Street art à Rennes. Mémé dans la jungle du sticker

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Les stickers Mémé, vous connaissez ? Ouvrez l’œil et vous repérerez vite ces autocollants disséminés dans Rennes qui reprennent des logos bien connus pour y glisser espièglement ce mot familier : mémé. Leur auteur, l’artiste MC, s’amuse ainsi depuis 2014 à rendre hommage à sa grand-mère. Il sera notre guide pour cette dernière balade estivale dans le street art rennais, à la découverte du petit discret de cette grande famille : le sticker.

meme stickers

Ils sont partout, mais on ne les voit pas. Sur les panneaux de signalisation, les lampadaires, les gouttières, les poubelles ou les coins de murs. Ils remplissent les blancs, arborant messages, dessins ou calligraphies proches de celles du graffiti. Les stickers (autocollants) forment un cas particulier de l’expression picturale de rue, à mi-chemin entre l’art et la communication. Avant de partir pour notre balade sticker avec MC, penchons-nous sur ce support si familier, mais qu’on connaît finalement peu.

Inventé en 1935 par Stan Avery, « Stan The Sticker Man », et popularisé au cours du 20e siècle, l’autocollant a d’abord eu une utilisation commerciale, pour indiquer le prix des produits notamment. Sa portée promotionnelle est vite comprise et il devient un outil pour diffuser des messages politiques et publicitaires. Le premier usage artistique du support date de 1989, lorsque le street artiste Frank Shepard Fairey lance avec un premier autocollant (André the Giant Has a Posse) les bases de ce qui deviendra la marque Obey. Aujourd’hui, le sticker est tout autant utilisé par les groupes militants, les associations sociales ou culturelles, les supporters de foot, les groupes de musique ou les artistes cherchant à faire leur promotion. Il est aussi un objet d’art à part entière, certains artistes choisissant de privilégier ce support.

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C’est le cas de l’artiste rennais MC avec les stickers Mémé. Il nous donne rendez-vous à l’hôpital Pontchaillou, un choix pour le moins étrange, mais qui s’éclaire de lui-même une fois entré dans la salle des familles de l’unité enfants de réadaptation post-chirurgicale. Y trône un somptueux baby-foot, entièrement recouvert de stickers Mémé. C’est un don de l’entreprise normande Le Conquérant, qui a travaillé avec des artistes pour customiser ses baby-foot. Décoré à l’occasion du premier International Stickers Festival à Rennes en 2019, il a ensuite trouvé place dans cette salle de Pontchaillou, et MC passe une fois par an pour le restaurer en collant des stickers neufs par-dessus ceux abîmés. Ce premier atelier collage est l’occasion pour lui de nous parler de sa pratique du sticker.

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Après le décès de sa grand-mère en 2013, un voyage à Hambourg lui fait prendre conscience de la force communicative des stickers. « En me promenant dans les rues, sans parler la langue, j’ai rapidement eu l’impression de m’imprégner de ce qui se passait culturellement dans la société allemande rien qu’en observant les messages et les dessins des très nombreux stickers : les rivalités entre les clubs de foot, des messages politiques véganes ou antinucléaires, etc. », raconte le Rennais. Lui qui, jusque-là, appréciait le street art sans prétendre le pratiquer, décide alors de s’emparer de cet outil pour commémorer le souvenir de sa grand-mère.

En 2014, son premier sticker affiche le mot mémé avec le M de McDonald’s, le E de L’Équipe, le M du Monde et le E d’Internet Explorer. « Le principe des stickers Mémé, c’est de rendre hommage à ma grand-mère en travaillant par opposition à ce qu’elle était. Agricultrice dans le Morbihan, par opposition je fais de l’art urbain. Elle était complètement étrangère à la société mondialisée, alors je graffe son nom dans le logo de grosses multinationales que tout le monde reconnaît. Elle ne voyageait pas, avec les stickers que j’envoie aux quatre coins du monde, elle voyage à titre posthume », détaille MC

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Avec un art du détournement, celui-ci reprend donc à son compte, ou plutôt à celui de sa grand-mère, la puissance visuelle de logos entrés dans l’imagerie populaire. Ce sont principalement les identités graphiques d’entreprises multinationales, mais aussi de médias, de groupes de musique (Nirvana, Public Ennemy) ou d’artistes (il a repris plusieurs fois des images Obey). « Parfois, je fais aussi en fonction du pays dans lequel je vais », ajoute-t-il, évoquant les Saintes Vierges italiennes ou Diego Maradona dans son maillot sponsorisé Mars. En fait, ce dont MC s’empare, ce sont les images iconiques, pour leur substituer son icône à lui, sa mémé.

