Sticky Recipe, hommage à Francisco J. Varela (par Raphaële Jeune et Nico Docks)

La résidence curatoriale L’Evénement ou la plasticité des situations se déroule au Centre culturel colombier Phak de janvier à décembre 2015. En parallèle, sous la direction de Raphaële Jeune, l’exposition La psyché de l’Univers, hommage à Francisco J. Varela, vient de s’achever. Pour la clore, un événement public intitulé Sticky Recipe s’est tenu le samedi 14 février de 11h à 21h. Compte-rendu de la journée et rencontre avec la commissaire.

 

Commissaire d’exposition des Biennales d’Art-Contemporain de Rennes en 2008 et 2009, Raphaële Jeune a rencontré le directeur du Phakt, Jean-Jacques Le Roux, à cette occasion. Grâce à un engagement reconnu dans différents projets et une convergence de vues artistiques, sa proposition de résidence curatoriale autour de l’art comme expérience a été proposée et validée. C’est ainsi qu’est née la résidence d’artistes « L’Evènement ou la plasticité des situations ».

Raphaële Jeune
Raphaële Jeune

Au fil des mois, trois temps forts avec trois artistes invités sont venus enrichir cette aventure. Tout commence avec l’exposition La psyché de l’univers, hommage à F.J Varela, un projet de Nico Docks, artiste flamand, et Raphaële Jeune. La résidence se poursuivra avec François Deck qui réalisera, en synergie avec la commissaire, un projet à huit clos autour du protocole de l’École erratique. Une restitution du projet sera organisée en avril. Décembre 2015 verra la fin de la résidence avec la chorégraphe et performeuse Adva Zakaï, laquelle s’intéresse au corps et à la performance en lien avec le post-humanisme.

Le premier volet se referme donc sur « Sticky Recipe », événement où des invités ont été convié à un repas autour d’archives de Francisco J. Varela, sujet de l’exposition qui s’achève. Rencontres, dégustation, témoignages et discussions sont au programme.

« Entre plats et témoignages »

À 11h, les présentations se font et « Sticky Recipe » commence. Les invités sont emmenés dans la cuisine où des aliments et ustensiles de cuisine n’attendent qu’eux. Toute la journée, un repas conçu par Egon Hanfstingl comme un processus énactif va être préparé par leurs soins. La soupe aux céleris avec algues et oignons en garniture est l’entrée. Les légumes s’épluchent et les langues se délient. Plusieurs profils sont présents : étudiants, salariés, commissaires d’exposition, artistes…

Nico Docks
Nico Docks (à gauche)

L’entrée est prête, l’heure de la dégustation est arrivée. Tout le monde est servi dans une ambiance conviviale et chaleureuse. Puis vient le premier témoignage : Louwrien Wijers parle de la vie de Varela. Le processus est lancé. Entre la préparation des plats et la dégustation, des témoignages de personnes ayant connu le scientifique et des projections viennent enrichir la journée.

À tour de rôle, des invités prennent la parole et racontent leur expérience personnelle avec Francisco Varela. Une enseignante a filmé une rencontre houleuse entre Henri Laborie, « réductionniste » de la science, et Varela, porteur de la pensée complexe ; Franz Reichle, réalisateur de Francisco Cisco, retrace les derniers moments de sa vie ; Amy Cohen Varela, seconde femme de Varela, aborde la sphère plus personnelle. Un témoignage filmé de Michel Le Van Quyen, ancien doctorant du neurobiologiste, raconte ensuite la manière de travailler de Varela comme directeur de thèse.

Attachant beaucoup d’importance à l’improvisation, Raphaële Jeune laisse vivre la journée et convie les invités à participer et échanger autour de ces témoignages. Entre l’activité cuilinaire et les projections, Unidivers l’a rencontré…

En quoi le travail de Francisco Varela vous a-t-il aidé dans votre recherche ? Pourriez-vous résumer ses théories et conceptions ?

Louwrien Wijers
Louwrien Wijers

Son travail m’intéressait par rapport à la notion d’évènement.L’événement comme quelque chose qui advient au moment présent. Je m’intéressais à l’idée que la connaissance que nous avons du monde relève de l’expérience vécue au moment présent, c’est-à-dire que ce que nous connaissons de lui dépend vraiment de la situation dans laquelle nous sommes dans le monde au moment où on perçoit.

