Produire des enquêtes approfondies sur des enjeux de premier plan en région Bretagne, mais qui concernent la société dans son ensemble : voilà l’ambition de l’ONG Splann ! En réponse aux pressions économico-politiques et autres clientélismes locaux et régionaux qui pèsent sur l’accès à l’information, elle entend mener un journalisme d’investigation indépendant grâce à un financement citoyen. Longue vie à Splann !
Depuis quelques mois, un petit nouveau a fait son apparition dans le vaste paysage médiatique breton, microscopique face aux mastodontes de la presse quotidienne régionale, mais à l’ambition solidement affirmée. Née en février 2021, Splann !, qui se présente comme « la première ONG entièrement dédiée à l’investigation journalistique en Bretagne », s’est donnée pour mission d’éclairer (son nom signifie « clair » en breton) les citoyens à travers « des enquêtes au long cours en donnant le temps et les moyens à nos journalistes d’aller au bout de leurs investigations ». Splann ! entend promouvoir l’information comme bien public. « L’objectif est de produire des enquêtes qui fassent du bruit et qui amènent à des prises de positions politiques dans la société », affirme l’un de ses fondateurs, Gwenvaël Delanoë, sur Radio France le 17 mars.
Un besoin croissant d’information
L’idée est venue de ce constat assez simple : « En Bretagne, sur des enjeux cruciaux, l’information manque. Prolifération des algues vertes, puissance de l’industrie agro-alimentaire, nouvelles infrastructures énergétiques, présence militaire, connivences politiques, radicalisation des luttes sociales et environnementales… À l’heure des remises en question de notre modèle de société, la Bretagne regorge de sujets qui nous interrogent. » « On répond à un besoin, une attente croissante d’information sur des sujets comme l’agro-alimentaire ou l’environnement », affirme Gwenvaël Delanoë. « La presse quotidienne régionale peut faire des enquêtes de qualité, mais ce n’est pas sa raison d’être : quand on travaille en locale, on n’a pas forcément le temps, cela signifie faire des heures supplémentaires ». L’objectif est donc de travailler en complémentarité avec les médias locaux, grâce à un modèle dégagé de toute pression financière. « L’idée, c’est de sortir du modèle de rentabilité imposé par l’industrialisation de la presse : on n’a pas les contraintes des structures traditionnelles, on se laisse le temps qu’il faut pour mener de vraies enquêtes journalistiques », déclare une autre fondatrice, Juliette Cabaço-Roger, journaliste à Lannion, dans une interview à Radio Parleur le 20 avril.
Défendre le droit à l’investigation
Le projet se veut également une réponse aux difficultés croissantes rencontrées par les journalistes pour exercer leur droit à l’information. « L’accès à l’information se complique quand les entreprises comme les élu·es se replient derrière une armée de communicants. Travailler devient une bataille, lorsque les procédures-bâillons et des dispositions liberticides se multiplient », dénonce l’association dans son manifeste. Pressions financières, lobby politico-régional-agricole, intimidations, menaces… la liste est longue. Et ce n’est pas Morgan Large, elle aussi à l’initiative de Splann !, qui dira le contraire. Journaliste pour la radio associative Radio Kreiz Breizh depuis une vingtaine d’années, cette fille de paysans bretons s’est spécialisée dans un secteur hautement stratégique en Bretagne du fait de sa place dans l’économie régionale, l’agro-industrie. En novembre 2020, elle sort le documentaire Bretagne, une terre sacrifiée, diffusé sur France 5, avec pour intention de dévoiler les dessous de la « carte postale » bretonne.
Résultat : harcèlement, menaces de mort et sabotage de sa voiture. Les pressions sont aussi politiques, avec des refus de subventions entraînant la disparition de médias comme L’Avenir agricole, hebdomadaire « libre et indépendant » consacré à l’agriculture, qui a dû fermer en janvier. « Désormais, les seuls canaux d’information sont contrôlés par la FNSEA (le syndicat agricole majoritaire en France, favorable au modèle productiviste). Les coopératives produisent la communication des petits exploitants, leur inculquent la peur des journalistes », dénonce Morgan Large dans l’émission 28 Minutes d’Arte le 1er juin. Splann ! se veut une protection collective contre la répression. « Le fait de partager la vision du métier, la façon de travailler et les centres d’intérêt permet un partage d’expérience, le collectif est très important », abonde Juliette Cabaço-Roger. « Le métier de journaliste est souvent un métier assez individuel, qui ne se mobilise pas forcément tout le temps, donc le fait de faire bloc et de pouvoir en parler avec d’autres est très rassurant. »
Un financement citoyen
Concrètement, Splann ! fonctionne sur le modèle de son parrain Disclose, « lanceur d’enquête » national fondé en 2018 et notamment connu pour avoir révélé l’utilisation d’armes françaises contre des civils durant la guerre au Yémen ou les conséquences néfastes des essais nucléaires français en Polynésie. Comme Disclose, Splann ! entend se financer uniquement grâce à des dons de particuliers, d’associations (on compte parmi les donateurs BDZH ou encore Les Amis de la Terre) fondations philanthropiques, sans actionnaire ni publicité, « parce que nous ne croyons pas à la course à l’information et que celle-ci représente un bien public » précise le manifeste de l’association, qui ajoute que « le conseil de surveillance est chargé de veiller à ce que les dons perçus ne contreviennent ni aux statuts, ni à la charte éditoriale de Splann ! ». Autre garde-fou destiné à assurer l’indépendance du média, un seul don ne peut pas représenter plus de 10% de son budget. Les sujets d’enquête sont sélectionnés par le comité éditorial, composé de cinq journalistes bénévoles, qui missionne et rémunère des journalistes pour mener des enquêtes sur un temps long. Celles-ci seront proposées gratuitement aux médias partenaires, qui s’engageront à les diffuser en libre accès, et seront également mises en ligne sur le site de l’association, en français comme en breton. Splann ! est donc à la fois une ONG, un média et une agence de presse.
Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’initiative séduit. Si l’objectif de départ était de 30 000€, le montant total de dons s’élevait le 4 juin à près de 60 000€. « Nous avons reçu énormément de mails de confrères et consœurs journalistes qui nous exposaient leurs terrains de recherche, qui étaient prêts à collaborer avec nous, à nous mettre à jour sur des dossiers. Et aussi beaucoup de citoyens, de collectifs de luttes qui nous ont transmis des alertes sur des sujets très divers, avec parfois des documents », se réjouit Juliette Cabaço-Roger. Comme un symbole, la première enquête, qui sera bientôt publiée, est consacrée à l’agro-industrie. On a hâte de la découvrir.