Ce qui plaît à MC dans la pratique du sticker, c’est sa simplicité de diffusion. Qu’elle soit faite à la main, ou dans son cas à l’ordinateur, chaque production est facilement reproductible, potentiellement en grande quantité à coût minime. Elle est ensuite aisément déplaçable, et collable partout, sur le modèle de l’instantanéité. « Je peins aussi à côté, et c’est tout de suite lourd de vouloir partager sa peinture : il faut trouver un lieu, communiquer pour faire venir des gens. Avec les stickers, je suis vu par tous les badauds. Ça crée des interactions rapides et simples avec l’environnement, c’est un accès simplifié à l’art », analyse MC.

Cette façon de libérer l’art de ses carcans modernes pour interpeller le public dans son quotidien place le sticker dans la famille du street art. Cela dit, le sticker est aussi beaucoup plus simple à réaliser, donc abordable, qu’une fresque murale. Facilement décollable, il suscite moins d’hostilité que le tag. Il tombe pourtant sous le coup de l’interdiction de l’affichage sauvage, mais, faisant ses collages en plein jour, MC n’a jamais été inquiété. « Je comprendrais mal que les stickers Mémé soient sanctionnés et pas un caviste qui fait sa pub ou un syndicat qui promeut ses idées », partage-t-il. Un signe de plus que les lois recoupent imparfaitement les usages.

Une fois le baby-foot de Pontchaillou remis à neuf, nous nous dirigeons vers la gare où MC a l’habitude de s’arrêter recouvrir des surfaces pendant ses déplacements professionnels. En les sortant un à un de son classeur, il énumère l’origine de chaque sticker : celui-ci vient d’Allemagne, celui-là du Brésil, un autre de Russie… En une dizaine de minutes, un objet de mobilier urbain, en l’occurrence une station de gonflage de vélo, se trouve customisé de stickers du monde entier.

À l’inverse, leur grande facilité de diffusion a permis à MC de faire voyager les stickers Mémé par-delà les frontières. Non content de les répandre dans les rues de Rennes, il prend l’habitude d’en semer dans le sillage de ses déplacements professionnels ou de ses voyages. « Quand je pars en vacances, j’en mets 200-300 dans ma valise, ça ne pèse rien et ça me permet de dialoguer avec des artistes locaux », explique-t-il. MC a ainsi poussé la porte d’une communauté mondiale de passionnés, philatélistes modernes, où règne un esprit de partage gratuit. Aujourd’hui, une centaine de personnes dans le monde diffusent les stickers Mémé, les MAD : Mémé Authorized Dealer. « Ce sont des gens qui me contactent, on échange, moi je colle des stickers qu’ils m’envoient en France ou au cours de mes voyages, et je leur envoie des stickers Mémé qu’ils collent à leur tour un peu partout. »

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L’œuvre de MC suscite des adhésions particulièrement enthousiastes, puisqu’une MAD lyonnaise, My Urbanitudes sous son compte Instagram, a édité deux livres de photos de stickers Mémé dans le monde. Ils sont également mis à l’honneur dans le récent ouvrage de la street artiste londonienne Deelaruze, Theez Are Our Streetz, où ils servent de fil conducteur à la découverte d’une trentaine d’artistes d’une dizaine de pays différents.

Après notre séance de collage à la gare, direction l’Hôtel-Dieu. Le lieu est symbolique pour MC, puisqu’il y avait organisé avec l’association Dimension Cult la première édition de l’International Sticker Festival (ISF) en 2019, en partenariat avec le festival Bar en Trans. Un événement rare, dans la lignée du FIST (Festival International de Stickers à Toulouse) lancé en 2015. Car malgré le dynamisme de la communauté mondiale du sticker, cette vivacité si caractéristique des niches, la pratique peine encore à obtenir une reconnaissance culturelle auprès du grand public et des institutions. Comme les franges les plus sauvages du graffiti, elle est encore beaucoup associée à un geste de vandalisme. D’ailleurs, nombre de graffeurs déclinent aussi leur blaze sur des stickers. On peut également faire l’hypothèse que la taille réduite des stickers, au regard, par exemple, d’une fresque murale, ou leur voisinage avec des stickers promotionnels, politiques ou autre, brouille la perception du sticker en tant qu’art.