On a cette idée que le monde est quelque chose d’extérieur, de fixe ; que notre esprit, au contraire, est intérieur. Varela disait que notre connaissance du monde est énactive, il appelle ça l’énaction. C’est cette coémergence entre le moi et le monde qui définit cette connaissance qu’on a du monde. On reconstruit une sorte de permanence dans notre perfection du monde, mais chaque moment est nouveau. Varela a travaillé scientifiquement sur cette question et la méditation (s’est tourné vers le bouddhisme tibétain), et l’exploration de la conscience lui a permis une autre approche de son étude, de l’expérience humaine. Ça m’intéressait pour mes recherches.

Comment avez-vous rencontré Nico Docks ?

phakt varelaMes recherches m’ont également conduit à lui. Je me suis rendue compte qu’il avait travaillé sur Varela à plusieurs reprises et lui ai proposé de faire quelque chose autour de ce dernier. Il m’a proposé des archives – parce que son travail s’articule beaucoup autour de l’utilisation d’archives : celle de personnes, de lieux – et une manière originale de les utiliser comme une digestion, absorption et transformation. Nico va prendre des documents, différents éléments dans ce contexte, et va travailler avec des gens à partir de ces archives.

C’est comme ce qu’on va faire aujourd’hui, on est tous là, plus au moins connectés à Francisco Varela. Il y a des personnes qui l’ont connu, comme sa femme, des gens qui ont travaillé avec lui, qui sont inspirés par lui d’un point de vue professionnel, et d’autres qui ne le connaissent peut-être même pas. Tout ça fait que ses archives vont être mises en partage, réactivées. L’idée n’est pas d’avoir un lien au passé ou de comprendre l’histoire, mais de s’enrichir avec. C’est vraiment une sorte de chimie. Ce qui est drôle parce que Nico a commencé en faisant de la chimie. Il a vu que l’enseignement ne correspondait pas à ses attentes, mais il avait cet intérêt. D’où cet intérêt pour la cuisine, je pense, pour la transformation des éléments.

Comment l’idée du repas participatif a-t-elle germé ?

C’est vraiment sa proposition. Il fait ça régulièrement. Pour lui, le repas fait partie de nos vies. Physiologiquement, ce qu’on mange va influencer la façon dont on va être, dont on va penser. Si on choisit de bons aliments, qui se complètent, et qui vont avoir une action équilibrée dans le corps, cela va entraîner une meilleure présence. Les aliments sont aussi ceux qui nous touchent au plus près. Il y a une idée d’imprégnation corporelle. Tout est relié. C’est une pensée de Varela aussi. Par exemple,les problèmes psychosomatiques. On s’étonne qu’il y ait des conséquences somatiques à partir des problèmes mentaux, mais tout est lié sans qu’on en ait réellement conscience.

phakt rennesL’idée de la nourriture est quelque chose qui s’entremêle à la pensée, à l’échange, et au partage. La cuisine est toujours là, mais il n’y a pas de hiérarchie entre elle et la réflexion.

Le point de départ est une archive, un sujet qu’on met en commun. La cuisine vient s’ajouter comme un élément constitutif de la journée. Généralement, c’est plus des actions courtes que Nico fait, comme aujourd’hui. Je l’ai invité à travailler sur un mois d’exposition, et on a vraiment travaillé ensemble sur un dispositif. Il y a des archives aussi dans l’exposition, par exemple cette boite faite par Nico. Il n’a pas pu être présent tout le temps, car il habite à Anvers et menait d’autres projets, mais mon rôle était d’être là pour les visiteurs et les faire travailler à partir de cette pensée de Varela en prenant des mots, des petits bouts… L’espace a vécu au rythme de ces rencontres.

Pour le prochain volet de la résidence, rendez-vous en avril 2015. L’artiste François Deck a invité Raphaële Jeune à partager son protocole d’École Erratique. Dans un travail à huit clos, cinq personnes vont se rencontrer et faire connaissance.

« L’école erratique est un espace de transition entre l’échelle des problèmes globaux et celle de l’individu. » François Deck, Shanghai, le 6 avril 2012.

L’ÉVÉNEMENT OU LA PLASTICITÉ DES SITUATIONS / Raphaële Jeune –
du 01/01/2015 au 30/06/2015

Premier temps :
Exposition « La Psyché de l’univers », Raphaële Jeune invite Nico Dockx à explorer le concept d’ « énaction », approche événementielle de l’esprit.
Second temps :
Processus réflexif et collaboratif : « L’Ecole Erratique » Raphaële Jeune invite François Deck à un travail en huis-clos appliquant le concept de « l’énaction » à la possibilité d’un art comme expérience.

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