Le Triangle réjouit le jeune public dès le début de saison ! Dans le cadre du festival Marmaille, la cité de la Danse et Lillico présentent Cargo l’archipel de l’Ether les vendredi 19 et samedi 20 octobre 2018. Un spectacle, créé par le collectif bordelais a.a.O, où les arts visuels et la danse contemporaine s’associent dans un ballet chorégraphique onirique. Entretien avec Carole Vergne et Hugo Dayot, artistes chorégraphiques et médias.
« Être à lilico et au Triangle est un très beau clin d’œil à notre travail. C’est une belle façon pour le collectif a .a.O d’entrer dans l’univers des jeunes publics. Être repérés par des festivals aussi puissants qu’authentiques que le festival Marmaille NOUS POUSSE À DONNER LE MEILLEUR » Carole Vergne
Unidivers : Comment est né le collectif ? Que signifie le nom a.a.O ?
Carole Vergne : L’abréviation a.a.O vient de l’allemand Am angegebenen ort et signifie « ici et maintenant ». Le spectacle vivant est une succession d’histoires et de rendez-vous, nous avions envie que le nom questionne le temps et l’espace et traverse les années. Chaque déplacement est une histoire qui se raconte, un rendez-vous dans un lieu et à un temps donné d’où a.a.O.
Le collectif a une histoire singulière, il s’agit d’un collectif de médiums avant d’être un collectif d’artistes. Au fil des années, de la fidélité et des invitations, il est en voie de devenir un collectif d’artistes. L’idée était de placer toutes les disciplines au même niveau sans créer de hiérarchie entre les arts qui allaient se côtoyer. Que la danse soit aussi importante que la musique, la lumière et les arts visuels avec une question constante, celle de travailler collectivement autour d’un sujet et de créer ensemble.
L’écriture d’une pièce de danse n’est, par expérience, pas une aventure solitaire – tout dépend après de la manière de travailler de chacun. Il y a effectivement toujours l’initiative du propos et la dynamique de travail, mais une seule personne ne signe pas les propositions. En étant sur la dénomination d’un collectif, mettre tous les médiums sur un pied d’égalité me paraissait plus juste.
« L’écriture d’une pièce est un ensemble de cerveaux qui cogitent, de personnes qui s’agitent dans tous les sens et donnent le meilleur d’eux-mêmes afin de faire exister un propos » CAROLE VERGNE
Unidivers : Pourquoi avoir choisi de mélanger les arts visuels et la danse contemporaine ?
Carole Vergne: Historiquement, la mixité a toujours existé, que ce soit avec Picasso, Cocteau ou autres personnes du XXe siècle qui se sont associées. Les arts numériques n’existaient pas encore, mais les arts visuels ont commencé avec la peinture. La mixité et transdisciplinarité ont toujours été présentes, à l’image des grandes fresques que l’on définit comme des grandes toiles par exemple. Nous ne faisons que réinventer les outils. Ce serait une imposture d’imaginer que le collectif invente une façon de fabriquer… Le rassemblement a toujours été présent, seuls les outils et les modes opératoires ont changé et évolué.
Pourquoi ce mélange ? Parce que c’est ce que nous sommes. Hugo Dayot et moi-même sommes à la fois dans le champ de la danse et dans la production d’images. Si nous étions musiciens, nous serions artistes chorégraphiques et musiciens.
Unidivers : Quel impact cette mixité des disciplines provoque chez le spectateur ?
Carole Vergne : La danse autant que la vidéo ou les projets graphiques produisent un tracé, un dessin, une image et une photographie, il y a donc confrontation d’images. Dans le cas du collectif a.a.O, le projet chorégraphique peut souvent se retrouver en compétition avec les projets visuels. Toute l’ambition est là justement, à savoir comment faire cohabiter deux projets ensemble. Une première image sera de l’ordre du vivant tandis que la seconde est émise instantanément, mais a été conçue en amont. Le rapport au temps entre ces deux images animées est également différent et intéressant.
