À l’occasion du Festival J’agis pour ma planète à Chartre-de-Bretagne, la compagnie Dédale de Clown présentera son spectacle Muraïe hors les murs, le 2 juin 2024. Deux personnages à l’aspect ordinaire s’emparent de l’espace public et en font leur territoire… Entretien avec l’artiste de la compagnie, Yano Benay.
Dédale de Clown. Dédale pour « le symbole d’une quête, d’un voyage initiatique, d’une épreuve dont on ressort grandi, parce qu’on sort d’un labyrinthe pour pénétrer dans un autre ». Clown pour le « personnage fascinant, cosmique, mystérieux qui tire son comique de sa tragédie, parce que sa façon d’être au monde nous renvoie à nos fondamentaux humains […] ». Voici la manière dont se présente la compagnie qui jouera le 2 juin 2024 son spectacle Muraïe à l’occasion du Festival J’agis pour ma planète à Chartre-de-Bretagne. Dans ce spectacle, deux ouvriers s’approprient des objets gisant çà et là. Ils construisent leur petite maison, incarnent les figures de bons voisins, jusqu’à ce que la guerre s’immisce doucement : la guerre des voisins. « Un spectacle pour les adultes où les enfants peuvent venir », s’amuse Yano Benay, comédien et directeur artistique de la compagnie Dédale de Clown.
Unidivers – Vous avez débuté vos études dans un IUT de Biologie. Qu’est-ce qui vous a amené à découvrir le cirque et les arts de la rue ?
Yano Benay – Pendant mon IUT, j’ai découvert le jonglage. C’est le jonglage qui m’a amené là. Je me suis embarqué dans une aventure de théâtre de rue un été et ensuite, j’ai bifurqué : j’ai changé d’orientation et j’ai commencé à m’intéresser au clown. C’est devenu une quête que j’ai poursuivie et que je continue de poursuivre.
Unidivers – Avez-vous un spectacle ou un artiste qui vous aurait marqué dans votre trajectoire artistique ?
Yano Benay – Pendant mes années d’études, je sortais sur le Port de Commerce à Brest, au Fourneau, qui est maintenant le Centre National des Arts de la Rue et de l’Espace Public et j’ai vu beaucoup de spectacles dans ce cadre-là. Ils organisaient des événements qui ne se font plus sous ce format-là aujourd’hui : on sortait des bars à 2h du matin et il y avait des spectacles qui commençaient à 3h du matin jusqu’à midi le lendemain. C’était des événements un peu improbables.
En clowns qui m’ont marqué, je vais peut-être citer Howard Buten (Buffo). Après, j’ai travaillé dans une compagnie qui s’appelait la Cité des Augustes. Ils avaient un fond documentaire de livres sur l’histoire du clown assez important : un de mes premiers travails a été de trier tous ces livres et affiches. Je suis rentré dans ce milieu un peu comme ça, en m’intéressant à l’histoire des arts du cirque et des arts du clown. Je suis autodidacte, je n’ai pas fait d’école, mais c’est vrai que ce passage dans cette compagnie a ouvert mes connaissances artistiques.
Unidivers – Comment en êtes-vous venu à créer la compagnie Dédale de Clown en 2003 ?
Yano Benay – Entre-temps, j’ai travaillé pendant plusieurs années à bâtir l’école de cirque Balles à Fond à Quimper. J’ai toujours continué à me former, à faire des stages pour moi. J’ai côtoyé le théâtre “classique”, mais aussi le masque, le mime. À un moment, j’ai souhaité continuer mon chemin tout seul : je suis revenu à Brest, ma ville de cœur, pour monter Dédale de Clown et suivre mes propres projets.
Unidivers – La compagnie s’articule également autour d’une école et d’actions culturelles. Comment développez-vous vos envies artistiques autour de ces dispositifs pédagogiques ?
