d’anciens nazis tenait du sacrilège. Cette inquisition remettait en cause la personnalité de Juan Peron, et par ricochet, celle de sa femme Evita, icônes nationales sanctifiées par bon nombre d’Argentins.” (Pages 180-181).
Christophe Sémont est né dans l’Allier en novembre 1973 d’un père bourbonnais et d’une mère bretonne. Après des études à Clermont, il s’installe dans l’Ouest où il travaille dans une agence média comme directeur du marketing.
Christophe Sémont a longtemps sillonné les routes de notre planète sac au dos, avec une prédilection pour l’Amérique du sud, avant de se poser afin de fonder une famille. De ses pérégrinations personnelles, il a tiré un goût prononcé pour les histoires de toutes sortes, qu’elles soient orales ou écrites, réelles ou fantaisistes. Malgré une vie bien remplie, il continue de voyager. Il travaille actuellement à la rédaction de son 4e roman.
Catherine Louvet