Dans chaque spectacle, les images cohabitent et travaillent ensemble. Elles s’imbriquent de manière à créer un dialogue qui ne vient pas choquer, avec assez de temps pour tout voir. Plutôt que d’être dans un foisonnement, nous essayons de travailler sur l’articulation.
Unidivers : En 2015, votre réflexion artistique se dirige vers le jeune public. Cargo, l’archipel de l’Ether est votre première création. Comment avez-vous transposé le projet Ether afin qu’il convienne à un public plus jeune (à partir de 6 ans) ?
Carole Vergne : Le spectacle Ether est le début au plateau du projet graphique que je mène depuis quelques années. Avec Hugo Dayot, nous avons pensé à ces espaces graphiques – dessins assistés par ordinateur – comme de grands espaces qui pouvaient être conjugués pour du jeune public. Ouvrir notre travail et notre esthétique à des enfants a été très stimulant. On était assez curieux de voir nos propres réactions et la perception des enfants vis-à-vis de notre travail.
L’équipe d’Ether est la même que celle qui a signé Cargo, l’archipel d’Ether. Toute l’équipe a relevé le défi de ne pas tomber dans la naïveté ou la niaiserie. L’enjeu était de rester extrêmement vigilant et exigeant, c’est-à-dire de ne pas tout réduire. À quel moment les enfants ont cette capacité de projection ? À quel point peuvent-ils être plongés dans l’abstraction afin de ne pas tout figurer ou illustrer ? La danse pouvait-elle être autre chose que de l’adresse publique ? Nous avions la certitude que les enfants étaient extrêmement fins et qu’ils pouvaient se glisser dans le projet tant que la pièce avait du sens.
Hugo Dayot: Nous ne nous sommes pas réellement posé la question d’une adaptation à l’adresse du jeune public, c’était une réflexion après coup. Il y a dans la création une part d’insouciance. L’idée de se lancer à corps perdu dans des aventures a été un des moteurs de Cargo. C’est peut-être un jeune public et un jeune regard, mais il n’est pas pour autant amoindri bien au contraire. C’est un regard beaucoup plus apte à saisir et capter les détails, ce qui est d’ailleurs assez impressionnant et n’autorise aucune relâche. Avec Cargo, il ne s’agissait pas de réaliser l’adaptation d’un texte ou d’un document, mais plutôt de construire à partir de notre univers une création de zéro : être exigeant sur le travail et la construction du projet, sur les éléments que l’on venait tisser et sur la dramaturgie.
Unidivers : Quelles réactions des enfants vous ont le plus surpris ?
Hugo Dayot : Six – huit ans est un âge où les enfants se focalisent sur les éléments assez techniques qu’il s’agisse de Cargo, l’archipel de l’Ether ou d’autre chose. Ils sont en plein apprentissage et sont baignés dans un univers normé de règles : ils apprennent à compter, à lire et à écrire. Cargo est un spectacle un peu abstrait donc dans ce monde normé, nous plaçons une représentation de l’ordre du désordre ou du moins d’une recomposition.
« À chaque spectacle, il suffit de tendre l’oreille et de leur donner la parole » Hugo Dayot
En sachant que nous avons pris le parti de ne pas assigner une histoire ou un sens de lecture à Cargo, leurs réactions sont variées et plus étonnantes les unes que les autres. Chacun se raconte son histoire sans que ce soit chaotique.
Carole Vergne : J’ai le souvenir d’un atelier en ZAC à Lorman, à côté de Bordeaux. Une classe d’enfants de 10 ans en difficulté a été accompagnée pour voir Ether alors qu’il devait assister à Cargo. Pour recontextualiser l’intervention, il faut savoir qu’Ether commence par une brèche,un dessin illustré. Après avoir passé la vidéo où se trouve la brèche ce jour-là, une petite fille lève la main et me dit « Madame c’est pas la même qu’au spectacle ». Quatre mois étaient passés depuis le spectacle donc je lui rappelle que le début du spectacle commence de cette manière, mais elle a insisté en maintenant qu’il ne s’agissait pas du même dessin. Je lui assure du contraire et elle me précise, je cite « il y a deux pixels en moins dans celui du spectacle »… Après la vérification du fichier, elle avait tout à fait raison. Dans une ancienne vidéo, nous étions intervenus sur deux pixels qui tournaient en rond afin de les enlever du spectacle. Le jour de l’atelier, je m’étais trompée et avais projeté l’ancien fichier avec les deux petits pixels donc l’équivalent de deux petites étoiles dans un ciel. C’était hallucinant qu’elle le remarque.
