Sous branches de l’Udala de Chinelo Okparanta nous ramène en 1968. Le Nigeria et la jeune république du Biafra se déchirent, les conflits interethniques sont chaque jour plus meurtriers, la population sombre peu à peu dans le désespoir. Au cœur de cet océan de violence, la jeune Ijeoma tombe amoureuse d’Amina. La relation des deux adolescentes est rapidement découverte et tous, mères, pères, voisins, amis, se chargent de leur rappeler qu’aux yeux de Dieu et de la loi, leur amour est criminel.
Même si l’on entend parler de cette homophobie récurrente dans nombre de pays depuis des lustres – l’acceptation et la tolérance d’amours autres que seules celles hétérosexuelles -, Chinedo Okparanta nous propose entre roman, étude de la société dont elle est issue et souvenirs personnels de son enfance, de son adolescence, de son entrée dans l’âge adulte, de nous plonger dans une Afrique post-coloniale en proie à ses déchirements interethniques. Le tableau – s’il est parfois apocalyptique compte tenu des massacres omniprésents, des tensions avivées sans cesse entre les peuples par des politiques corrompus, une pression permanente de l’Église qui ne cherche, à travers Dieu, qu’à contrôler les peuples, leurs us et coutumes, les mariages arrangés… -, une place du mâle toujours dominante, est aussi magnifiquement réalisé par les paysages, les musiques, les élans de générosité, la force des femmes auxquelles revient l’éducation, la culture, les soins à transmettre aux enfants. Et puis, il y a des phrases d’une poésie remarquable, une réflexion sur la tolérance et l’amour, parce qu’ici il est question d’amour. Juste gravement une question d’amour.
D’accord, la femme avait été créée pour l’homme. Mais en quoi cela excluait-il le fait qu’elle ait pu être aussi créée pour une autre femme ? De même que l’homme pour un autre homme ? Les possibilités étaient infinies, et chacune d’entre elles parfaitement viables.
Dans ce roman d’apprentissage, Ijeoma passe par de nombreuses étapes, la perte de son père, d’amis, l’attachement à sa mère et cette même distance qu’elle devra mettre vis-à-vis d’elle pour exister en tant qu’entité propre. Elle fera la dure expérience du rejet, de la peur, frôlera plusieurs fois la mort, la colère des autres, celle-là même qu’ils imputent à Dieu qui punit les pêcheurs… Mais elle découvre l’amour dans les bras des femmes, puisque telle est sa nature. A-t-elle réellement à se justifier ? Dans cette époque-là, malheureusement oui. Alors elle devra « se coucher » et accepter le pire avant de se lever, fière comme ces icônes qui nous marquent par leur force de caractère et leur volonté sans failles, pour prendre totalement son destin en main et vivre enfin. Vivre enfin ! Aimer enfin ! (on pense à la fable « Le chêne et le roseau », La Fontaine – Elle plie mais ne rompt pas)
Les choses ont-elle changé cinquante après ? Dans quelques pays du monde, des évolutions sont significatives mais dans la majorité des nations, il reste tant à faire…
À la fin de ce roman très émouvant : note de l’auteure
« Le 7 janvier 2014, le président du Nigeria, Goodluck Jonathan, a signé une loi qui criminalise les relations entre personnes du même sexe, ainsi que le soutien apporté à ce genre de relations, rendant de tels actes passibles de peines de prison pouvant aller jusqu’à quatorze ans. Dans les Etats du Nord, la mort par lapidation est prévue. Ce roman est une tentative pour donner à la communauté LGBT marginalisée du Nigeria une voix plus puissante, et une place dans l’histoire de notre nation. D’après une enquête Win-Gallup International Global Index of Religiosity and Atheism, le Nigeria est le deuxième pays le plus religieux, immédiatement suivi par le Ghana. »
Sous les branches de l’Udala. Chinelo Okparanta. Éditions Belfond. 384 pages. Prix : 22,00 €. Parution : 23 septembre 2018.
Traduit de l’anglais (Nigeria) par Carine Chichereau. Couverture : © Atelier Dominique Toutain– Photo Chinelo Okparanta – © DR
www.chinelookparanta.com
Née en 1981 à Port Harcourt, au Nigeria, Chinelo Okparanta est arrivée à l’âge de dix ans aux Etats-Unis, où elle enseigne au sein de l’université renommée (West Lafayette, Princeton). Avec America, nouvelle finaliste du prestigieux Caine Prize de 2013 pour la littérature anglophone d’Afrique, ainsi que son recueil Le Bonheur comme l’eau (Editions Zoé, 2014), lauréat du Lambda Literary Award for Lesbian Fiction, Chinelo Okparanta s’impose comme l’une des figures majeures de cette jeune génération dont l’écriture inventive est à présent reconnue au niveau international. (source cp Belfond)