Yano Benay – Dédale de Clown a maintenant 20 ans. La partie artistique s’est développée, l’équipe s’est agrandie. L’école continue de donner des ateliers et, dans le cadre de la compagnie, on va plus mener des actions culturelles en lien avec nos spectacles. C’est vrai qu’aujourd’hui on parle d’éducation artistique et culturelle et on parvient à remplir un triple objectif : la fréquentation des œuvres, la rencontre avec les artistes et la pratique artistique.
Unidivers – Qu’est-ce qui vous interpelle dans les arts de la rue, l’art du masque et du clown dans vos créations ?
Yano Benay – Autant dans le cirque que dans les arts de la rue, il y a un rapport très direct avec le public, on n’a pas, comme au théâtre, la notion du quatrième mur. On est en prise directe avec le public, en interaction. Ce qui m’a intéressé, c’est l’engagement verbal et visuel auxquels font appel le cirque et les arts de la rue, ce qui les rend très accessibles à tous les publics.
Unidivers – Vous définissez les clowns comme des « passeurs de mots et de gestes pour transcender le drame humain par le rire » : pouvez-vous en dire plus ?
Yano Benay – Le rire est complètement lié à la tragédie humaine. C’est une parabole, mais on rit de celui qui tombe. On le transcende par le rire parce qu’on dédramatise cette chute et qu’on la dépasse. À un moment, la chute se transforme aussi en pirouette, en quelque chose de virtuose et pas seulement d’accidentel. Jacques Lecoq, un très grand pédagogue du théâtre qui a réinsufflé le clown et le masque dans la pédagogie du théâtre, a dit « Le clown rate là où l’attend et réussit là où on ne l’attend pas ». C’est aussi l’art du contre-pied et c’est ce qu’on essaye de faire dans nos spectacles, notamment Muraïe : on part d’une situation un peu quotidienne qui se transforme en quelque chose d’un peu surréaliste, poétique, tragique et comique.
Unidivers – Pouvez-vous raconter la signification du titre de votre spectacle Muraïe ?
Yano Benay – Le point de départ de la pièce est un voyage en Bosnie-Herzégovine dix ans après la fin de la guerre et la découverte que, là-bas, de bons voisins qui s’invitaient à boire le café, du jour au lendemain – sous-couvert de propagande même si on ne traite pas de ça – se sont montés les uns contre les autres. Au début, notre spectacle s’appelait Komsiluk, ce qui correspond au rituel du café là-bas. Puis, on a voulu un titre plus évocateur et concret. Des murs qui crient, qui racontent l’histoire. Douloureuse, mais, à travers la guerre des voisins, on montre l’absurdité de celle-ci.
Le « mur » dans Muraïe, c’est parce qu’on tire le fil du mur déjà depuis deux spectacles. Avec Drôle d’impression, nous jouons des afficheurs, des personnages du quotidien qui le dépassent et le transcendent dans leur naïveté et leur rapport au monde. Ce qui était marquant dans le fait d’arriver en Bosnie-Herzégovine, c’était de pouvoir lire l’histoire dans ces murs : on y voyait encore les impacts de balles, les murs effondrés, un peu comme des maisons de poupée détruites par des bombardements … ou brûlées.
Unidivers – Qu’est-ce qui vous plaît dans le fait d’utiliser des éléments scénographiques qui paraissent faits de bric et de broc dans Muraïe?
Yano Benay – L’idée est née à la première résidence : on avait apporté quelques objets puisque les arts de la rue ne sont pas de très grosses productions, on travaille un peu avec des bouts de ficelles. [Rires] Une règle du jeu est née : prendre des objets dans le tas et les mettre contre le mur. On a ensuite tiré les fils et, au fur et à mesure, la scénographie s’est construite, on a fabriqué des décors. On a notamment trouvé les portes, qui ont été un élément clef pour créer des espaces imaginaires, créer un intérieur et un extérieur. Un chez-soi et un hors de chez-soi. On s’est posé des questions : c’est quoi voisiner ? C’est quoi empiéter sur l’espace de l’autre ? Comment créer un espace propre à chacun et lui créer des particularités ? Comment les passions se déchaînent-elles parce qu’on a envie de plus que l’autre, de mieux que l’autre ?