Leur capacité à s’émerveiller et à dire honnêtement leur ressenti est incroyable : « j’ai rien compris, je ne suis pas rentrée dedans, mais c’était beau ». Ils peuvent être dans des contradictions très claires et voir des éléments que nous ne soupçonnons même pas.
Unidivers : Développer l’imagination du public semble au final très important dans votre démarche…
Carole Vergne : Nous avons malheureusement peu d’espace aujourd’hui, tout est donné, déresponsabilisé… la question de la poésie par l’évocation se perd, mais la poésie ne peut se faire sans évocation, seulement en racontant et en imposant. Laisser une part à l’autre pour qu’il puisse s’y plonger est nécessaire afin de développer son imaginaire. Pour se faire, nous prenons nous-mêmes un peu de distance même si c’est parfois très frustrant. À partir du moment où le spectacle est présenté, tout nous échappe. C’est un risque, l’objectif que l’on souhaite atteindre peut également nous échapper.
C’est se poser la question de comment réduire la marge du figuratif tout en essayant de se tenir à des choses visuelles, mais en laissant à l’autre une possibilité de s’y fendre pour que son imaginaire travaille. C’est important que le public travaille et que tout ne soit pas simplement digéré avec un seul point de vue, une seule direction…
Hugo Dayot : La génération actuelle – et les suivantes le seront aussi d’ailleurs – est surchargée d’images. La question de donner cette forme là n’est peut-être pas la plus commode, mais elle permet de ne pas fixer le regard. Ils sont baignés d’images télévisuelles, publicitaires qui disent ce qu’il faut penser, où il faut regarder, ce que l’on doit faire… Qu’importe que l’on apprécie ou pas, c’est une forme d’expression de pouvoir nommer la prestation. Cet effort cognitif est une vrai puissance chez l’enfant, il permet de développer un regard critique et participe au développement de sa pensée.
Carole Vergne : On s’est tourné vers le jeune public car les adultes sont foutus (rires). On dit souvent qu’en plaisantant une part de vérité ressort. Selon moi – c’est comme leur mettre trop de poids sur les épaules – mais les enfants sont une promesse. Je veux dire par là qu’on a tous l’envie d’un monde meilleur – en tout cas je l’espère. Nous essayons à notre façon d’y contribuer pour les enfants. Pour le bien de leur devenir, on égraine de petites choses poétiques afin de les faire rêver un petit peu, de les questionner, les amener à être tolérant, à aimer la différence et aussi à goûter des formats différents… d’où ces objets de prime abord complexes, mais qui ne le sont pas du tout au final. Les enfants rentrent d’ailleurs plus facilement dans Cargo que les adultes.
Cargo, l’archipel d’Éther du Collectif a.a.O. – Vendredi 19 octobre 10 h 30 et 14 h 30 – Samedi 20 octobre 18 h. Durée 35 minutes.
Programmation de la saison 2018/2019 et entretien avec Charles-Edouard Fichet
Le Triangle
Scène conventionnée danse
Boulevard de Yougoslavie
BP 90160 Rennes Cedex 2
02 99 22 27 27
infos@letriangle.org
www.letriangle.org
TARIFS
9€ plein
7€ réduit
3,5€/2,5€ SORTIR !
PASS Triangle :
7€ plein
5€ réduit
Baby sitting
sam 20 oct 18:00
gratuit, +6 mois,
inscription à l’accueil
ATELIERS PARENT-ENFANT AVEC LES ARTISTES :
SAM. 20 OCT : 15 h -> 16 h 30
Au choix, atelier film d’animation « Découverte de l’image animée » ou atelier « Danse et respire avec moi ».
Les deux ateliers sont suivis d’un goûter partagé
1 enfant (+6 ans) + 1 parent
Sur inscription à l’accueil du Triangle