Avant de mourir, France-Soir avait tenté de survivre par une diffusion uniquement numérique, à l’image d’autres publications américaines comme Newsweek. Si la part de lectorat abonné numériquement n’a pas encore dépassé celle des abonnés papier en France, les lecteurs d’information passent majoritairement par Internet et des applications mobiles, surtout dans les classes d’âge inférieures à 35 ans. C’est l’occasion de nouveau de pointer la scandaleuse répartition des subventions par l’Etat qui, en aidant exclusivement les opérateurs médiatiques dominants précipite la mort de la presse française, autrement dit du pluralisme de l’information.
C’est une réalité, la presse papier bénéficie d’une TVA réduite à 2,1%. Mais comme les sites internet dits « pure-player » n’ont pas de diffusion papier, ils sont classés comme de simples sites internet et donc taxés à 19,6% quand bien même ils bénéficient d’une commission partiaire, soit d’une reconnaissance pleine et entière par l’Etat de leur statut de périodique de presse. C’est pourquoi bon nombre de sites d’information de la nouvelle presse française en ligne militent pour être classés à l’égal de leurs homologues papier en pointant une aberration : ces derniers disposent eux-mêmes d’une déclinaison web dont les transactions bénéficient également de la TVA réduite ! La presse papier gagne sur tous les tableaux, la presse en ligne est étouffée, à l’exception de la la déclinaison web des opérateurs média historiques. Une situation d’injustice manifeste qui profite à la position dominante abusive de journaux qui ne répondent pourtant plus aux critères du simple principe de réalité. Non contente d’avoir un taux de TVA réduit, la presse française bénéficie d’importantes subventions.
Si l’on divise le montant des subventions pour une publication par le nombre d’exemplaires tirés par an, nous obtenons les chiffres suivants :
Première remarque, qu’est-ce qui justifie que l’Humanité, dont la rigueur journalistique a été plus que douteuse dans sa ligne éditoriale historique, bénéficie de telles aides ? Seconde remarque, en dehors de l’hypersubventionné quotidien gaucho-bobo Libération, les cas des hebodmadaires (en vert) sont à souligner étant donné qu’ils ne se gênent pas pour faire leur une sur la dette ou l’assistanat. Côté quotidien, quatre journaux se détachent : Libération, dont le lectorat fond comme neige au soleil en raison d’un modèle médiatico-idéologique contestable qui a été précipité par le piètre encadrement de Nicolas Demorand et d’un prix au numéro abusif, mais aussi La Croix, Le Monde et le Figaro qui n’ont pas été les derniers pour dénoncer le poids des diverses subventions dans la dette publique ! Paradoxe, quand tu nous tiens… Mais divisons maintenant ces montants par le prix de vente au numéro pour examiner quelle est la subvention par rapport au prix de vente :
Surprise, la Croix et Libération rattrapent un peu l’Humanité. Une répartition des champions des subventions qui rappellent les lendemains de la Seconde Guerre mondiale… En marge, les hebdomadaires, vendus plus cher, reculent dans ce classement. Et ce sont les hebdos télévisions (en bleu) qui se voient particulièrement aider par rapport à leur prix. C’est pourtant un type de périodique qui est voué à disparaître tant l’offre est importante sur tablettes, télés connectées, portables ou quotidiens gratuits et payants.
Évidemment, la presse en ligne des Atlantico, Mediapart, Slate, Huffington Post, Rue 89, LettreA, Unidivers…. n’a pas droit à toutes ces jolies subventions qui auraient en théorie pour objectif de protéger la liberté de la presse. Mais qui, en réalité, empêche les nouveaux modèles adaptés à la réalité de se développer.
La dépendance de la publicité
Le centre d’étude des médias de l’université canadienne de Laval rapporte la tendance suivante : « Ailleurs dans le monde, la crise économique a eu des effets néfastes sur les revenus publicitaires des journaux. De 2007 à 2009, ceux-ci ci ont ainsi baissé de 30 % aux États-Unis, de 21 % en Angleterre et de 18 % en Italie. Les revenus publicitaires des quotidiens japonais ont quant à eux diminué de 20 % entre 2008 et 2009. En fait, les revenus publicitaires de la presse mondiale ont chuté de 17% entre ces deux années selon l’Association mondiale des journaux, et du tiers en Amérique du Nord au cours des cinq dernières années. »
Les versions en ligne n’ont en rien compensé la perte des publicités de la presse papier, les prix n’étant pas comparables. Malgré la profusion de scripts et de bandeaux sur les sites de quotidien, l’équilibre n’est pas atteint, mais les annonceurs restent nombreux et surtout… influents. Si Mediapart ou le Canard Enchainé et à une moindre échelle Le Monde Diplomatique, n’ont pas voulu introduire de publicité, c’est autant par éthique que pour ne pas tomber dans le piège d’un équilibre budgétaire éphémère.
La situation de la presse dans le monde
Le centre d’étude des médias de l’université canadienne de Laval rappelle « qu’entre 2010 et 2011, la diffusion des journaux européens a diminué de 3,4 %, selon l’étude 2012 de l’Association mondiale des journaux et des éditeurs de médias d’information (WAN-Ifra). Sur la même période, elle a chuté de 4,3 % en Amérique du Nord, et augmenté de 3,5 % en Asie et 4,8 % au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. » Cette chute n’épargne ni la France ni même l’Allemagne où le Frankfurter Rundschau a déposé le bilan récemment malgré un lectorat de 118000 personnes. L’arrivée des gratuits n’explique pas tout, même si le lectorat de ces périodiques est plus jeune que pour les quotidiens payants. En effet, leur lectorat a diminué ce qui montre aussi la généralisation de la lecture web et mobile sur la lecture des dépêches.
Un darwinisme forcé de la presse
La presse se voit donc obligée de changer de modèle. Maintenir des journaux dans l’illusion de la rentabilité à coup de subventions, publicités et coupes sombres dans le personnel et les salaires n’aide pas l’information ! Étant donné qu’il y a de moins en moins de temps pour creuser et analyser l’information, les hebdomadaires n’ont pas intérêt à utiliser les services web pour entrer en concurrence avec des agences de presse spécialisées. Le créneau de l’investigation n’est pas à l’abri, comme le note Jean-Yves Viollier, un ancien du Canard Enchainé dans un récit romanesque – pour des raisons notamment juridiques. C’est aussi au lecteur de ne pas sombrer dans la facilité de l’information spectaculaire et prémâchée – où le rédactionnel s’éclipse derrière des images-chocs vides de sens. Les photographes de presse disparaissent. La presse spécialisée informatique et vidéoludique aussi. Mais si rien n’est fait pour permettre aux jeunes talents de s’exprimer, c’est quasiment tout le monde qui sera perdant. Et, avant tout, la démocratie conçue comme république éclairée. Déjà, Mediapart et son homologue Indigo font l’objet depuis quelques heures d’un contrôle fiscal. Certains y verront une basse vengeance politique encouragée par certains confrères…
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Subventions à la presse : la démocratie en danger et Mediapart sous contrôle fiscal