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C’est précisément cette multiplicité du sticker qui a intéressé MC en premier lieu, lorsqu’il le découvre à Hambourg. Comme il le dit : « ce ne serait qu’effleurer le sticker de le cantonner à l’art ». C’est cette jungle qu’il a voulu mettre en avant lors de l’ISF. Dans le couloir central de l’Hôtel-Dieu étaient exposés entre 3000 et 4000 stickers glanés au cours de ses voyages et rangés par pays. « En mettant en perspective un panneau Malte, Naples, Bruxelles ou Amsterdam on voyait que les préoccupations n’étaient pas les mêmes d’un pays à l’autre », explique l’artiste.

En 2021, une seconde édition de l’ISF voit le jour, toujours pendant le festival Bar en Trans, mais cette fois-ci dans le théâtre du Vieux Saint-Étienne. Un vaste panneau de 10 m de long exhibe la foule de stickers que MC a décollé du Mondo Bizarro à sa fermeture, dessinant, à travers le sticker, l’histoire de ce mythique café-concert rennais. « J’ai passé trois jours sur place pour les décoller, parfois à la spatule. Il y avait des vieux stickers des premières émissions de Canal B, des groupes de rockabilly ou psychobilly passés par ce lieu, des visuels qui font sourire, qui font se remémorer des concerts », raconte MC

Une prochaine édition de l’ISF devrait voir le jour en 2022, mais entre-temps l’association Dimension Cult a planché sur un autre projet, l’aimant à stickers, inauguré le 30 mai 2022, place de Bretagne à Rennes, et qui sera la dernière étape de notre balade stickers avec MC. L’idée est très simple, un ancien panneau d’affichage libre restauré par les services de la ville et recouvert d’une plaque de plexiglas, avec pour but d’accueillir n’importe quel sticker, pourvu qu’il n’appelle pas à la haine. Ce n’est ni plus ni moins que l’équivalent d’un mur d’expression libre pour le graffiti, pourtant l’initiative est novatrice concernant le sticker.

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Pour lancer l’opération, MC et l’association Dimension Cult collent sur le panneau des stickers de la No Hate Family, une communauté internationale de street artistes. Bien vite s’y ajoutent des stickers de musiciens, de collectifs, de clubs de supporters, de marques de CBD, de revendications féministes, et même des stickers aux couleurs des Bibliothèques de Rennes. L’aimant est aussi une plateforme pour les artistes locaux de sticker : on y retrouve Fatherfucker 35, connu pour ses collages politiques, les graffeurs Noke, Sizer, El Gato, le collectif Street art sans frontière, le chat Belzébuth, Michto, Bouchon, Etiou24, 2zirp, Les Gérards, et bien d’autres plus ou moins anonymes.

L’objectif de l’aimant à stickers est d’être une vitrine, en plein centre-ville, de cette pratique culturelle. Mais il a aussi vocation à servir d’archive. Une fois la plaque de plexiglas bourrée de stickers — car le principe du sticker, c’est l’accumulation, selon MC —, elle sera retirée et remplacée par une vierge. Chaque plaque complétée sera alors à la fois un objet d’art et le témoignage de son époque, de ce que la rue a exprimé à tel moment, à la façon des superpositions d’affiches décrochées dont l’artiste Jacques Villeglé, précurseur du street art, faisait des œuvres. « On n’en est pas loin », affirme MC, « on récupère ce que la rue produit au travers des stickers, lui c’était avec des affiches ».

Descendant direct de l’affiche, héritier subversif du timbre, le sticker s’impose discrètement dans notre quotidien en tant que porteur de messages d’abord, et puis, quand on ouvre l’œil, en tant qu’œuvre d’art, petit dernier dans la grande famille du street art. Partout où vous irez il vous suivra. Et dans les rues de Rennes, Mémé veille sur vous.

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Jean Gueguen
J'aime ma littérature télévisée, ma musique électronique, et ma culture festive !

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