C’est une histoire de passions humaines en fait, c’est aussi comme ça que les guerres se déclenchent. Ce sont des histoires de territoire, de posséder plus que l’autre, ce qui est malheureusement toujours d’actualité et je pense que ça va le rester encore longtemps. C’est vrai que le spectacle Muraïe résonne, des choses nous échappent. Il a été créé en 2020 : le fait que l’on joue sur le chacun chez-soi, ça a vachement ramené les gens au confinement. Ensuite, la guerre s’est déclenchée en Ukraine, ça a résonné là-dessus. On a également été inspirés par les gilets jaunes dans la création. On parle très peu dans Muraïe et le texte que l’on dit est très ouvert à différentes interprétations : chacun se fait ensuite son histoire, sa lecture. Le spectacles résonne différemment selon si l’on est dans une ville de droite ou une ville de gauche ! [Rires].
Unidivers – Pourquoi ces créatures burlesques sont-elles dépourvues de leur fameux nez rouge dans vos spectacles ?
Yano Benay – Dans l’histoire du clown, le nez rouge arrive cent ans après la naissance du cirque. On pense que c’est un accident : un garçon de piste ou un acrobate aurait trop bu avant la représentation, aurait chuté et aurait fait rire les gens (et le nez rouge, parce qu’il avait trop picolé). Ça viendrait de là, mais ce sont des histoires qui se racontent. Les clowns ont ensuite varié leur répertoires, ils sont également allés au cinéma : nous, on est plus dans cette veine-là. Le cinéma muet, burlesque de Chaplin, de Laurel et Hardy, de Jacques Tati : ce sont des clowns qui n’ont pas de nez rouge, mais qui ont un rapport candide au monde. Parfois, ça dérive aussi vers le bouffon, la caricature grotesque de l’humanité.
Unidivers – Conservez-vous une part d’improvisation et d’impromptu très propre à la figure du clown au fil des représentations ?
Yano Benay – C’est un spectacle très écrit. De mon point de vue et dans le travail que l’on aborde, le rire vient quand même d’une écriture rythmique du corps très précise. Évidemment, le spectacle n’est jamais le même, ça reste du spectacle vivant : parfois on perd des réactions dues à quelques secondes de décalage, un positionnement dans l’espace. C’est un travail entre chaque spectacle, une physicalité et un rythme à tenir. Il y a peu d’improvisation, à part lorsqu’il y a des imprévus.
Unidivers – Merci Yano Benay.
—
Muraïe se jouera à Chartre-de-Bretagne à l’occasion du Festival J’agis pour ma planète, à l’Escale verte. La compagnie Dédale de Clown proposera également son spectacle à Férel pour Les Féerèliques le samedi 22 juin 2024 ainsi qu’à Granville pour Sorties de bain les 4 et 5 juillet 2024. Yano Bano et toute l’équipe du spectacle préparent déjà leur prochaine création, prévu pour le printemps 2026. Cette fois-ci, les artistes souhaitent aborder l’absurdité du monde moderne, la richesse et ses exubérances, l’abondance et son absurdité … Une nouvelle histoire de personnages comme nous, « mais pas tout à fait » !
Muraïe de la compagnie Dédale de Clown le 2 juin au Festival J’agis pour ma planète
Co-auteurs et interprètes : Yano Benay et Frédéric Rebière / Co-auteure et metteure en scène : Paola Rizza / Regard photographique et Régie : Nicolas Hergoualc’h / Aide à la conception de la scénographie : Monsieur QQ / Aide à la conception des accessoires : Charles Roussel / Costumes : Alix Roland
L’Escale Verte, Avenue du Trégor à Chartres-de-Bretagne
Durée : 55 min / À partir de 8 ans